Edmond by Les Ecrans Terribles
Films

EDMOND : de la scène à l’écran, une transition réussie

Premier long métrage du metteur en scène de théâtre Alexis Michalik, Edmond est l’adaptation de sa pièce éponyme, multi-récompensée aux Molières 2017. Si le passage du théâtre au cinéma, pratique plutôt courante, peut être périlleuse, Edmond réussit ce virage à la perfection en suivant la genèse tumultueuse de Cyrano de Bergerac, entre réalité biographique et fiction.

Décembre 1897, Edmond Rostand, dramaturge et poète, n’a pas trente ans mais déjà une épouse, deux enfants et une foule d’angoisses. Voilà deux ans qu’il n’a pas écrit de pièce depuis son dernier échec. Au bord de la ruine et de la dépression, il accepte la commande du grand comédien Constant Coquelin : une comédie héroïque en vers à jouer dans trois semaines. Seul problème : il ne parvient pas à l’écrire. Entre les crêpages de chignon de ses actrices, les caprices de ses producteurs corses mi-mafieux mi-proxénètes et les problèmes de cœur de son entourage, il se lance à corps perdu dans l’écriture, inspiré par une jeune costumière et encouragé par un cafetier plein d’esprit. Personne n’y croit mais il a déjà le titre : Cyrano de Bergerac.

Un projet mûri et travaillé

Si le personnage de Cyrano est connu dans le monde entier, Edmond Rostand est passé au second plan, loin derrière son héros. En visionnant le film Shakespeare in Love il y a vingt ans, puis en tombant sur un dossier documentaire relatant la première de Cyrano de Bergerac, Alexis Michalik avait imaginé un film autour d’Edmond Rostand mais n’avait trouvé aucun financement ou réalisateur pour porter son scénario. C’est après avoir assisté à l’adaptation théâtrale de Shakespeare In Love qu’il a eu l’idée de le transformer en pièce de théâtre. Face au triomphe d’Edmond sur les planches, il a pu alors proposer à nouveau son projet initial à des producteurs, beaucoup plus enthousiastes à l’idée d’investir dans le film.

Edmond est-il imprégné de l’esprit de la pièce, ou bien est-ce l’inverse ? En tout cas, l’un et l’autre nous plongent pendant deux heures dans un tourbillon fou, sans nous laisser le temps de reprendre notre souffle. Les répliques ciselées s’entrechoquent, le rythme est effréné, les rires et les larmes se croisent, les personnages se bousculent à l’écran ; un second visionnage serait nécessaire pour réussir à saisir tous les détails et toutes les références présentes à l’écran ou dans la bande-son. Pour un premier long-métrage, Alexis Michalik met la barre très haut en proposant une œuvre d’une justesse impeccable, sans aucune fausse note ou réplique bancale, qui tient le spectateur en haleine jusqu’au bout.

Un hommage sublime au théâtre

À travers Edmond, Alexis Michalik rend hommage au théâtre, cet art qui lui a permis de réaliser « le film de [ses] rêves ». Le film célèbre la création artistique et théâtrale, à la fois comme lieu et comme art. Par la lumière qui fait ressortir les couleurs rouges, blanches et or du théâtre pour souligner sa majesté, mais aussi par l’histoire qui retrace la création épique d’une pièce et d’un héros iconique du paysage littéraire français.

Edmond by Les Ecrans Terribles
© LEGENDE Films – EZRA – GAUMONT

Edmond est une flamme d’espoir pour tout créateur en herbe : tout au long du récit, Rostand hésite, se remet en question et cherche l’inspiration, comme tout jeune auteur peut en faire l’expérience. Alexis Michalik nous présente une figure masculine chétive, angoissée, qui doute, qui se cherche, qui ne s’impose pas, qui préfère l’ombre des coulisses aux lumières des planches. Cyrano non plus ne colle pas aux caractéristiques classiques du héros. Il est certes fort habile au combat, avec un panache et une verve à toute épreuve mais il n’ose jamais avouer son amour car il se sent indigne de la femme qu’il aime. Lui aussi est en proie au doute et préfère se réfugier dans l’ombre d’un balcon pour laisser à Christian les flammes de la belle Roxane. Ni Edmond ni Cyrano ne sont des modèles de charisme et pourtant, ce sont eux qu’on remarque et qu’on admire. Edmond finit même par s’identifier à son personnage, qu’il voit comme une version améliorée de lui-même, plus habile, plus drôle et plus brave. Pourtant, c’est bien lui qui séduit par ses vers et qui emporte l’adhésion du public. Finalement, on ne sait plus qui est le héros : Cyrano ou Edmond ? Lequel brille le plus par son panache, son courage et sa verve ? Est-ce Edmond qui inspire Cyrano ou bien l’inverse ?

Réalité ou fiction ?

Alexis Michalik aime jouer avec la frontière entre réel et fictif : dans Edmond, cette illusion se retrouve jusque dans les décors : si Prague a été choisie pour recréer un Paris de la Belle Epoque fantasmé, certains plans d’ensemble donnent l’impression d’être peints sur une toile, comme un décor de théâtre. Pourtant, la scène de la mort de Cyrano est transposée hors des planches pour être tournée dans un décor de cinéma. Michalik explique que cette « mort d’un sublime héros » (l’utilisation du terme « sublime » n’est pas anodine : Cyrano est un héros romantique et sa mort le rend sublime par l’aveu de son amour qu’il a contenu pendant tant d’années) ne pouvait être mise en scène que dans un décor réel, afin que le public ressente une émotion véritable et qu’il ne se sente plus « ni au théâtre ni au cinéma, mais dans un instant de vraie vie, celle qui fait perdre toute notion de temps et de lieu, qui abolit toute idée de jeu ».

Si on peut reprocher quelques entorses historiques à Alexis Michalik, on les oublie bien vite, pris dans la fièvre de l’histoire. C’est un fait, Edmond Rostand n’a pas écrit Cyrano de Bergerac en trois semaines mais en huit mois : mais est-ce primordial ? Au théâtre, l’important est avant tout de faire rêver son audience, quitte à jouer avec la vérité. Au Figaro, le réalisateur répond à ses détracteurs tatillons sur la réalité historique : « Je ne suis pas documentaliste, je raconte des histoires un peu fantasmées qui donnent envie, je l’espère, de démêler le vrai du faux ». Boris Vian disait : « cette histoire est vraie parce que je l’ai inventée » et à Alexandre Dumas de renchérir : « si j’ai violé l’histoire, au moins je lui ai fait de beaux enfants ». Personne aujourd’hui ne reproche à ce dernier d’avoir transformé la vie de D’Artagnan pour créer un héros épique et grandiose dont l’histoire fictive est plus célèbre que l’histoire réelle. Pourquoi une réalité l’emporterait-elle sur une autre ?

La passion d’Alexis Michalik et l’investissement de ses acteurs transparaissent à travers l’écran et sont contagieux. La pièce est transcendée par la caméra cinématographique et atteint son apogée, sans se fourvoyer dans une adaptation maladroite. De quoi redonner foi en un cinéma français créatif et audacieux, qui nous promet de belles surprises !

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