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Souvenirs, souvenirs

Berlin, le cinéma, Elena et moi

Le cinéma fait partie de ma vie depuis longtemps.
Berlin aussi.
Je n’imaginais pas forcément qu’un jour les deux puissent être si fortement réunis.

Je vis à Berlin depuis 15 ans. J’étais déjà allée à la Berlinale en tant que spectatrice, mais en 2019 j’ai sauté le pas : j’ai été accréditée presse pour la première fois de ma vie. Cet événement à la fois souhaité et redouté a été l’occasion d’une expérience aussi grisante que fatigante. La compétition officielle ne m’a pas épargnée et ma grogne a parfois tenu de la rage face aux films découverts sur l’écran du Berlinale Palast. Heureusement, j’ai aussi eu l’occasion de m’émerveiller et m’extasier. Et surtout, en avalant ainsi les films sans discontinuer, je réalisais au fil des jours que j’étais bien plus experte que je ne voulais croire. Que je l’étais depuis longtemps, mais que la Berlinale me révélait à moi-même. La succession si rapprochée des films jouait, tout comme le fait d’enregistrer chaque soir un podcast où je mettais non seulement des mots sur mes émotions mais où j’élaborais aussi en direct une pensée. Chaque projection comme chaque enregistrement renforçait une légitimité que je n’avais pas à gagner mais dont je devais me convaincre.

J’ai toujours été passionnée de cinéma, avec une attraction particulière pour la popculture, le cinéma indépendant US et le cinéma asiatique dans sa diversité (un goût stimulé par une année passée à Hong Kong et Kyoto comme jeune fille au pair). Mais entre être boulimique de cinéma et jouer les critiques, il y a un cap que je ne pensais pas pouvoir franchir. Parfois il suffit d’être un peu poussée, trois fois rien, pour découvrir ce qu’on savait déjà, ce qu’on avait toujours en soi. Et ça en vaut la peine, parce qu’il n’y a pas de raison de se laisser confisquer la parole, il n’y a pas de raison de laisser toujours les mêmes écrire et parler, et les laisser se vautrer si souvent dans le consensus… Alors certes, on en n’est jamais à l’abri soi-même, mais l’envie d’exprimer une autre voix est bien là.

Et d’autres voix, des voix inattendues et pourtant passionnantes, j’en ai entendu dans les couloirs de la Berlinale, en tendant bien l’oreille, en étant ouverte à la discussion avec ceux dont on ne se préoccupe pas, ceux que beaucoup ne voient même plus, bien repliés sur leur nombril et convaincus de leur importance. C’est comme ça j’ai découvert Elena, étudiante française qui finissait un semestre de cours à Berlin et avait décidé de profiter de son temps libre pour se faire un peu d’argent. Une agence cherche du monde pour la logistique de la Berlinale, banco ! Avec son allemand rudimentaire mais son anglais bien rôdé, Elena a sa carte à jouer.  Dès mon premier jour, je la repère : son accent ne me trompe pas ! On échange quelques mots. Ca devient un rituel, on se croise tous les jours, on débriefe très vite les films. Je sens qu’elle a du répondant, mais le temps manque ; je dois toujours filer plus vite vers une projection avec mes deux comparses podcastrices, et elle doit préparer la salle pour une nouvelle projection. On se promet trouver un moment pour discuter, je lui demande si elle m’autoriserait à la filmer, elle accepte timidement, comme par politesse.

Il faudra attendre la fin du festival pour que nous parvenions à ce qui sera pour nous deux notre première interview : elle devant la caméra, moi derrière, tout aussi fébriles l’une que l’autre. Au fil de l’enregistrement, Elena m’étonne par sa vivacité, sa précision, sa capacité à lier émotion et raison dans une même démonstration, sans balayer l’un ou l’autre. Elle a d’abord du mal à se sentir légitime, prend des précautions, puis s’affirme de plus en plus. Elle explique la sensation désagréable de “se sentir exclus par certains films”, une expression si juste pour ce que beaucoup de spectateurs ont vécu face à de nombreux films de cette compétition, face à des cinéastes qui se regardent filmer, qui enfilent les perles, ou se complaisent dans le déterminisme ou le fatalisme sans rien proposer. Elle me fait rire aussi : “la partie la plus difficile de mon travail, c’est de ne pas pleurer pendant les films”. Mais chut! Je n’en dis pas plus, je vous laisse la découvrir…

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