Coming Out by Les Ecrans Terribles
Films

COMING OUT : deux ou trois choses que je sais d’eux

par Gauthier Moindrot

Coming Out a suscité chez moi bien des questions. D’ordre pratique, déjà. Ai-je vraiment envie de le voir ? N’y a-t-il pas un côté un peu sensationnaliste et voyeuriste dans cette juxtaposition de scènes de coming out ? Le film est sorti le 1er mai, nous sommes aujourd’hui le 16. J’ai eu le temps de digérer mes interrogations. Le visionnage a fait naître une autre question, pas moins importante à mes yeux. Comment en parler ? Quel ton employer, quelle forme utiliser ? Il y a des films comme ça qui vous malmènent un peu dans vos habitudes de journaliste, critique, rédacteur, appelez ça comme vous le voulez. Encore plus qu’ils ne vous secouent en tant que spectateur.

Je ne m’adresse pas souvent aux lecteurs à la première personne. Inadaptée, trop familière pour moi. Trop personnelle aussi. Quand on travaille pour un média, on s’efforce (assez naturellement, finalement) de prendre la voix dudit média pour s’exprimer. Si Les Écrans Terribles soutient une oeuvre, c’est parce que je la soutiens en son nom. C’est un peu mégalo et un peu lâche à la fois. Il est toujours un peu facile de se cacher derrière un logo. Cette première personne, ce « je » personnel, je me suis résolu à l’utiliser aujourd’hui. Parce que si Coming Out est bien une chose, c’est personnel. Sur plusieurs plans : ce que les différents acteurs (au sens de ceux qui agissent) du documentaire livrent sur eux est éminemment personnel ; et la manière dont chacun recevra ces témoignages l’est tout autant. Le premier film de Denis Parrot pourra susciter bien des réactions, à n’en pas douter. Elles devraient être très différentes d’un spectateur à l’autre.

J’ai utilisé le terme sensationnaliste un peu plus haut. Je pense que ça peut interpeller. Ces derniers temps, on parle souvent de sensationnalisme lorsque des médias filment un peu trop frontalement des images choc, histoire de racoler et de scotcher les gens qui les regardent devant leur petit écran. On parle de sensationnalisme lorsqu’on se retrouve à la frontière de la bienséance à se demander si moralement, on n’a pas un peu franchi une ligne. Filmer de près un individu en forte détresse émotionnelle, ce n’est pas loin d’être du sensationnalisme. Lorsqu’elle s’apprête à faire son coming out, une personne LGBTQ se trouve généralement dans un état de vulnérabilité extrême, difficile à concevoir pour quiconque ne s’est jamais retrouvé dans cette position. Bien sûr, il y a des milliers de façons de vivre sa sexualité et d’appréhender une manière de l’annoncer. Mais il y a une constante : c’est un moment qui va tout changer. En bien, en mal, peut-être un peu des deux. Souvent, pourtant, rien ne change concrètement : les parents étaient déjà au courant, ou acceptent leur fils ou leur fille sans porter trop d’importance à sa sexualité. Ou du moins sauvent-ils la face et gardent-ils leurs interrogations pour eux (un temps). Mais même lors de l’acceptation, on ne peut plus se cacher. On ne peut plus faire semblant, on ne peut plus jouer le jeu. On est enfin vu pour qui on est. Je défie chacun d’entre vous d’affirmer qu’être soudainement mis à nu n’est pas le sentiment le plus inconfortable du monde.

« Qu’on ait 14, 25 ou 50 ans, faire son coming out est extrêmement dur. Mais vous savez quoi ? Ça ne devrait pas l’être. On ne devrait pas en avoir honte, en avoir peur, et on ne devrait jamais se sentir en danger. »

Luke

Et ça, c’est évidemment dans le cas idéal où tout se passe bien. Un coming out, c’est s’exposer au mieux, mais aussi s’exposer au pire. Aux moqueries, au rejet, à l’incompréhension. À la violence des mots, à la violence des regards, à la violence des gestes. On peut connaître sa famille, on peut avoir foi en ses proches, et faire face à une réaction extrêmement violente. Un coming out, c’est un moment de fébrilité absolue. On peut y aller confiant, se dire que c’est maintenant ou jamais. Se taire est peut-être devenu trop difficile. Le besoin d’être soi-même trop fort. On ne veut plus mentir aux personnes qui sont censées nous aimer le plus au monde. Mais on a peur. On est seul au milieu de tous. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point on se sent seul. Les larmes vont couler, c’est presque certain. Le film de Denis Parrot le montre admirablement. Toutes les familles sont différentes. Tous les adolescents sont différents. La constante, c’est celle-ci : cette mise à nu. Ces nerfs à fleur de peau. Tout un être qui n’exprime que le besoin d’être compris, d’être reconnu, un besoin si viscéral qu’on prend le risque de tout chambouler (voire tout détruire, dans le pire des cas) autour de soi.

