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Critiques croisées : Drive-Away Dolls / Le Jour où j’ai rencontré ma Mère

Le printemps est là et, avec lui, viennent les beaux jours et les envies d’escapades. En ce mois d’avril, deux road movies mettant en vedette des femmes sortent dans les salles obscures : Drive-Away Dolls d’Ethan Coen et Le Jour où j’ai rencontré ma Mère de Zara Dwinger. Notre rédactrice Camille Griner vous donne son avis sur ces projets riches en bitume, en divertissements et en personnages féminins hauts en couleurs.

Drive-Away Dolls

L’exubérante Jamie (Margaret Qualley) et son amie Marian (Geraldine Viswanathan), moins bien dans ses baskets que la première, sont en quête d’un nouveau départ et se lancent dans un road trip improvisé jusqu’à Tallahassee en Floride. Mais les choses tournent au vinaigre lorsqu’elles croisent en chemin un groupe de bras cassés criminels. L’annonce de la séparation des frères Coen en 2021 a attristé de nombreux férus de leur cinéma. Après The Tragedy of Macbeth (2022), premier projet solo de Joel Coen, c’est au tour de son frangin Ethan de franchir le pas avec Drive-Away Dolls, une « série B lesbienne » coécrite avec sa compagne Tricia Cooke il y a plusieurs années. Malgré son côté très divertissant peuplé de multiples rebondissements, son casting épatant ponctué de guests en roue libre (Pedro Pascal, Matt Damon et Miley Cyrus), sa galerie de losers magnifiés, sa mise en scène colorée et effrénée, et son maître renommé de la comédie noire derrière la caméra, Drive-Away Dolls souffre pourtant du côté caricatural de ses deux protagonistes principales et on en vient même à soupçonner le film d’user un peu de queerbaiting. On sent par endroits que le scénario a en effet quelques décennies au compteur, à commencer par la volonté sans faille de Jamie à vouloir dévergonder sexuellement Marian afin qu’elle devienne plus détendue et cool. Drive-Away Dolls est certes bercé par l’esthétique des films des années 1970, ce qui n’est pas pour déplaire, mais le fond mérite une petite mise à jour. Rythmées et parfois drôles, certaines séquences comiques tombent pourtant à l’eau, éclopées par une certaine ringardise et un manque d’originalité, tandis que d’autres s’offrent quelques fulgurances visuelles et narratives bienvenues. On est donc mi-figue mi-raisin sur ce premier opus en solitaire du cadet Coen, sauvé du véritable accident de parcours par le burlesque de certains de ses personnages et leurs dialogues farfelus, que le cinéaste manie toujours habilement. Les adorateurs de l’univers des Coen se contenteront de cette petite sortie de route en attendant les prochains projets, et surtout l’éventuelle réunion d’Ethan et Joel.

Réalisé par Ethan Coen. Avec Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Joey Slotnick… États-Unis. 01h24. Genres : Action, Comédie, Thriller. Distributeur : Universal Pictures International France. Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs. Sortie le 3 Avril 2024.

Le Jour où j’ai rencontré ma Mère

Attention, spoiler, on tient là une petite pépite d’Europe de l’Est ! Pour son premier long métrage, la réalisatrice et scénariste Zara Dwinger nous embarque dans un road movie aussi impromptu qu’endiablé des Pays-Bas à la Pologne aux côtés de Lu (Rosa van Leeuwen), 11 ans, et de sa mère Karina (Frieda Barnhard), cascadeuse hollywoodienne aux allures de babydoll des seventies. Une aventure lancée à l’improviste lorsque Karina rend enfin visite à sa fille dans son foyer d’accueil, après l’avoir planté maintes fois, et décide pour l’occasion de l’emmener jusqu’à la maison de la grand-mère polonaise de Lu sans demander l’accord de personne. Le Jour où j’ai rencontré ma Mère nous emmène rapidement dans l’univers de faux semblants et de fuite de la réalité de Karina, se mélangeant subtilement à l’imaginaire débordant de sa fille. Le cocktail est rafraîchissant et à des miles du drame social typique mettant en vedette un énième enfant ballotté par la vie qui va devoir mûrir plus vite que les autres. Nos deux hors-la-loi touchantes et solaires vont faire ensemble les quatre-cents coups, du camouflage sous des perruques pour ne pas être attrapées au resto basket, mais voilà, les pérégrinations finissent par perdre de leurs saveurs. Vient alors le moment d’un choix crucial pour Lu : celui de continuer à l’aveugle auprès de sa maman, portée par l’amour inconditionnel qu’elle lui porte, ou de se tourner vers des perspectives futures plus constructives. En adoptant le point de vue de la jeune fille, Zara Dwinger laisse poindre le côté sombre de son récit derrière son esthétique rétro et ses paysages désertiques rappelant de lointaines contrées américaines : celui du voyage initiatique d’une enfant qui transforme progressivement l’image fantasmée de sa maman adorée en un être humain « lambda » peuplé de failles. Imprégnés par cette mutation progressive du modèle maternelle, Lu comme le spectateur s’interrogent avec tendresse sur le passé et le présent de cette femme spontanée, imprévisible et émouvante, bercée par la musique de Dusty Springfield et l’aura de Bonnie & Clyde. Une épopée douce et jolie qui nous rappelle que de petites attentions valent plus que moult promesses.

Réalisé par Zara Dwinger. Avec Frieda Barnhard, Rosa van Leeuwen, Aisa Winter… Pays-Bas. 01h31. Genres : Comédie dramatique, Famille. Distributeur : Les Films du Préau. Sortie le 17 Avril 2024.

Crédits Photo : Drive-Away Dolls © 2023 Focus Features. LLC / Le Jour où j’ai rencontré ma Mère © Les Films du Préau.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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