Cannes 2018,  Courts métrages

Les Courts de La Semaine : focus sur une sélection à l’ombre de la Croisette

En marge de la compétition officielle, notre équipe a réalisé sa propre sélection parmi les courts métrages présentés à La Semaine de la Critique. De belles découvertes, aux univers hétéroclites, parfois inattendus voire complètement barrés. Au programme, un thriller suisse énigmatique, une invitation dans les « worst toilet » de la Corée, le portrait tourmenté d’un adolescent russe et une course poursuite enragée à moto… dans les Pyrénées !

Mo-Bum-Shi-Min (Exemplary Citizen) de Kim Cheol-hwi (Corée, 12 minutes, 2018)

Le bruit sourd d’un front cogné contre un mur, d’un feutre sur un journal, de nouilles goulûment aspirées, d’une cigarette qui se consume… Pour le spectateur, pas d’autre choix que de tendre l’oreille. C’est ainsi qu’il se retrouve plongé malgré lui au cœur de toilettes particulièrement crasseuses, dans l’arrière-boutique d’un tripot coréen. Quand un haut-parleur annonce le début d’une course hippique, les parieurs se jettent précipitamment vers la sortie. Et voilà qu’un fringant jeune homme pousse la porte, en costume immaculé. Que fait-il donc dans cet affreux cloaque ? Contre toute attente, le «citoyen modèle» saisit une serpillière et entame le nettoyage méticuleux de la zone sinistrée, dont le point d’orgue sera le débouchage d’une cuvette à la main… avec le commentaire radio des courses hippiques en fond sonore pour souligner l’exploit ! Aussi décalé que peu ragoûtant, le premier court métrage de Kim Cheol-hwi manque d’un bon personnage secondaire – l’homme au téléphone est raté – mais s’achève sur un twist grinçant plutôt inattendu. Une drôle d’expérience.

Arthur Bayon

Ya Normalnyi de Michael Borodin (Russie, 20 minutes, 2018)

Sasha, 17 ans, traîne avec sa bande d’amis dans une petite ville russe à l’agonie. Un climat post-URSS, marqué par la misère sociale et le déterminisme. Pour se fondre dans la masse, il joue aux brutes, déserte l’école et passe ses soirées à boire dans un squat. Si son avenir semble décidé d’avance, Sasha rêve d’un destin différent et étudie en secret pour entrer à l’Université. Une ambition violemment condamnée par son père qui le prédestine à l’armée et laisse sa copine, Lisa, perplexe. Pourquoi ne se contente-t-il pas de leur vie ici, comme tout le monde ? Pourquoi n’est-il pas « normal » ? Michael Borodin parvient à créer un portrait saisissant de la Russie contemporaine, meurtrie par la crise économique et l’échec de la transition démocratique qui a laissé les classes populaires sur la touche. L’esthétique léchée et les scènes entre les adolescents sont particulièrement réussies. Le tout embaumé d’un fatalisme on ne peut plus slave qui ne résiste malheureusement pas à la caricature et sombre finalement dans une démonstration pesante.

Léa Casagrande

 

Schächer de Flurin Giger (Suisse, 29 minutes, 2018)

« Si tu ne te réveilles pas, je vais venir chez toi comme un voleur et tu ne sauras pas quand je me jetterai sur toi ». Tel est l’énigmatique synopsis de Schächer. Une injonction mystérieuse dont on pense avoir deviné le sens dès la première scène, lorsqu’un homme masqué vêtu de noir pénètre dans la maison isolée d’un couple de personnes âgées. Et pourtant. A son dénouement, Schächer nous apparaît tout autre, en se dotant d’une approche singulière et poétique de la mort. S’il reste un moment délicat à appréhender dans son récit, ce court métrage ensorcelle dès les premières secondes par sa mise en scène puissante. Avec son hors-champ grinçant et tempétueux, ce huis clos est composé uniquement de plans fixes à la beauté brute et froide, qui accentuent l’impression du temps qui passe et l’atmosphère inquiétante du film. Maîtrisée et hypnotisante, la photographie de Schächer s’accompagne de chants religieux qui emportent le spectateur dans les tourments du protagoniste principal. A 23 ans à peine, le réalisateur Flurin Giger a tout d’un grand et offre un second court métrage sombre, réussi et captivant.

Camille Griner

 

La Persistente de Camille Lugan (France, 22 minutes, 2018)

Une station, isolée quelque part dans les Pyrénées. La Persistente, c’est l’histoire d’une idylle fusionnelle – et improbable – entre un homme, Ivan (campé par l’hypnotique Harold Torres) et sa moto. Moto d’un seul, mais désirée par tous. Alors, quand un rival local lui arrache sa dulcinée à deux roues, Ivan, biker mystérieux aux cheveux d’ébène, n’a qu’un objectif : la récupérer, coûte que coûte. Bien que ce court métrage n’est pas sans rappeler le diabolique pneu tueur en série dans Rubber (2010) de Quentin Dupieux, la réalisatrice Camille Lugan a pour elle de réussir à humaniser une moto en moins de trente minutes et de faire entrer pleinement le spectateur dans une atmosphère surréaliste et dérangeante. Sur fond de montagnes, de roches et d’isolement, les protagonistes se révèlent rapidement plus énigmatiques les uns que les autres, et l’incongruité du récit laisse rapidement place à l’inquiétude, puis la crainte (la moto n’hésite pas à tuer ceux qui osent la « chevaucher » après avoir été arrachée à Ivan). D’une beauté rude et haletante, La Persistente ne laisse pas de marbre et offre le duo le plus étrange et magnifique de cette sélection de courts métrages de la Semaine de la Critique.

Camille Griner

 

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