Coming Out by Les Ecrans Terribles
« J’ai grandi en pensant que j’étais une erreur. Quand je passais devant un miroir, je ne pouvais pas me regarder car je détestais tout ce que j’y voyais. Je priais toutes les nuits de me réveiller hétéro le matin. Tout ça à cause de la haine que peut contenir le mot “pédé” » . Matthew

J’avais peur que Coming Out soit sensationnaliste dans sa manière de scruter ces adolescents (à l’âge où l’on est le plus instable et fragile), dans un moment charnière et éprouvant de leur existence. Et puis je me suis souvenu que ce n’était pas Denis Parrot qui filmait les comings out d’une dizaine d’adolescents. Ce sont les adolescents eux-mêmes qui se sont mis en scène pour annoncer leur vérité à leurs proches (dans un premier temps) et au monde entier (ensuite). Et ça change tout. Ça change tout, parce que les gros plans, les larmes, les émotions ne sont pas épiés ou arrachés, ils sont consentis et assumés. Chacun à leur manière, les jeunes héros d’un jour ont utilisé les outils technologiques du monde contemporain pour s’exprimer. Pour partager leur témoignage, rappeler à leurs pairs en souffrance qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ne sont pas des erreurs de la nature (même s’ils le pensent, et Dieu sait qu’ils le pensent). Pour se protéger aussi, d’une réaction qui pourrait être trop impulsive. Car des familles homophobes, il y en a. Mais pas sûr qu’elles l’expriment frontalement quand elles ont conscience d’être filmées.

« J’ai horreur que les gens soient contre les gays. Je veux dire… Sérieusement ? Tout le monde est différent. Tout le monde est obsédé par l’idée d’être normal. Mais la normalité n’existe pas. »   

Charlie

Sur les 1200 comings out qu’il a visionnés sur Youtube, Denis Parrot, monteur image de sa profession, n’en a gardé qu’une dizaine. Un travail de patchwork qui a évidemment ses limites : Parrot n’exprime pas de point de vue à proprement parler, mais donne à voir un instantané de notre société des années 2010. Une société dans laquelle annoncer qu’on est gay, lesbienne, bi ou trans fait encore flipper au point qu’on redoute d’en parler à nos propres parents. Et cette image que le film nous renvoie, c’est la nôtre, à tous. La vôtre, la mienne, la leur. Cette douleur, cette souffrance, vive, brutale, qu’on se prend en pleine face, c’est notre société, son intolérance et ses idées arrêtées qui la font perdurer. Et elle fait mal au coeur. « Si vous appelez à propos des droits des homosexuels, mince, vous irez tout droit en enfer ! Dieu déteste les pédés et tous ceux qui les soutiennent » , entend-on sur le répondeur d’une église. « Dans ma famille, j’ai souvent entendu dire que les gays devaient être exterminés, qu’on devrait leur lancer des bombes » , raconte un jeune Russe parti étudier au Canada. « Je t’aime mais je ne te soutiendrai pas et tu vas devoir trouver un autre endroit où vivre » , balance une mère qui n’a pas dû vérifier la définition de « amour » dans le dico. Coming Out m’a davantage mis les larmes à l’oeil en soixante-cinq minutes que toutes les sorties ciné de 2019 so far. Parce qu’il témoigne autant de l’horreur quotidienne vécue par les gays et trans du monde entier qu’il réchauffe le coeur devant la douceur et la tendresse exprimée par certains parents qui trouvent les mots parfaits. Parce qu’il rappelle que le rejet peut être tellement intense que les adolescents queers font exploser les statistiques des tentatives de suicide dans le monde entier. Parce qu’il fait prendre conscience, à ceux qui pourraient l’ignorer du moins, que derrière cette sexualité que les homophobes se plaisent à injurier, il se cache tant de personnalités, de charmes, d’aspérités et de blessures différentes. De personnes, tout simplement.

Après toutes ces larmes et ces sourires chaleureux, une question me trotte encore dans la tête. À qui s’adresse Coming Out ? Denis Parrot ne cache pas son envie de faire bouger les lignes. Je lui souhaite d’y réussir. Mais le film est très ouvertement estampillé LGBTQ (à très juste titre). Ce n’est pas un cheval de Troie, avec une belle histoire gay cachée au sein d’un film grand public. Je redoute qu’il galère à sortir de son public de niche. La communauté gay ira probablement voir le film, mais sa ligne n’a pas besoin d’être bougée. Les intolérants, eux, n’iront clairement pas voir ce documentaire où des pédés, goudous et travelos ruinent la vie de leur famille en assumant leur honteux secret. Mais le monde ne se limite pas aux homophobes et aux gay-friendly. Qu’en est-il de l’entre d’eux ? Se déplacera-t-il au cinéma, ou Coming Out restera-t-il un trésor enfoui au sein de la communauté ? Je m’interroge. Le monde aurait pourtant tellement besoin de se rendre compte de l’état de détresse dans lequel un jeune homme ou une jeune fille peut se trouver à ce moment charnière de sa vie. Tous ces visages déformés par l’émotion, toutes ces révélations m’ont en tout cas ramené à ma propre expérience, à mes propres larmes intarissables et impossibles à contenir alors que je révélais par texto ce secret ténébreux à ma meilleure amie. C’était il y a plus d’une dizaine d’années et je peux encore ressentir le trou dans mon ventre et la boule dans ma gorge. Le monde ne pourra jamais se rendre compte du torrent émotionnel qui accompagne un coming out. Mais si le film de Denis Parrot peut l’aider à le concevoir, ne serait-ce qu’à un infime pourcentage, tout espoir d’amélioration n’est pas perdu.

Coming out. Un film de Denis Parrot.
Sortie France : 1er Mai 2019.
Distributeur : KMBO
Photos : © Dryades Films / Upside Films

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.