Séries

Peurs sur la ville, rencontre avec Arnaud Malherbe et Marion Festraëts créateurs de Moloch


Une série de combustions spontanées de citoyens sans lien apparent entre eux sème la panique dans une ville française. Louise, une jeune journaliste (Marine Vacth) et un psychiatre endeuillé, Gabriel (Olivier Gourmet) mènent l’enquête. Un point de départ résolument fantastique, rappelant les intros mémorables des premières saisons de X-Files : voilà de quoi détonner dans un paysage fictionnel français habitué aux procéduraux identifiables. 

Les réponses et les thèmes abordés dans la nouvelle série d’Arte Moloch ne seront pas évidents et tiennent aussi au cheminement psychologique des enquêteurs qui – pour une fois – ne sont pas des flics expérimentés et borderline. Le projet était en gestation depuis longtemps et devait être prêt pour le printemps 2020. Entretemps, la pandémie est venue exacerber encore plus la peur des sociétés face à l’inconnu : un thème riche au centre de la création d’Arnaud Malherbe et Marion Festraëts, auparavant vus en arrière-cuisine du drama Chefs, qui a duré 2 saisons sur France 2 (et qui est à nouveau visible sur la dernière-née des plateformes SVOD SALTO). Lors de Série Séries, en juillet 2019, les créateurs de Moloch étaient venus dévoiler plus en détails le projet ainsi qu’une bande-annonce préliminaire. On avait évoqué avec eux leur envie pressante de faire mûrir cette œuvre hors normes et les miroirs tendus à une psyché collective française anxiogène. Entretemps, Moloch est reparti avec le prix du scénario à CANNESERIES.

Lorsque vous avez présenté la série, qui était alors en développement, vous avez dit que vous aviez envie, après Chefs, d’avoir quelque chose qui soit plus onirique, plus mystérieux, qui échappe à un monde aussi réaliste que celui de la cuisine…

Arnaud Malherbe : La série Moloch est née d’une envie de faire quelque chose de singulier et de totalement maîtrisé. Avant même de se poser la question du diffuseur, on s’est demandés quelle série on voulait sans se poser de contrainte. A partir de là, c’est un espace de liberté : on a voulu raconter quelque chose qui soit du fantastique, du spectacle, mais ancré quand même dans un certain nombre de problématiques. Ce sera aux téléspectateurs de dire si on a réussi ou pas, mais on garde ce désir-là, et on a l’impression de ne jamais avoir perdu la raison de faire cette série pour la préparation, l’écriture ou le tournage.

Vous avez eu le parti pris créatif d’ancrer Moloch dans une ville française non identifiable. Est-ce que les effets spéciaux ou les trucages numériques ont permis de vous y aider ?

Arnaud Malherbe : Il y a un tout petit peu maldonne lorsque l’on dit vouloir avoir une ville pas directement identifiable. On a l’impression qu’on va créer une ville de science-fiction. Et je ne sais pas si c’est intuitif, mais je n’avais pas envie que ce soit à Paris. J’avais envie d’aller chercher autre chose : la piscine [vue dans les extraits projetés] est un peu art-déco, on tourne dans une cité un peu différente au niveau de l’architecture. 

Marion Festraëts : Cela vient aussi de la volonté d’éviter le régionalisme. Quand on tourne une série à Paris, on sait que ça se passe à Paris ; on avait pensé au Havre, mais c’est vrai que c’est aisément reconnaissable… Ce qui nous intéressait en terme architectural, c’était la dimension graphique d’une cité-ville qui ne soit pas reconnaissable… On le voit beaucoup à la télé française, même en dehors de la collection « Meurtres à… ». On a un ancrage local qui ne se voit pas autant dans les séries européennes ou anglo-saxonnes. Tous les bâtiments existent vraiment, il n’y a pas de trucage. 

Arnaud Malherbe : C’est un plaisir artistique de dire :  composons quelque chose qui ne soit pas ancrable géographiquement.

Une fois l’univers fort planté, est-ce que le prisme de l’enquête et le regard du personnage féminin incarné par Marine Vacth vous sont venus naturellement ?

A.M. : Je pense que ma toute première idée, c’était de faire un thriller fantastique et mental se déroulant exclusivement dans un cabinet de psy. Après, les sujets ayant évolué, j’ai voulu faire rencontrer ce psy (Olivier Gourmet) avec une journaliste (Marine Vacth), qui est un personnage idéal d’enquête. Ce qui était essentiel pour nous, c’était de marquer un trauma et que les personnages soient marqués par un propos qui fait écho à la thématique du feu. On ne voulait pas des personnages-robots, qui nous traînent dans des lieux déterminés. 

