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Halt And Catch Fire : Les grandes personnes et les ordinateurs

Cet article a été initialement publié le 3 janvier 2018 sur le site clapmag.com

Quand on interroge les créateurs de la série Halt and Catch Fire sur ce qui a survécu de leur concept entre le moment où ils ont pitché la série à la chaîne AMC et la quatrième et ultime saison qui s’est terminée en octobre dernier, ils répondent en riant : « rien ».

Dans une interview accordée au New York Times, Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers (surnommés “The Chrises”) développent leur propos : « Ce qui a fini par atterrir à l’écran est le fruit d’une écoute de la nature profonde de la série, de la découverte de nouvelles directions en atelier d’écriture et de l’acceptation de s’élever au-dessus de la préconception qu’on se faisait de la série à ses débuts ». Admettre qu’on peut changer d’avis tout en restant fidèle à soi-même est une marque de grande maturité. Rien d’étonnant alors que cette série malheureusement confidentielle sur les débuts à la fois tâtonnants et vertigineux de l’ère numérique soit aussi une série sur le passage à l’âge adulte.

Dit comme ça, ce n’est peut-être pas très glamour ni très sexy. C’est sans doute un des facteurs qui a joué en défaveur de ce show pourtant bouillonnant de vie et de finesse. Surtout qu’il a souffert dès son lancement d’une comparaison réductrice avec sa grande sœur Mad Men, née sur la même chaîne. Une série historique sur un milieu professionnel, une sophistication esthétique, un anti-héros torride et sulfureux en tête d’affiche, Joe McMillan (interprété par Lee Pace) : si ces éléments sont indiscutablement des composantes qui ont permis à la série d’infiltrer la grille des programmes comme un cheval de Troie, la comparaison s’arrête là. Halt And Catch Fire raconte l’histoire de quatre individualistes – Joe l’opportuniste, Gordon le méthodique, Cameron l’idéaliste et Donna l’ambitieuse – qui vont travailler ensemble à la construction d’un ordinateur open source à l’époque de l’hégémonie d’IBM. Ce quatuor n’a rien de naturel et n’existe que par la volonté toute-puissante de Joe. Lequel est le seul sans aucun savoir-faire mais le seul aussi habité par une vision et par une énergie qu’il entend insuffler de gré ou de force. Persuadé d’avoir réuni les bons éléments pour son projet novateur, il est déterminé à les pousser dans l’aventure. Sur le cours de la série, les équipes vont se défaire, parfois s’affronter, muter et renaître. Les projets aussi.

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«The computer is not the thing, it’s the thing that gets us to the thing », répète souvent Joe. L’ordinateur n’est pas la finalité, c’est le vecteur qui nous y emmène. Mais quelle est donc cette finalité ? La connexion humaine tout simplement. Travailler avec une personne pour se rapprocher d’elle. Pour s’inspirer d’elle. Pour passer du temps avec elle. Pour ne pas être seul. Trouver un moyen de communiquer qui nous corresponde. Établir un langage commun. Le tout, perdu au milieu d’un marché ultra-concurrentiel qui n’aime pas les nuances, qui absorbe et écrase sans état d’âme. Recommencer après l’échec, après les échecs. Trouver son équilibre entre sa vie personnelle et son épanouissement professionnel. Savoir saisir les opportunités sans se renier. Accepter ses erreurs. Admettre qu’on a besoin des autres. Ce sont toutes ces considérations qui sont au cœur de la série. En toile de fond, les scénaristes tissent minutieusement le passage des années 1980 aux années 1990 avec un choix à la fois audacieux et canonique de référentiels socio-politiques et culturels. Comment ne pas frissonner quand Haley Clark, la fille de Gordon et Donna, s’enfonce sous sa couette avec son walkman pour écouter les Breeders?

L’intrigue s’étale donc sur dix ans, avec un jeu habile sur les ellipses, et donne ainsi le temps à ses personnages de grandir. Gordon accepte de ne pas être un génie et apprend à travailler pour la beauté du geste. Donna apprivoise son agressivité comme une composante d’elle-même. Cameron découvre qu’on peut être à la fois autonome et s’ouvrir aux autres. Et Joe parvient enfin à se taire et à écouter. Tous trouvent un équilibre même s’ils terminent à des stades différents de leur vie. Longtemps après la vision des derniers épisodes, il demeure un écho, un questionnement ouvert sur la nécessité de jongler entre le sens que l’on donne à ce que l’on fait, les moyens disponibles pour le faire, et la place que l’on peut ou que l’on décide d’accorder à nos projets professionnels, couronnés de succès, ou non.

Accusant des audiences très faibles et reléguée de la case télévisuelle la plus prestigieuse à la plus confidentielle au cours de sa diffusion, la série se retrouve malgré elle élevée au rang de symbole métaphysique, à l’instar de son titre Halt And Catch Fire qui évoque l’état de surchauffe d’un ordinateur contraint au reboot. Comme une œuvre de l’échec qui parle de l’échec et de la nécessité de poursuivre et sans cesse se réinventer. De plus, la série aborde les questions de diversité, de sexualité et de parité de manière subtile et consciente, mais sans anachronisme. En bref, rarement série sur le monde du travail aura été plus fine et plus puissante. Vous pouvez bien sûr passer à côté, mais ce serait vraiment dommage pour vous.

Halt And Catch Fire (depuis 2014). Série créée par Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers. AMC / Canal+. 4x 10 épisodes de 42 minutes. Saison 4 en cours.

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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