amazing-grace-by-les-ecrans-terribles
Films

Amazing Grace : Rendez-vous avec l’histoire

« Peu importe la qualité de ses autres albums, rien n’arrive à la hauteur d’Amazing Grace.” –  Marvin Gaye.


Annoncé comme perdu à jamais depuis des décennies, Amazing Grace, documentaire axé sur l’enregistrement live de l’album mythique d’Aretha Franklin, renaît de ses cendres pour notre plus grand bonheur.

Avant de plonger en profondeur dans le contenu du documentaire, il est important de raconter la genèse de la sortie avortée d’Amazing Grace. Un film annoncé mort et enterré par son réalisateur Sydney Pollack pour un problème tenace de séquençage sonore. Le célèbre réalisateur des Trois jours du Condor ira jusqu’à recruter des spécialistes de lecture labiale pour parfaire la synchronisation. Hélas le problème ne sera jamais réglé. Furieuse, Aretha Franklin bloquera toute tentative de sauvetage du documentaire. La chanteuse en voudra à Sydney Pollack jusqu’à sa mort en 2008. Le clan d’Aretha Franklin  ira jusqu’à qualifier la synchronisation sonore avortée par le réalisateur de “ véritable massacre.”  Il faudra attendre la disparition de la chanteuse en 2018 et la détermination du producteur Alan Elliott pour que les fans puissent enfin visionner l’enregistrement de l’album le plus vendu de la carrière de la Queen Of Soul (2 millions d’exemplaires).

Cet événement s’annonçait alors comme un retour aux sources pour la chanteuse qui a débuté très jeune sa carrière dans le Gospel. Son producteur historique, Jeff Wexler, avait eu la lourde tâche de trouver le lieu d’enregistrement. Il s’était ainsi évertué pendant de longs mois à trouver le cadre parfait afin d’obtenir le côté authentique que la chanteuse recherchait pour cet album. Le choix s’était finalement porté sur Los Angeles et plus précisément sur le quartier pauvre de Watts, en proie en 1972 à un phénomène nouveau, apparu aux alentours de 1969 : l’arrivée massive des gangs dans le quotidien des habitants du sud de la ville.


Première partie : Jeudi 13 janvier 1972

Pour toutes les personnes présentes dans l’église New Temple Missionary Baptist de Los Angeles, cette journée d’enregistrement est annoncée comme un échauffement. Le Révérend James Cleveland, légende absolue du Gospel et personnage central du documentaire avec Aretha Franklin, s’impose dès le début comme le maître de la soirée qu’il annonce comme une chance pour les spectateurs présents dans cette salle plutôt clairsemée. En effet, Aretha Franklin est déjà surnommée la Queen Of Soul, forte de millions d’albums vendus et d’innombrables classiques qui trustent les charts de musique noire-américaine. L’humour maîtrisé à la perfection par le Révérend Cleveland sera le fil conducteur du documentaire. Il commence par annoncer les accompagnateurs pour les deux jours d’enregistrement : le South California Community Choir se présente pour s’asseoir confortablement de façon curieuse derrière le pupitre de la chanteuse. Une façon pour eux aussi d’admirer de plus près Aretha Franklin. La section rythmique, quant à elle, est menée par des musiciens d’exception comme le célèbre batteur Bernard Purdie, le guitariste Cornell Dupree, le bassiste Chuck Rainey et le percussionniste Pancho Morales.

120 cinémas diffusent le concert du 6 au 10 juin 2019 en France :
trouvez votre salle !

Le moment est enfin arrivé, après une énumération des exploits en tous genres de la chanteuse, la native de Memphis s’approche de la scène d’un pas décidé. Dès les premières notes, on comprend que ce concert aura une portée historique. Le révérend et le Southern California Community Choir jouent leurs rôles d’accompagnateurs à la perfection. Le public, plutôt intimidé au départ par la présence de la chanteuse, devient de plus en plus intenable jusqu’à atteindre le point de non-retour avec le morceau “Amazing Grace”, l’un des moments les plus forts du documentaire. Avant de débuter ce titre, le Révérend Cleveland prévient les personnes présentes dans la salle : il va falloir s’accrocher. Et il n’a pas menti. Sydney Pollack, plutôt calme depuis le début du tournage, s’agite et commence à bouger un peu partout pour filmer depuis tous les coins de la salle ce moment de grâce. La salle déjà surchauffée devient irrespirable, le visage d’Aretha Franklin est illuminé par les perles de sueur. Les plans larges réalisés par Sydney Pollack tout au long de cette première journée montrent une envie de représenter ce moment dans un lieu modeste comme un instant solennel.

Ce premier concert mémorable se termine par les remerciements du Révérend Cleveland qui invite les spectateurs présents à revenir le lendemain au même endroit en promettant une soirée encore plus forte.


Seconde partie : Vendredi 14 janvier 1972

Le bouche-à-oreille a fait son effet. La salle est bondée avant le début de concert. L’ambiance est déjà surchauffée, le public piaffe d’impatience pour voir ce miracle qu’on nomme Aretha Franklin. Elle apparaît avec une robe verte et cette fois avec un maquillage plus léger et moins gênant pour une salle aussi chaude. Le Southern California Community est toujours présent pour soutenir la chanteuse. Le Révérend Cleveland est comme d’habitude d’humeur joyeuse. Après avoir assisté aux répétitions, son sourire malicieux donne l’impression qu’il sait déjà que cette soirée aura une portée historique.

