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Oranges Sanguines : Attaques acides

Jean-Christophe Meurisse compte bien secouer les salles obscures avec son deuxième long métrage Oranges Sanguines. Pour sa première plongée dans l’univers du metteur en scène, notre rédactrice Camille Griner revient sur son expérience intense face à ce film aigre en deux actes parfaitement inégaux.

Une question épineuse me taraude à la sortie de la projection presse : comment parler d’Oranges Sanguines ? Une interrogation profonde et perturbante, tant le film se vit comme un tour de montagnes russes. Une attraction agréable au départ, quoique ponctuée d’à-coups réguliers dans les côtes, qui se termine finalement par une bonne grosse nausée. Oranges Sanguines se présente comme tel : « Au même moment en France, un couple de retraités surendettés tente de remporter un concours de rock, un ministre est soupçonné de fraude fiscale, une jeune adolescente rencontre un détraqué sexuel. Une longue nuit va commencer. Les chiens sont lâchés… » Un synopsis somme toute mystérieux, mais qui ne laisse aucunement présager l’expérience de cinéma intense à venir qui finit par piéger le spectateur. 

Découpé en deux parties, le film démarre comme une satire politique de la France sous Macron, organisée en scénettes aux dialogues plutôt savoureux. L’absurdité des échanges entre les personnages et de leurs réflexions bancales énoncées avec le plus grand sérieux nous décroche facilement un sourire. Notamment dans cette première séquence de délibération d’un jury de concours de danse qui polémique vivement sur ce qu’est véritablement le rock, ou encore cette scène de réunion où le conseiller du ministre de l’économie et des finances propose de taxer les avortements. On comprend volontiers pourquoi Denis Podalydès, Blanche Gardin et Vincent Dedienne ont accepté d’apparaître en guests dans cette comédie noire et corrosive, tant la représentation du monde politique, avec son cynisme et son hypocrisie de tous les instants, y est irrésistiblement retranscrite. On a l’impression que les protagonistes se sont lancés dans une compétition saugrenue, mais pas moins captivante, dont le but serait d’être la personne la plus pourrie de toutes. Après tout, pourquoi pas.

La vie est une garce et punit sans sourciller les vilains comme les gentils, semble nous dire le réalisateur dans la première partie du film. Uppercut spirituel et attrayant, on aurait pourtant aimé que Oranges Sanguines s’arrête à ce stade. Mais non, il a fallu que Jean-Christophe Meurisse tronçonne le film en son centre, après une citation d’Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Une phrase prophétique, qui signe le basculement du film dans l’horreur et la violence gratuites. Passage à tabac, séquences de viols qui s’enchaînent, scènes de torture, découpage de membres, suicide… On déteste viscéralement ce que le réalisateur fait subir à ses personnages, qui doivent tous payer et surtout souffrir, comme apparemment les spectateurs devant l’écran. Loin de son côté « gilet jaune » de début de pièce, le metteur en scène lâche en effet les chiens dans le second acte, dont le sadisme malsain nous fait douter de ses intentions. Régler ses comptes avec la société contemporaine, certes, mais cracher sur tout le monde, non merci. Le rire laisse largement place au malaise et Oranges Sanguines se perd dans des séquences poussives et abusives qui desservent totalement ce qu’on a cru comprendre de l’idée initiale. Le plus insupportable est cette sensation que Meurisse, au summum de la misanthropie, nous montre tous du doigt en semblant dans le même temps nous expliquer que lui a tout compris en se plaçant (bien) au-dessus de nous, pathétiques humains que nous sommes. Une certaine tristesse découle de ce projet acide qui tapait fort mais malin, et qui finit par frapper trop fort pour rien. 

Réalisé par Jean-Christophe Meurisse. Avec Alexandre Steiger, Christophe Paou, Lilith Grasmug… France. 01h42. Genres : Comédie, Drame. Distributeur : The Jokers. Présenté en séance de minuit au Festival de Cannes. Interdit aux moins de 12 ans. Sortie le 17 Novembre 2021.

Crédits Photo : © Rectangle Productions – Mamma Roman.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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