Cannes 2023 #5 I Killers of the Flower Moon : Le sang souffle sur la plaine
Cet article a été initialement publié le 22 Mai 2023 à l’occasion de la présentation du film au Festival de Cannes 2023. Il est réédité sous sa version originale pour la sortie en salles du film.
C’est l’un des évènements de cette édition. Lauréat d’une Palme d’or en 76 pour Taxi Driver, Martin Scorsese revient sur la Croisette trois décennies plus tard pour présenter son film hors-compétition. Mais malgré un résultat plastiquement parfait et des acteurs impeccables, on a quelques réserves quant aux intentions du réalisateur.
Au début du XXe siècle, l’Amérique connaît une vague de meurtres qui décime peu à peu la communauté d’Amérindiens Osage d’Oklahoma. Ce peuple de natifs était devenu le plus riche du pays, jouissant alors des quantités de pétrole grouillant sous leurs terres. Le peuple blanc, plus très habitué à l’infériorité sociale, nouait alors avec les Osage des relations amicales ou amoureuses avec des intentions plus ou moins sincères. C’est le cas de Bill Hale (Robert de Niro), qui prend soin de cette communauté avec laquelle il semble vivre en harmonie. L’arrivée de son neveu Ernest (Leonardo DiCaprio) va être l’occasion de l’introduire parmi ces riches Indiens et de déployer un plan sinistre basé sur la cupidité et la trahison.
À la source de ce scénario, il y a le livre-enquête très documenté de David Grann, publié en 2018 et dans laquelle il expose les faits en détails, dans un souci sincère de réparation. C’est sur ce point-là que le film pèche. Là où le livre était concis et minutieux, Scorsese met sa virtuosité à profit pour concevoir une histoire ample, peut-être trop, plus romancée et moins exhaustive. Pendant 3h30, Scorsese déploie, avec tous les grands moyens dont il dispose, un dispositif qui remanie l’histoire afin de privilégier la cause des Osage. Il s’en tient à la version officielle un peu quand ça l’arrange, si bien qu’il oublie de rétablir la vérité. L’histoire officielle fait état d’une trentaine de meurtres mais il y a en réalité des centaines de victimes. On ne parle pas de la course au gain d’un vénal malfaisant, on parle d’une extermination en règle, d’un peuple qui a été spolié et décimé. Pour un projet qui souhaite restituer à ces personnes leurs droits et leur honneur, l’hommage n’est pas à la hauteur. C’est encore plus troublant de voir le réalisateur himself s’accorder une courte apparition qui insiste sur l’aspect émotionnel de cette histoire.
L’autre point faible de Killers of The Flower Moon est d’ailleurs que l’émotion y est souvent absente. La seule qui en soit pourvue est la merveilleuse actrice Lily Gladstone, à la fois cœur battant et colonne vertébrale de ce film. Véritable puits d’émotions, elle incarne son rôle de femme en deuil perpétuel avec une intensité rare. Chez elle, un regard suffit pour incarner la tristesse mêlée d’une rage impuissante. À ses côtés, les deux acteurs fétiches du réalisateur ne déméritent pas. Réunis pour la première fois face-à-face chez leur mentor, ils ont rarement été aussi bons, DiCaprio en nuisible simplet et De Niro en crapule locale. Les voir se donner la réplique est un régal et il apparaît clairement que cette motivation est la raison pour laquelle Scorsese et son coscénariste Eric Roth ont axé l’intrigue sur ces rapports, au détriment de l’enquête qui a une place prépondérante dans le livre. Comme nous l’explique Deadline, c’est Leonardo DiCaprio qui, sous sa casquette de producteur cette fois-ci, a suggéré à Scorsese de privilégier le contexte de cette relation plutôt que la résolution de l’intrigue par l’agent du FBI Tom White qu’incarne Jesse Plemons. En voulant éviter le trope du « sauveur blanc », Scorsese donne de l’épaisseur à son récit mais bâcle son hommage.
Réalisé par Martin Scorsese. Avec Leonardo DiCaprio, Lily Glodstone, Robert De Niro, Jesse Plemons… USA. Durée : 03h26. Genres : Drame, Historique. Distributeur : Paramount Pictures France. Sortie en salle le 18 Octobre 2023.
Crédits Photo : © 2023, Festival de Cannes.