Le Crime de l’Orient Express : Poirot sur le toit
Cet article a été initialement publié le 10 décembre 2017 sur le site clapmag.com
Il est toujours intéressant de remettre les personnages de fiction au goût du jour. Surtout quand leurs histoires convoient des vérités qui ne cessent d’être d’actualité. Et une adaptation nécessite évidemment de repenser et d’ajuster la modernité d’une œuvre pour qu’elle soit accessible à un nouveau public. Le Sherlock de la BBC par exemple réussit ce pari. Le Crime de l’Orient Express version 2017, non.
Pour ceux qui ne connaissent pas Hercule Poirot, c’est un petit homme étrange qui passe des heures à tailler sa moustache, pour laquelle il entretient une véritable obsession. Il est acariâtre et maniéré, imbu de lui-même et ne goûtant a priori que son propre sens de l’humour. En surpoids, il est gourmand et n’aime pas l’effort physique, pour lequel il éprouve même un certain mépris. Il ne comprend les passions qu’en théorie, étant lui-même intéressé uniquement par son confort et par l’admiration qu’il suscite ou croit susciter. Car ce qui compte pour lui par-dessus tout, ce sont les efforts de la logique. Le monde s’obstine à être vulgaire et illogique mais lui, Hercule Poirot, le remet inlassablement en ordre. Et il attend qu’on le remercie pour ça. David Suchet reste incontestablement l’incarnation la plus méthodique et la plus ordonnée de Poirot. Oui le David Suchet de la série éponyme Poirot qui passe en France sur la chaîne TMC l’après-midi à l’heure de la sieste pour les retraités et les chômeurs. La chômeuse que j’ai pu être à une période de ma vie lui doit beaucoup de moments de bonheur (si, si de bonheur).
Difficile de comprendre l’intérêt d’une énième adaptation d’Hercule Poirot quand le personnage principal est si radicalement à côté de la plaque. Le Poirot de Brannagh fournit lui-même ses propres sous-titres pour ceux qui ne sont pas familiers du personnage. Il avoue à un officier de police lambda qu’il voit le monde tel qu’il devrait être, ce qui le lui rend insupportable. L’aveu est fait sur une musique sentimentale pour exprimer la souffrance. Or Hercule Poirot n’est ni sentimental ni souffrant. Hercule Poirot adore son système. Quel besoin de faire une scène d’ouverture hors de prix avec des plans de grue pour montrer que la maniaquerie du personnage va jusqu’à exiger des oeufs à la coque parfaitement calibrés et identiques si c’est pour le faire manger un gâteau dans l’assiette de Johnny Depp une heure après ? Hercule Poirot ne mange pas dans l’assiette de Johnny Depp. Hercule Poirot mange dans son assiette.
Vous connaissez le mème “One simply does not walk into Mordor”? Hercule Poirot est une incarnation vivante de ce mème. Hercule Poirot ne va simplement pas commencer à crapahuter sur les toits des wagons de l’Orient-Express. Hercule Poirot ne va simplement pas sortir par moins dix sans son pardessus. Et Hercule Poirot ne va simplement et définitivement pas commencer à faire des prises de full contact et des pirouettes pour éviter les balles de revolver. Agatha Christie, c’est le détail. Agatha Christie, c’est l’étude au microscope de l’humain qui érige le superflu en institution pour rendre la vie supportable. Une adaptation d’Agatha Christie sans le sens du détail se vide de son sens. On aurait presque rêvé que Wes Anderson se mette sur le coup. Chacun aurait mangé dans son assiette, personne n’aurait marché sur les toits et les meurtres auraient été bien gardés. On peut se dire que boire du thé dans sa propre tasse et rester assis à réfléchir manque de cinégénie. Pourtant la version de Sidney Lumet avec Albert Finney et Lauren Bacall, quoique surannée, reste captivante malgré l’absence de cascades. La modernité de cette nouvelle adaptation était à trouver ailleurs. Dans l’histoire effectivement. Dans ce débat moral sur la loi du Talion, la nature humaine, le système discriminatoire de hiérarchie raciale… ou la psychorigidité.
Une adaptation d’Agatha Christie sans le sens du détail se vide de son sens.
La mise en scène à la truelle avec des plans de train qui rappellent Harry Potter – mais sans la magie – achève de rendre le film indigeste. Cela révèle surtout un manque profond de personnalité et de point de vue. La musique épaisse et omniprésente ne laisse aucune place à la suggestion. Kenneth Brannagh cabotine et tente de rendre Poirot conscient de son humour, un joyeux boute-en-train extraverti. Kenneth Brannagh, l’acteur, devient en quelque sorte une version méta un peu gênante de son personnage de Gilderoy Lockhart. Dans une brochette d’acteurs tous impeccables, Michelle Pfeiffer la magnifique tire son épingle du jeu, comme d’habitude. On salue l’effort d’inclusivité avec le personnage noir de Leslie Odom qui s’en sort dignement malgré une ou deux répliques très lourdes du type “nos chaînes sont brisées”. D’ailleurs l’inclusivité c’est très bien, vraiment, mais des policiers ou militaires noirs dans une gare perdue d’Europe Centrale en 1930 et des brouettes, c’est un peu beaucoup.
À la fin du film, le coup de grâce est donné avec une scène qui annonce un meurtre sur le Nil. Hercule Poirot ne peut simplement pas apprendre qu’il y a un mort sur le Nil alors qu’il est perdu dans les Carpates ! Toute l’enquête égyptienne de Poirot repose sur une conversation entendue avant de monter sur le bateau. Cher Monsieur Brannagh, on ne devient jamais fan d’Hercule Poirot par hasard. Les obsessionnels-compulsifs anonymes vous remercient de procéder avec un peu d’ordre et de méthode dans vos adaptations !
Le Crime de l’Orient Express. Réalisé par Kenneth Branagh. Avec Kenneth Brannagh, Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Josh Gad… Durée : 1h54. Sortie : 13 décembre 2017.
One Comment
Miss Marple
Grand dieu, vous avez raison. Il n’est point concevable que cette piètre adaptation soit le reflet de Poirot. David Suchet est Poirot, Peter Usitov fut un bon mais pas assé Belge. Lorsqu’on regarde Kenneth Brannagh, ont peut se demandé : A t’il lu Agatha Christie ?. Il est bon acteur mais il n’est pas Poirot.