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Petite Nature : La Grande Évasion

Article mis à jour le 9 Mars 2022.

Après Party Girl (2013), écrit et réalisé aux côtés de Marie Amachoukeli et Claire Burger, Samuel Theis revient en solo dans les salles obscures avec Petite Nature. Dans ce deuxième long métrage, le réalisateur continue de mettre en lumière la classe populaire basée dans sa ville natale de Forbach dans un drame social pudique et rebelle d’une grande authenticité. Critique à chaud avec quelques spoilers.

Johnny (Aliocha Reinert) a dix ans et malgré son jeune âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes gravitant autour de lui. Dans sa cité HLM en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa mère Sonia (Mélissa Olexa). Le blondinet intègre la classe de Monsieur Adamski (Antoine Reinartz), un jeune titulaire qui croit en lui et avec lequel il pousse la porte d’un nouveau monde. Après avoir filmé sa famille, et notamment sa mère, dans le remarqué Party Girl, Samuel Theis continue de revisiter son enfance dans un nouveau projet autobiographique qui prend ceci dit plus de libertés que son premier film. Il interroge ici la naissance du désir d’émancipation d’un enfant. Une envie de partir qui passe par l’éveil intellectuel, affectif et sexuel de son protagoniste principal. Sujet délicat, voire casse-gueule à l’ère post #MeToo et des nombreuses affaires d’incestes ou d’abus sexuels sur adultes et mineurs qui suscitent de plus en plus le débat public. Mais Samuel Theis choisit de relever un gros défi et filme ici le désir d’un enfant, en manque d’attention et de cadre familial, pour un adulte qui croit en lui et en ses capacités. Une attirance au départ moins sexuelle qu’intellectuelle, qui se mue finalement en une véritable attraction et fascination de l’élève pour son maître, Johnny n’hésitant pas à se cacher dans la végétation environnant la maison de Monsieur Adamski pour l’observer, ou profiter d’une engueulade avec sa mère pour mieux se réfugier chez son instit’. Un crush à sens unique face auquel son professeur tombe des nues lorsque le jeune garçon prend son courage à deux mains et se déclare de façon gauche avant d’être rapidement mis dehors avec perte et fracas par son instituteur choqué. 

Si un tel sujet au cinéma peut laisser craindre le malaise, le réalisateur lorrain parvient à le rendre captivant et révolté en choisissant une mise en scène naturaliste et énergique au plus près du jeune garçon, attrapant la moindre de ses émotions avec une très grande finesse. Il faut dire qu’Aliocha Reinert, véritable révélation du film, colle merveilleusement à son personnage. Chevelure longue et blonde, sa délicatesse et sa maturité donnent chair à un rôle complexe. Intense et sensible, le jeune comédien irradie l’écran de son naturel et offre une authenticité bluffante à l’histoire de ce préadolescent en quête de lui-même. Une remise en question qui s’accompagne de la honte de sa classe sociale d’origine, puisqu’il est intimement convaincu de mériter mieux que sa vie actuelle. Il ne s’en cache d’ailleurs jamais, comme lorsqu’il lance à sa génitrice qu’il ne veut pas faire un « métier de merde » comme elle. Une ambition louable mais ingrate, parfois dure à observer, tant sa mère se démène comme elle peut pour ses trois enfants. Autant de contradictions profondes qui obligent Johnny à faire des choix avant de finalement s’échapper par le biais du milieu scolaire, où il a l’impression d’être perçu comme il souhaite profondément l’être. Cette avancée se révèle pourtant douce-amère, puisque le jeune homme choisit de se détourner de sa famille, convaincu que son avenir doit se construire ailleurs. Une éclosion qui donne lieu à un instant de grâce dans la séquence finale du film, au doux son de Child In Time de Deep Purple. Petite Nature (titre largement ironique) livre avec subtilité la pulsion de vie d’un enfant instinctif et déterminé, qui n’a finalement besoin que d’un peu d’attention et fait preuve d’une force bouleversante pour forcer le destin.

Réalisé par Samuel Theis. Avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa, Izïa Higelin… France. 01h35. Genres : Drame, Comédie. Distributeur : Ad Vitam. Présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2021. Sortie le 9 Mars 2022.

Crédits Photo : © 2021 Avenue B Productions – France 3 Cinéma.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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