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Nitram : No gun, no pain

Présenté en Compétition au Festival de Cannes 2021, Nitram est reparti avec le Prix d’Interprétation Masculine pour la performance intense de Caleb Landry Jones. En renouant avec la mise en scène de son premier long métrage Les Crimes de Snowtown (2011), Justin Kurzel livre un thriller glaçant et percutant inspiré du massacre de Port-Arthur le 28 avril 1996 en Tasmanie.

Milieu des années 1990, en Australie. Nitram (Caleb Landry Jones) vit chez ses parents, où le temps passe lentement entre solitude et frustration. Quand il ne joue pas avec des feux d’artifices ou ne zone pas sur la plage, il propose ses services comme jardinier pour gagner trois sous. C’est par ce biais qu’il rencontre Helen (Essie Davis), une héritière marginale qui vit seule dans une immense maison avec sa tribu de chiens et son chat. Ensemble, ils se construisent un monde à part. Mais lorsqu’Helen disparaît tragiquement, la colère et la solitude de Nitram prennent le dessus et une longue descente, qui va le mener au pire, commence alors. Dès les premières séquences, Nitram nous apparaît rapidement comme un être ambivalent : désaxé et flippant d’un côté, fragile et incompris de l’autre. Cette dualité constante permet au film de faire monter crescendo le suspens et l’appréhension du moindre fait et geste de ce protagoniste impulsif et imprévisible, qui provoque régulièrement des regards d’effroi dans les yeux des spectateurs et ceux de ses parents.

S’il est plutôt taiseux et observateur, son regard perçant et inquiétant en dit long sur l’état d’esprit de ce jeune homme en perdition dont on redoute la goutte qui fera déborder tout son être. A l’image de ses géniteurs qui ne savent pas comment le prendre, Nitram essaie pourtant de s’intégrer maladroitement dans une société qui le rejette constamment, exception faite d’Helen. Un personnage complexe campé avec brio par Caleb Landry Jones (Get Out, 3 Billboards, Les Panneaux de la Vengeance), qui signe ici une prestation magistrale. Il faut aussi dire que sa « gueule », dont il sait habilement se servir, offre une dimension supplémentaire à son personnage, ses traits étant aussi durs que fascinants. Jamais un homme mangeant une salade de fruits ne vous fera autant frémir.

Nitram prend des allures de compte à rebours, celui d’un homme fragile et isolé qui va finir par tenter de trouver des réponses dans une violence extrême. Un projet dont la noirceur est décuplée par la mise en scène naturaliste, la puissance du hors-champ et la richesse du travail sur l’atmosphère sonore du film, offrant un contrepoint efficace au suspens et au malaise générés par l’intrigue. La noirceur humaine est sondée constamment par le réalisateur et passe par une séquence sidérante qui donne des sueurs froides, celle où Nitram réussit à se procurer des armes à feu sans permis avec une facilité déconcertante. Une scène terrifiante qui met en lumière le message jusqu’alors enfoui de l’intrigue, celui d’un film anti armes à feu. Un message sous-jacent puissant et sans doute nécessaire lorsqu’on apprend à la fin du film qu’il y a plus d’armes à feu détenues en Australie aujourd’hui qu’en 1996, malgré une révision de la législation du port d’armes et l’adoption du National Firearms Agreement en Australie suite au massacre de Port-Arthur. Une réforme qui n’a cependant jamais été véritablement suivie par les États signataires et laisse la porte ouverte à ce genre d’événements macabres.

Réalisé par Justin Kurzel. Avec Caleb Landry Jones, Essie Davis, Judy Davis, Anthony LaPaglia… Australie. 01h50. Genres : Drame, Thriller. Distributeur : Ad Vitam. Prix d’Interprétation Masculine au Festival de Cannes 2021. Interdit aux moins de 12 ans. Sortie le 11 Mai 2022.

Crédits Photo : © Ben Saunders.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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