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Coupez ! : La déclaration d’amour sous hémoglobine d’Hazanavicius

Avec toute sa dérision et son amour inconsidéré pour le ridicule-qui-ne-tue-pas, Michel Hazanavicius revient en force avec Coupez !, dont les espiègleries devraient à coup sûr diviser les spectateurs. Gamin et malaisant ou tendre et déluré ? Et si c’était tout ça à la fois ? Critique à chaud avec spoilers.

Pour être honnête, quand j’ai lu « ouverture du Festival de Cannes » et « film de zombies » dans la même phrase, j’en ai eu des sueurs froides. Le souvenir douloureux de The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch était encore sensible, même trois ans plus tard. J’ai bien essayé de me dire que Michel Hazanavicius n’était pas n’importe qui, qu’il allait faire ça bien, que le décalage entre le genre et l’homme derrière la caméra était assez fort pour que la proposition soit originale ou audacieuse (voire, idéalement, les deux à la fois). Mais après tout, c’était déjà le cas avec Jarmusch… Ceux qui connaissent Ne coupez pas ! de Shin’ichirō Ueda, dont le film est adapté, savent pertinemment ce qui les attend. Ce n’était pas mon cas. Hormis quelques teasers criards peu rassurants et un pitch étonnant mentionnant un tournage de film d’horreur et de vrais zombies, je n’en savais pas grand chose. Force est de constater que Coupez ! réserve son lot de surprises, qu’il est difficile de ne pas aborder pour embrasser toutes les dimensions de l’œuvre. À tous ceux qui voudraient en savoir le moins possible, je vais être gentils. Vous pouvez arrêter la lecture ici avant qu’on entre dans les détails, avec ce très court résumé en cadeau : le film est cool et malin, allez-y !

Pour les autres, Coupez ! s’ouvre donc sur le tournage du film d’horreur en question. Une vraie série Z, fauchée, risible, mal interprétée et à l’image saturée, dans lequel Bérénice Béjo, Finnegan Oldfield et Matilda Lutz, ou plutôt les acteurs qu’ils incarnent, se démènent tant bien que mal (surtout mal) avec un script bordélique, un réalisateur extrême (Romain Duris), de faux zombies craignos et leurs potes transformés en véritables morts-vivants. Les personnages ont des noms japonais, les créatures ressemblent à des Schtroumpfs géants avec dentiers fournis par le magasin de farces et attrapes du coin, le sang gicle et la gerbe éclabousse… Bref, rien ne va et personne n’y croit. Le spectateur, lui, a un choix à faire : continuer de se demander ce qu’il fout là ou accepter de se prêter au jeu. Celui d’un pastiche de film d’horreur bordélique, mal foutu et malaisant, comme un hommage à un genre globalement mal-aimé, quoique prisé par quelques aficionados, mais qui vibre d’un amour palpable du cinéma sous toutes ses formes, même les moins glorieuses. Et l’on pense alors avoir saisi le film, saisi le geste de Michel Hazanavicius, ce grand amoureux du septième art, du second degré et du ridicule, qui parvient ici à réunir ses trois passions dans un maelstrom de réactions incompréhensibles et de couleurs criardes. Et on se marre devant cet hommage vibrant et décomplexé, comme une récréation cinématographique géante, le genre qu’on aurait pu entreprendre à seize ans avec trois potes un peu trop enthousiastes, une caméra de fortune et une bouteille de ketchup.

Mais contre toute attente, Coupez ! se révèle rapidement comme un film à tiroirs et bouleverse sans ménagement ce que l’on pensait avoir compris pour dévoiler les raisons puis les coulisses du tournage auquel on vient d’assister. Celui d’une œuvre tournée en direct et en plan-séquence, toujours sans moyen ni personnel compétent (et sans beaucoup de jugeote). Pendant son heure restante, Coupez ! reprend son sérieux et remet tout en contexte : la production chaotique, les comédiens relous, le script en retravail constant. Et finalement, les trente premières minutes du film nous apparaissent sous un nouveau jour. Tout ce qui nous a fait rire de malaise et de mauvais goût prend désormais une autre dimension. Les impros à deux balles, les mouvements de caméra qui filent la nausée, les objets qui sortent de nulle part : tout fait sens, et d’un rire gêné et gamin, on passe à un rire de connivence, un rire de compassion, un rire de surprise. Le film fait peau neuve, et ce que l’on prenait pour un hommage au septième art sous toutes ses formes se mue finalement en une déclaration d’amour au cinéma comme art de la démerde et de la passion, et comme effort collectif qui fait que, malgré les egos, les imprévus, les directives sans queue ni tête, malgré les faux pas, les bras cassés et les tire-au-flanc, à la fin du tournage, on aura accompli quelque chose. Une œuvre imparfaite mais collective, qui sera aimée ou détestée mais réalisée avec ferveur, implication et inventivité. Coupez ! offre son cœur à toute cette équipe, ni toujours enjouée ni super compétente, dont le réalisateur serait un chef d’orchestre à la fois impulsif, passionné mais certainement pas moins névrosé ou en crise que les autres. De là à tresser en fond le portrait d’Hazanavicius lui-même ? Au regard des fours du Redoutable et du Prince oublié, bien loin des succès d’OSS 117 et The Artist il y a plus de dix ans, on est tenté de se poser la question…

Réalisé par Michel Hazanavicius. Avec Romain Duris, Bérénice Béjo, Finnegan Oldfield, Matilda Lutz, Sébastien Chassagne, Grégory Gadebois, Jean-Pascal Zadi… France. 01h50. Genre : Comédie. Distributeur : Pan Distribution. Film d’ouverture Hors-Compétition au Festival de Cannes 2022. Sortie le 18 mai 2022.

Crédits Photo : © Lisa Ritaine.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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