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Débâcle : Corps silencieux, esprit hurlant

Pour la première fois derrière la caméra, la comédienne belge Veerle Baetens s’attèle à l’adaptation du roman choc à succès de Lize Spit, Débâcle. En découle un drame rude au montage subtil qui décuple la tension et le mystère du récit jusqu’à son acte final insoutenable.

N’ayant ni lu le livre, ni vu la bande annonce avant de visionner Débâcle, appâtée seulement par son synopsis empli de mystère et la curiosité de découvrir les premiers pas de Veerle Baetens (que j’affectionne beaucoup) derrière la caméra, je vais donc tâcher d’être concise sans spoiler afin de restituer au mieux mes ressentis. Je peux tout de même vous annoncer que Débâcle m’a terrassé, et que je suis sortie de la projection aussi triste que révoltée (mais j’y reviendrai un peu plus tard). Le film relate l’histoire d’Eva (campée brillamment par Rosa Marchant enfant, et Charlotte de Bruyne adulte) qui, de nombreuses années après un été où tout a basculé, retourne pour la première fois dans son village natal avec une glacière contenant un énorme bloc de glace dans son coffre, déterminée à affronter son passé. On découvre dans un premier temps une adulte esseulée et taiseuse, presque antipathique, qui semble avoir du mal à s’ouvrir aux autres. Le manque d’assurance de la jeune femme, filmée constamment en plan rapproché dans des tons froids, est flagrant et les premières minutes du long métrage nous font rapidement entrer dans la bulle d’Eva, à ce moment là encore bien mystérieuse. Lorsque l’on passe à la seconde temporalité du film, celle où Eva est enfant, la caméra s’éloigne au départ de la protagoniste, capturée la plupart du temps en plan large, pour mieux s’en rapprocher ensuite, la bloquant progressivement dans le cadre. Les séquences de la jeunesse d’Eva brillent par leurs nuances gaies et chaleureuses, créant un contrepoint malin pour ne jamais rendre l’atmosphère générale plus pesante qu’elle ne l’est déjà.

La double narration, appuyée par un montage habile, confine peu à peu le personnage principal comme le spectateur et conduit inéluctablement vers sa révélation d’une intense violence, difficile à regarder. On comprend alors pourquoi Débâcle est, depuis sa première au Festival de Sundance, aussi clivant auprès des spectateurs. D’autant plus lorsque cet acte se prolonge par le coup final du plan orchestré par Eva, anéantie à l’âge de 13 ans. Âge auquel la dynamique de son groupe d’amis a changé à jamais, redistribuant les cartes et les rapports de force entre les adolescents, jusqu’alors soudés par une amitié sans faille, qui vire à ce moment-ci dans la violence et se solde par la lâcheté de tout son entourage. Débâcle ne fera pas l’unanimité par ses thèmes abordés de façon très frontale à l’image. Certains y verront un geste cinématographique sadique empreint d’un surplus de misérabilisme et de noirceur, où la réalisatrice se complait à choquer et secouer les spectateurs dans une déferlante de négativité. Le final du film m’a en effet terrassé par son manque d’espoir et d’ondes positives, ayant vécu le même traumatisme qu’Eva dans d’autres circonstances. Malgré cela, c’est omettre que Veerle Baetens dresse surtout le portrait sincère d’une préadolescente terriblement seule dans un milieu modeste toxique où l’amour, la compréhension et l’attention pour elle ne sont pas de mise. Par sa mise en scène et son déroulé scénaristique en deux temporalités, la réalisatrice belge laisse entrevoir sa profonde compassion pour Eva et sa solitude infinie, broyée et sacrifiée sans que personne ne lui ai jamais tendu la main. Rongée de l’intérieur, la jeune femme enfouit ses souffrances et devient alors une personne mutique à l’esprit hurlant qu’aucun ne s’est donné la peine d’entendre. Le foudroiement est total, et il est difficile d’en redescendre à l’arrivée du générique final.

Pour info, la sortie en salles du film s’accompagne pour la première fois du dispositif « ciné-safe », permettant après la séance de discuter avec une association de prévention spécialisée, de se documenter et d’échanger avec d’autres spectateurs.rices si vous en ressentez le besoin. Les séances « ciné-safe » sont indiquées sur la page Facebook de La Grande Distribution.

Réalisé par Veerle Baetens. Avec Charlotte De Bruyne, Rosa Marchant, Amber Metdepenningen… Belgique, Pays-Bas. 01h51. Genre : Drame. Distributeur : Jour2Fête. Interdit aux moins de 12 ans. Sortie le 28 Février 2024.

Crédits Photo : © Thomas Sweertvaegher I Savage Film.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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