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Suprêmes : Biopic « Authentik » ?

Pour son septième long-métrage, Audrey Estrougo s’est lancée dans une aventure périlleuse : conter par le biais de la fiction les premières années du groupe NTM. Suprêmes a-t-il réussi à nous donner la fièvre pendant une heure cinquante-deux ? Verdict ci-dessous.

1989. Dans les cités déshéritées du 93. Quand ils ne graffent pas dans le métro ou ne dansent pas sur des bancs bétonnés, Bruno Lopes (Sandor Funtek) et Didier Morville (Théo Christine) grattent des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Le mouvement hip-hop débarque à peine dans l’Hexagone, mais les punchlines enflammées des deux copains ne tardent pas à galvaniser les foules et à se heurter aux autorités. Le Suprême NTM naît de cette rage et déferle sur la France comme une bombe, sans que personne ne se soit douté qu’une telle déflagration musicale puisse être possible à l’époque. Audrey Estrougo se frotte ici à l’un des groupes précurseurs les plus légendaires du rap français et s’attèle à la lourde tâche de conter les premières années du groupe fondé par Kool Shen et Joey Starr. Sous la houlette des deux véritables rappeurs et de leur beatmaker DJ S, le scénario de Suprêmes a tout pour faire un biopic musical captivant. D’autant plus lorsque la réalisatrice fait le choix de cloisonner son projet des premières années de NTM (ils étaient alors trente-trois membres au sein du groupe) au premier Zénith parisien le 24 Janvier 1992. Prémices d’un mastodonte sonore, de quoi émoustiller n’importe quel initié. Pourtant, Suprêmes pêche par son récit trop lisse, alors que la matière était fort dense.

Malgré une mise en scène énergique, notamment lors des séquences de concerts desquelles émanent l’esprit sauvage et brut des deux piliers du groupe, le film ne prend jamais véritablement de risques et reste très (trop) descriptif comme une page Wikipédia. Un initié n’apprendra donc rien de plus et on se dit alors – à regrets, et pour se réconforter peut-être – que Suprêmes trouvera sans doute son public auprès de ceux qui ne connaissent pas NTM. Seule une séquence en travelling nous montre un aperçu du quotidien des banlieues : Joey Starr traverse sans sourciller une rue tandis que des groupes de jeunes se font contrôler et agresser en arrière-plan par des policiers. On se dit alors que la réalisatrice aurait peut-être ajouté un côté acéré à son biopic en axant plus son projet sur l’atmosphère brûlante des zones péri-urbaines en déshérence, théâtre de nombreuses exactions des autorités. L’annihilation complète de la dimension politique dans laquelle émerge le groupe assèche le film et l’empêche de prendre une dimension vraiment moderne.

Si Suprêmes coche la case du biopic calibré sans surprise, on reste ceci dit éblouis par les prestations bluffantes de Sandor Funtek dans la peau de Kool Shen et de Théo Christine en Joey Starr. Les deux jeunes comédiens se fondent sous les légendes qu’ils incarnent et on y croit à chaque instant. Ils ne sont d’ailleurs jamais aussi bons que sur scène, à rapper tandis que leurs corps s’entrechoquent. C’est là que Suprêmes nous donne véritablement la fièvre. Alors que l’un retranscrit à merveille le sérieux, le calme et le côté bûcheur de Kool Shen, l’autre parvient à illustrer parfaitement l’ambivalence bestiale et fragile de Joey Starr. Le film prend évidemment rapidement Didier Morville comme protagoniste principal : son nomadisme, ses démons, sa quête de reconnaissance paternelle continuelle, ses excès jusqu’à vider ses tripes seul sur scène… Une omniprésence qui avale progressivement la toile de fond et le groupe. Malgré l’amour qu’on sent sincère d’Audrey Estrougo pour NTM, on regrette que le film ne s’attarde pas un peu plus sur les nineties made in France, une décennie qui s’avèrera cruciale pour le rap français, et le côté ouvertement « haut parleur générationnel » du groupe NTM. Cela aurait apporté électricité et densité à cette histoire mythique qui ne manque pourtant pas d’authenticité.

Réalisé par Audrey Estrougo. Avec Théo Christine, Sandor Funtek, Félix Lefebvre… France. 01h52. Genre : Biopic. Distributeur : Sony Pictures Releasing France. Présenté en séance de minuit au Festival de Cannes 2021. Sortie le 24 Novembre 2021.

Crédits Photo : © Gianni Giardinelli / Sony Pictures Entertainment France.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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