Bad Movies, Good Vibrations
Depuis les années 1980, les studios américains travaillent d’arrache-pied pour produire et distribuer ce qui se fait de plus spectaculaire sur grand écran : des films de super-héros divertissants, des comédies renversantes, en passant par des films d’action excitants. Pas de chance, depuis 10 ans, je tombe toujours sur ce qui se fait de pire.
Les blockbusters d’été ont une valeur particulière pour un enfant ou un adolescent avec peu de possibilités de partir en vacances. C’est une escapade temporaire, un été par procuration et une manière de s’extraire d’un imaginaire goudronné par l’ennui. Alors, quand par erreur vous tombez deux ou trois fois sur des histoires à dormir debout, des personnages à la ramasse et un public surexcité, qu’est-ce qu’on fait ? On laisse béton ? Non, on se rassure en se disant que dans le pire, il existe aussi le meilleur, le plus involontairement drôle, la séance la plus curieuse, le public le plus réactif. Dans cette chronique, je reviens sur deux de mes séances estivales les plus mémorables.
Bad Teacher, bad surprise
Cette histoire de mauvais goût a commencé par hasard. Je ne suis pas trop vacances d’été, à cause de mon anniversaire injustement calé dans cette période où mes amis décident de prendre le large. Pour me consoler, en 2011, ma copine casse sa tirelire pour m’inviter au cinéma et me laisse toute la responsabilité du choix. C’est en Bad Teacher que je place alors ma confiance naïve à cause du casting redoutable et de l’envie de comédie. Géographiquement, le cinéma se situe à quelques kilomètres de chez moi, et c’est toute une aventure pour y aller. Il faut prendre le train et braver des kilomètres de ville jusqu’à la zone commerciale la plus proche pour enfin atterrir devant le multiplexe. Une escapade dont le climax est la future comédie du siècle avec la meilleure compagnie du monde. Que demander de plus ?
Dès les premières minutes, l’excitation redescend. Encéphalogramme plat. Rien ne fonctionne dans Bad Teacher. J’ai vu plus d’alchimie entre de l’huile et de l’eau qu’entre Jason Segel et Cameron Diaz. L’intrigue est scandaleuse : les scénaristes sont partis en vacances et moi, je suis bloqué en banlieue. Le temps passe et le film s’Eternal Sunshine of the Spotless Mind-ise : j’oublie l’histoire au fur et à mesure que je la regarde. Si Bad Teacher est une déception, la séance, elle, reste mémorable. Un groupe de personnes un peu plus âgées que nous, placé quelques rangs devant, s’agite, explose de rire et ça nous surprend un peu au vu de la mollesse générale. A mi-film, une chaussure traverse la salle. Un joyeux drille s’est emparé des souliers d’un de ses camarades afin de les projeter près de l’écran. Le début d’une grande aventure pour cet homme aux pieds nus qui, dans un élan d’adrénaline, enjambe les sièges pour récupérer sa paire de pompes avant de les renvoyer directement sur sa bande avec une précision que ne renierait pas le journaliste Mountazer al-Zaïdi. L’ombre d’une Basket Volante Non identifiée sur la toile avec le visage de Cameron Diaz en gros plan s’imprime sur ma rétine au point que, dix ans plus tard, le souvenir de ce spectacle dans le spectacle reste intact.
Ce groupe a initié une brèche dans ma cinéphilie. J’ai compris que la dimension spectaculaire d’un film ne tenait pas seulement au film mais aussi au spectateur. Le groupe faisait quelque part partie du spectacle et a sauvé notre séance. De fait, Bad Teacher est à l’origine de deux traditions personnelles de la salle de cinéma. La première concerne les étranges tribulations autour des fictions de Jake Kasdan : plusieurs longues histoires impliquant un cousin qui hurle sur des placements de produit Apple dans Sex Tape et une spectatrice de Jumanji, Bienvenue dans la Jungle, à deux phalanges d’exploser les mâchoires d’une bande qui s’amusait à lancer ses affaires devant le projecteur du MK2 Bibliothèque. Qu’est-ce qui poussent les spectateurs des films de Kasdan aux jets de textile ? Mystère. Toujours est-il Bad Teacher est responsable d’une autre fantastique tradition : les étés devant des films mauvais sur grand écran.