Le concert du jour commence doucement par un magnifique duo Franklin/Cleveland avec “Precious Memories”, célèbre composition de JBF Wright datant de 1925. La soirée ira crescendo dans cette église qui sera finalement trop petite pour cet événement. La présence de nombreuses stars (Mick Jagger notamment), invitées par Atlantic Records, témoigne de l’importance de l’événement.  Alors qu’il s’agissait au départ pour la native de Memphis de rendre à la communauté noire-américaine ce qu’elle lui avait offert, le concert se transforme en un moment qui restera gravé dans l’histoire. Malgré la présence remarquée de célébrités dans la salle, Aretha Franklin compte également rendre hommage aux personnes importantes du début de sa carrière. Le Révérend Franklin, père de la chanteuse et accessoirement première star de la famille, est présent dans la salle comme la légende Clara Ward, l’idole de la chanteuse dans son Tennessee natal. Connu pour sa sévérité, le père d’Aretha Franklin se sera évertué à façonner la carrière de sa fille avec une réussite incontestable. D’un pas décidé, il se rend d’ailleurs sur scène, invité par le Révérend Cleveland, pour un discours. Malgré son succès d’antan, il est conscient de la chance d’avoir une fille comme Aretha Franklin : “je serai bête de ne pas être fier d’elle”, explique-t-il. Tout au long de ce discours, la chanteuse redevient la petite fille timide et admirative aux côtés d’un père charismatique et imposant.

amazing-grace-by-les-ecrans-terribles
Le Révérend Franklin et sa fille Aretha. © Amazing Grace Movie, LLC

Après ce puissant discours de plusieurs minutes, le concert peut continuer avec l’exploration de classiques Gospel. La douceur du début du concert est vite remplacée par une ambiance survoltée : les spectateurs ne peuvent plus réprimer les pas de danse. Contrairement à la veille où les musiciens étaient plutôt effacés pour laisser le champ libre à la star du jour, la section rythmique est cette-fois mise à contribution avec les puissants congas de Pancho Morales et la formidable basse de Chuck Rainey.

Pour clôturer cette série de concerts, Aretha Franklin va s’évertuer à montrer sa technique vocale sans failles qui fait déjà sa légende au début des années 70. Dès que les 4 octaves de la chanteuse commencent à faire leur effet, un parfum de folie s’empare de la salle. Mick Jagger, visiblement fasciné, est désormais au premier rang comme un élève studieux. Sydney Pollack est amusé par cette hystérie collective. Il retranscrit à la perfection ce moment en filmant les émotions des spectateurs qui sont exprimées d’une façon à chaque fois différente. Un membre du South California Community Choir se lève de sa chaise pour commencer une danse où il semble possédé par la voix de la Queen Of Soul.

On imagine le sentiment d’Aretha Franklin à ce moment précis. Voir les idoles qu’elle imitait scrupuleusement dans sa jeunesse devenir admiratives devant leur “petite soeur”… Ce moment de communion est ainsi une consécration personnelle pour Aretha Franklin. On assiste à une sorte de passage de relai générationnel à travers cette performance.  Les scènes de transe magnifiquement retranscrites grâce à un montage nerveux rendent les images joyeusement grotesques. La soirée se termine par une bruyante standing-ovation de plusieurs minutes qui donnerait des frissons aux plus frileux.


Projection presse : Jeudi 18 avril 2019

Je sors de la salle complètement sonné par ce documentaire. Je réalise que c’est une chance infinie de pouvoir enfin mettre des images sur ce moment historique de la musique noire-américaine. Avoir eu l’idée géniale d’organiser ce concert dans le quartier pauvre de Watts rend ce moment hautement symbolique. Cela montre qu’il n’est pas important de tourner un concert dans une salle prestigieuse. La modeste église à la décoration dépassée devient un lieu miraculeux avec la performance de la Queen Of Soul.

Ce documentaire est un concentré de symboles, ce qui rend le moment encore plus intense. Amazing Grace raconte, à travers une seule performance, l’histoire d’une musique créée pendant les heures les plus sombres des Etats-Unis. Ce qui était au départ un hommage au Gospel s’est transformé en célébration globale de la musique noire-américaine. J’ai été emporté dans un voyage qui m’a emmené jusqu’aux racines du blues et pour finir dans le soul-jazz dans sa forme la plus stricte. A la sortie, je garde l’impression tenace d’avoir vécu le passé extrêmement tourmenté des Noirs-Américains en accéléré avec Aretha Franklin dans le rôle de conteuse d’histoires porteuses d’espoir mais indéniablement sombres.

Il faut remercier la perspicacité et la ténacité d’Alan Elliott pour nous permettre de vivre ce concert comme si l’on était aux premières loges. Amazing Grace est un objet miraculeux qui se savoure avec force et émotion. Définitivement l’un des événements de l’année.

Amazing Grace. Un film de Alan Elliott. Directeur de la photographie : Sydney Pollack. Distribution : CGR Events. Durée : 1h27. Sortie France : 6 juin 2019.
Photo en Une : Aretha Franklin. Copyright Amazing Grace Movie, LLC.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.