Cinéma,  Documentaire

La terre des vertus : Debout, Les Damnés de la Terre

Défini par son réalisateur comme un « conte documentaire », La Terre des vertus nous livre le témoignage de la bataille des habitant•e•s d’Aubervilliers pour sauver leurs jardins ouvriers face au géant destructeur des Jeux olympiques. Les promoteurs convoitent leurs espaces avec le projet d’y construire une piscine olympique et un solarium. Les plans sont dessinés, les devis signés, et les engins de chantier commencent à arriver. Face à la menace des bulldozers, et pour sauver leur coin de nature, les jardiniè•r•e•s se font résistant•e•s. Avec un certain sens de la poésie, sans pour autant occulter la violence de la situation, Vincent Lapize dresse le portrait touchant d’habitant•e•s prêt•e•s à tout pour conserver leur coin de verdure, lieu de rencontres et de luttes. Une histoire vieille comme le monde, et en même temps si contemporaine, du combat d’une population face aux géants du Capitalisme.

JAD (Jardins A Défendre)

Une femme en ciré vert se déplace au milieu des arbres et des herbes hautes. Consciencieusement, à la main, elle défriche, observe et prend soin de l’endroit.  Des silhouettes en gilets oranges, le bruit des machines, des arbres qui tombent, la terre dénudée à la force des bulldozers.

Dès l’ouverture, Vincent Lapize pose les enjeux principaux de son documentaire, les camps qui vont s’y affronter : le chant des oiseaux contre le fracas des machines, les individualités contre les groupes industriels, le fer et le béton contre le bois et la chlorophylle. La Terre des vertus est avant tout le témoignage d’une lutte, de l’invention d’une forme de vivre ensemble, d’un lieu idéal et un hommage à la détermination citoyenne. 

Confronté.e.s à la menace d’expulsion imminente et à la spoliation de leurs terres, les locataires de jardins ouvriers d’Aubervilliers refusent de céder. Ces jardins sont pour elleux plus que des carrés de terre, ce sont des lieux de vie, de rencontres, de transmission, une source nourricière, une richesse pour la biodiversité et une oasis contre des canicules de plus en plus fréquentes.

Alors la résistance s’organise, avec ses tâtonnements, ses inquiétudes, l’espoir des débuts et les désillusions des premières défaites. Pour certain.e.s il s’agit de leur première action militante, pour d’autres c’est l’occasion de transmettre l’expérience d’une vie de luttes.

Dans l’urgence de la situation et face au désespoir de voir ces jardins détruits, iels débattent, tractent, défilent dans la rue, construisent des barricades avec des bottes de paille et de la boue, s’installent dans les jardins pour les occuper, les protéger. Iels entrent dans l’illégalité pour protéger leur lopin de terre et lui rendre un peu de ce qu’elle leur a donné.

Les installations artisanales paraissent dérisoires face aux machines immenses et bruyantes, à la répression policière et à la violence des décisions administratives.

L’engouement des premiers instants de lutte, pour ce petit paradis fragile, terrain de jeu pour les enfants qui découvrent et touchent la terre, où les guitares et les conversations politiques cohabitent avec le chant des oiseaux, est suivi par l’abattement et la colère après les premières destructions de parcelles cultivées. Mais, comme le fait remarquer l’un•e des habitant•e•s : « Il reste encore la terre », alors la lutte reprend, mieux organisé•e•s, toujours déterminé.e.s et surtout, toujours ensemble.

© VRAIVRAI FILMS 2025

Auprès de mon arbre

Véritable plaidoyer pour un droit à la Nature pour toustes et témoignage d’une lutte populaire, La Terre des vertus s’inscrit dans la continuité de l’œuvre du réalisateur, ayant notamment documenté la ZAD de Notre-Dame-des-Landes dans Le Dernier continent (2015)

En posant sa caméra au plus près de ses personnages, en filmant les gestes quotidiens de ces jardinie•r•e•s, la délicatesse d’une main qui touche une plante, une fleur que l’on mange avec gourmandise, les petites bêtes qui peuplent les jardins, la vie qui s’y organise, Vincent Lapize livre une véritable lettre d’amour à ses protagonistes.

Par bribes, le temps d’échanges avec certain•e•s d’entre elleux, on en apprend plus sur leurs  parcours de vie parfois très cabossés, et sur les liens puissants qui les lient aux jardins. Comme le récit de cet ancien ouvrier ayant participé à la construction d’un stade de foot, ayant connu la rue et l’engagement politique sur le tard : il dit considérer les jardins comme un chez-soi. C’est aussi cette femme, réfugiée syrienne, qui plante des oliviers pour honorer la mémoire de son père et avoir un peu de son pays auprès d’elle. Ou encore cette maman déterminée, pour qui il est inconcevable de céder face aux promoteurs, pour tenter d’offrir à sa fille un avenir moins gris.

Toutes ces humanités, dans leurs diversités, leurs joies et leurs peines, communes ou solitaires, touchent et participent énormément à la force de ce documentaire. Toutes sont lié•e•s par une cause commune, le refus d’un avenir où le profit prime sur l’humain, où le béton terrasse la Nature, où le lien social est rompu.

L’idée de ne pas perdre cette transmission, que ce soit celle d’une planète habitable, de ces terres cultivables et accessibles, de ces gestes de botanique et des connaissances de chacun•e•s, est centrale. C’est cette transmission qui transcende les âges, les genres, les origines, qui crée du lien et une communauté. 

© VRAIVRAI FILMS 2025

Il n’y a pas d’herbes folles

Rythmé par des poésies, des chansons, de la musique, dites, jouées ou chantées par les habitant•e•s, le documentaire est empreint d’une poésie à la fois tragique et porteuse d’espoir. Les  apprenti•e•s militant•e•s infusent une forme de beauté et d’art dans leurs actions, jusque dans leurs manifestations prenant tour à tour des airs de carnavals ou de processions funèbres. L’apogée de cette vision presque fantastique de ce combat est un défilé nocturne des habitant•e•s, au flambeau, sous des costumes de chimères, se faisant les gardi•en•ne•s d’un lieu qu’iels se refusent à laisser mourir.

Le travail sur le son, celui des oiseaux, du bruissement des feuilles, de la musique, des chants traditionnels ou de manifestations, des voix qui se répondent, qui se font fortes ou qui bercent, des accents divers des habitant•e•s, est très soigné, très réfléchi. La menace de destruction se matérialise par le bruit des machines au loin, troublant la tranquillité des jardins que les jardinie•re•s tentent de maintenir. Les cris des policiers, le silence de la municipalité, les craquements des arbres abattus… toutes ses sonorités nous rappellent l’équilibre fragile de ce lieu. En les enregistrant, le réalisateur  fixe la mémoire de cette lutte et rend tangible les dangers qui le  menacent.

Sans être naïf, le film de Vincent Lapize invite à croire à un monde où la solidarité, l’altruisme et le partage peuvent encore exister, et où les victoires, même incomplètes, se gagnent ensemble, où les richesses sont collectives. « Il n’y a pas d’herbes folles, ni mauvaises, ni sauvages […] il n’y a que des herbes libres. » (Herbes de Viviane Griveau-Genest, autrice et jardinière des Jardins des Vertus).

Ecrit et réalisé par Vincent Lapize. Musique de Thomas Tilly. France. 1h32. Genre : Documentaire. Distributeur : VRAIVRAI FILMS Sortie en salles le 4 juin 2025

Crédit photo : La Terre des Vertus © VRAIVRAI FILMS 2025

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