Transformers 4 : L’âge de l’extinction
Eté 2014, c’est décidé : ma prochaine séance sera chaotique. Chagriné par deux films d’anniversaire de cape et d’ennuis avec The Dark Knight Rises et Kick Ass 2, et un visionnage improvisé de l’impertinent Natural Born Killer dont mes amis avaient haï les excentricités de montage alors que je les avais trouvé brillantes à l’époque, j’avais envie de leur montrer un film vraiment mauvais, quelque chose dont ils se souviendraient. Et aussi de me moquer un peu. J’enfile donc un costume de super vilain et choisis une séance de Transformers 4 lors d’une journée pluvieuse en Normandie. Pas de soleil, trop de clim’ mais des rires à chaudes larmes toute la séance. Entre les pubs de voitures de luxe, Mark Wahlberg en roue libre, le nombre excessif de plans de dos des personnages féminins, le montage approximatif, le tout dans de vives et dégoulinantes couleurs rouge, jaune et bleu, je ne savais plus où donner de la tête. Absurde au point d’être merveilleux.
Je n’ai aucun souvenir du film là non plus, si ce n’est qu’en plus du ton globalement viriliste les combats sont entrecoupés par des réclames plus ou voyantes. Prend garde Marvel, on a ici les caméos les plus ambitieux du XXIème siècle : un scientifique campé par Stanley Tucci et ses enceintes portables Beats Trademark. Le plus audacieux des placements de produits arrive aux deux tiers du film. Mark Wahlberg, aux commandes d’un vaisseau alien embouti dans un camion, manque de tuer des automobilistes au passage. Pas tellement impressionné par la taille de l’engin ni par la violence de l’accident, un conducteur s’énerve contre le comédien qui s’extrait du vaisseau. Et à partir de là, c’est festival : Mark attrape une Bud Light, la décapsule sur la portière ouverte de l’automobiliste et se pinte en l’affrontant du regard avant de lui rétorquer une phrase du style « tu vas faire quoi ?” et d’exploser la bouteille au sol en s’essuyant la bouche avec le bras. Cerise sur ce gâteau Trade “Marky” Mark ™, tout se déroule avec un immense panneau publicitaire Good Year en fond. Quand j’y repense, mes amis et moi étions sûrement de la même trempe que ce groupe qui chahutait pendant Bad Teacher. Même si tout le monde a gardé ses chaussures aux pieds.
La nostalgie, je n’aime pas ça, les souvenirs me donnent mal à la tête
J’aimerais vous dire que toutes ces séances estivales furent aussi amusantes que celles-ci. Qu’on a trouvé une sorte de remède miracle aux caresses du vent chaud sur nos joues et qu’il vaut mieux se baigner dans un océan de mauvais films que dans n’importe quels lacs, rivières ou mers. Mais la vérité est parfois plus mélancolique. Certains étés, on se voit refuser le vent des vacanciers. Pas d’argent ou trop de boulot. Parfois on doit affronter une pandémie mondiale. On cherche au creux des images le réconfort d’un repos ou d’une aventure manquée. Mais, si c’est souvent par choix que je vais chercher le pire chaque été, c’est à la Warner que je dois une ultime trahison. Suicide Squad, Scoob ! et le ronflant Space Jam : Nouvelle ère déterrent de vieilles licences dans un gloubi-boulga scénaristique et visuel qui peine à devenir l’expérience jouissive qu’il rêverait d’être. Et c’est d’autant plus dommage qu’au moins deux de ses licences reposent sur de l’animation avec des personnages ludiques déjà bien établis et sont souvent portées par des réalisateurs aguerris. Quelle tristesse quand on pense qu’ils pourraient être beaucoup plus flamboyants dans leur médiocrité. Tout est super calibré, mais, de la mise en scène léchée au scénario convenu, les prises de risques artistiques sont mortes dans l’œuf. Je me demande, chaque été : quand les mauvais films redeviendront-ils involontairement merveilleux ? Qui sait, à mon prochain anniversaire peut-être…
Crédits Photo : Bad Teacher © Sony Pictures Releasing France.