M.F. : C’est une enquête, mais ce n’est pas une enquête policière. Il y a un personnage de policier, mais il est secondaire. On voulait avoir des personnages qui s’interrogent sur les événements, sans pour autant y voir un intérêt professionnel. C’est une façon plus personnelle de rentrer dans l’histoire. On est tous deux d’anciens journalistes de formation et de profession, donc c’est un univers qui nous est familier, et on voit assez peu de représentations réalistes de rédaction. On voulait éviter toutes les mécaniques de polar. 

A.M. : La question fondamentale quand on traite d’un phénomène qui traumatise toute une société, même réduite à l’état de ville, c’est que très vite, on peut se dire ”que font les autorités ?”. Et nous, on essaie de ramener cela aux personnages et leurs propres enjeux.

Il y a eu des séries françaises qui ont tenté de décrire le fonctionnement des rédactions (entre autres Ben sur France 2). Etant donné que l’on vit dans une société qui, en tout cas pour une frange, essaie de remettre de plus en plus en question le travail des médias, que ce soit le travail d’investigation ou même de relai d’informations, est-ce qu’une partie de cette méfiance se retrouve dans la série ?

A.M. : Pas du tout. 

M.F. : Ce n’est pas le sujet de la série, c’est une toile de fond, tout comme la série ne décrit pas le fonctionnement d’un hôpital psychiatrique. On a essayé de dépeindre ces deux univers professionnels au plus juste, on n’a pas vocation à décortiquer le travail des médias. 

Pour en revenir à ce phénomène surnaturel qui cristallise la peur d’une société, est-ce que ce phénomène de méfiance se retrouve dans la série ? il y a des réactions violentes qui se sont produites ici et là en France à la suite des attentats

A.M. : On est forcément nourris de cet impact social et culturel, donc évidemment qu’il y a des choses qui se retrouvent. Ce phénomène d’autocombustion spontanée, qui surgit et peut impacter n’importe qui, peut ramener chacun à sa propre vie. Ce qui me frappe, c’est que l’on traverse plusieurs univers, et plusieurs choses sont dites dans la série. A chaque fois que quelque chose se produisait dans le monde réel, on nous disait que c’était comme dans la série, qu’on avait anticipé. Mais en réalité ce sont des questionnements sociopolitiques permanents.

M.F. : On n’a pas envie d’écrire hors sol, donc l’histoire que l’on raconte entre en résonance avec l’actualité. On avait commencé à l’écrire avant les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, mais une fois que ça a eu lieu, il était impossible de ne pas se poser la question de la résonance avec ce qu’on voulait raconter et de notre positionnement en tant qu’auteurs. Les questions intimes et émotionnelles que les attentats soulevaient ont aussi été traitées pendant l’écriture de la série. 

Le format préféré pour des séries plus expérimentales comme celle-ci sur Arte c’est le 3×52 mn…

M.F. : En l’occurrence, c’est un format intéressant mais il y avait trop de choses que l’on voulait raconter pour cette série-là. Comme c’était une histoire de combustions spontanées, on était renvoyés à des événements comme des salariés de France Télécom qui s’immolaient, la dimension politique du suicide, ces images qu’on pouvait avoir en tête…

Chefs, tout comme Moloch, est produit par CALT qui vous accompagne sur cette série différente à tous points de vue. Est-ce que cette confiance est pratique pour construire et développer la série, trouver son esthétique, son casting ?

A.M. : Il y a une question de confiance réciproque : dans leur jugement, dans notre travail… On gagne un temps précieux et une énergie folle. On va se battre pour les mêmes choses, vouloir parler des mêmes choses. Les choses sont toujours à la bonne place et dans l’intérêt du projet. 

M.F. : Les deux séries, même en étant différentes, ont un point commun : ce sont des séries d’auteurs. On avait déjà l’impression d’avoir insufflé dans Chefs un peu de bizarrerie et une forme d’audace que l’on ne retrouve pas dans une série très grand public.

Moloch (6 épisodes de 52 mn) en diffusion les 22 et 29 octobre sur Arte, et en replay sur arte.tv jusqu’au 27 novembre. DVD et saison 1 en VOD disponible jusqu’au 27 novembre sur Arte VOD

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