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Blue Bayou : Désintégration

Après Gook (2016) et Mrs Purple (2019), tous deux passés par le Festival de Sundance, Justin Chon a foulé les festivals de Cannes et Deauville cette année pour y présenter son dernier long métrage Blue Bayou. Un drame made in Louisiana engagé et émouvant qui pêche malheureusement par sa résolution. 

Blue Bayou démarre par un entretien d’embauche entre un carrossier, dont nous ne verrons jamais le visage, et Antonio LeBlanc (Justin Chon), un homme aux traits émaciés et au corps parsemé de tatouages. Interrogé sur son nom de famille et ses origines, Antonio confesse qu’il a été adopté et renommé par des américains étant petit, et qu’il a grandi à Saint Francisville en Louisiane. Face aux questions insistantes et racistes de son possible employeur, il finit par devoir justifier ses origines coréennes, et avoue ensuite avoir été condamné par le passé pour des vols de moto, mais affirme être aujourd’hui dans le droit chemin. Une séquence qui permet au réalisateur de figer les préjugés dont cet homme est quotidiennement victime (et dont il sera victime tout au long du film). Hanté par les fantômes de son pays natal – notamment sa mère qui l’a abandonné de façon particulièrement traumatique et lui apparaît régulièrement en rêves – et son passé de petit malfrat, Antonio tente de se reconstruire et d’affronter ses démons pour subvenir aux besoins de sa femme Kathy (Alicia Vikander), sa belle-fille Jessie (Sydney Kowalske) et son futur bébé. Mais quand il se rebiffe face à Ace (Mark O’Brien), ex compagnon policier de sa femme qui veut passer plus de temps avec sa fille (après avoir lui aussi abandonné sa progéniture), et son collègue véreux (Emory Cohen), Antonio se voit menacé d’expulsion du seul pays dans lequel il se sent chez lui.

Blue Bayou relate l’histoire d’enfants adoptés en Corée du Sud par des Américains. Des enfants qui, une fois adultes, se font expulser sans ménagement, et sont forcés de retourner dans leur pays natal qu’ils ne connaissent pas. Le film dénonce les aberrations administratives qui permettent d’entériner les mesures racistes et déshumanisantes subies par ces personnes adoptées jamais naturalisées américaines. Une situation effectivement intolérable, et étouffée par les autorités, que le réalisateur américain d’origine sud-coréenne démonte cœur et âme. Une volonté d’engagement tout à fait louable, nécessaire et bien amenée dans toute la première partie. Les dialogues comme les silences retranscrivent avec brio la situation précaire du protagoniste principal. Et l’image du film, tournée avec une caméra en 16 mm, capture de façon émouvante et authentique les aléas de cette famille, comme les décors et l’atmosphère de la Nouvelle-Orléans. Nous n’en demandions pas plus à ce film engagé sublimé par sa sensibilité, sa sobriété et sa justesse. Pourtant, Blue Bayou pêche dans la seconde partie de son récit. 

A trop vouloir défendre la cause de ces enfants adoptés, Justin Chon finit malheureusement par faire glisser son personnage touchant et torturé vers un véritable martyr. Notamment aux mains du flic too much campé par Emory Cohen, figure d’autorité imblairable qui s’acharne violemment sur Antonio, suite à un regard de travers au supermarché. Un acharnement excessif, fondé sur une solidarité de mauvaise foi. La séquence finale à l’aéroport est probablement le plus gros bémol du film. Étirée en longueur et sur-dramatisée dans sa forme, cette scène déjà déchirante sur le fond finit par achever le spectateur, qui aurait versé volontiers des larmes à foison s’il ne s’en était pas senti contraint. Le casting reste ceci dit impeccable, avec des performances réussies, notamment de la bluffante Sydney Kowalske et d’Alicia Vikander, dont la fragilité brille une nouvelle fois à l’écran. Malgré ses fausses notes, Blue Bayou met en lumière une situation encore totalement méconnue, et participe à sa façon à l’essor naissant et plus que bienvenu du cinéma coréeano-américain dans le sillage de Minari.

Réalisé par Justin Chon. Avec Justin Chon, Alicia Vikander, Mark O’Brien… États-Unis. 01h58. Genre : Drame. Distributeur : Universal Pictures International France. Présenté dans la Sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021. Sortie le 15 Septembre 2021.

Crédits Photo : © 2021 Focus Features, LLC.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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