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Entretien avec Rebecca Cutter, créatrice de « Hightown »

NB : cette interview aborde des éléments-clés de la fin de la saison 1, il est donc préférable de l’avoir vue avant de la lire. Elle ne contient pas de spoilers pour la saison 2.

La « White Whale », ou Baleine Blanche est une substance addictive, coupée avec de la drogue importée de Chine, garantissant un trip mortel. « That Fire » (le feu) comme on la surnomme dans le milieu de la drogue de Cape Cod. C’est le fil rouge de la saison 2 du polar Hightown, en diffusion exclusive sur Starzplay. Et comme en saison 1, on suit l’enquête et la prolifération des opioïdes des deux côtés de la barrière. Jackie Quiñones (Monica Raymund), nouvellement sobre, tente de faire ses preuves au sein de la brigade antidrogue. De son côté, Frankie Cuevas Sr. (Amaury Nolasco) récupère la tête de son empire du narcotrafic. Polar souvent brutal mais jamais gratuit, privilégiant souvent les portraits intimes de ses antihéros à l’enquête cousue de fil blanc, Hightown bénéficie d’une distribution très sous-estimée, dont Monica Raymund (plus connue pour son rôle dans Chicago Fire) et James Badge Dale. A l’occasion du lancement de la saison 2, on a pu s’entretenir avec Rebecca Cutter, la créatrice et showrunneuse de la série.

Dans cette deuxième saison, les personnages centraux ne sont pas ceux auxquels on pourrait raisonnablement s’attendre. Alan Saintille (Dohn Norwood) est maintenant sergent [de la brigade anti-narcotiques de Cape Cod, ndr] à la place de Ray Abruzzo, il y a plus de place accordée à Renee (danseuse et femme du baron de la drogue Frankie Cuevas, incarnée par Riley Voelkel, ndr)… Est-ce que vous avez conçu la saison 2 comme une série chorale, a contrario de la saison 1 qui suivait uniquement le parcours de Jackie (Monica Raymund) ?

Rebecca Cutter : Je pense que la saison 1 avait deux personnages primordiaux, Jackie et Ray, mais je la voyais déjà comme une série chorale avec sept personnages récurrents, et à mon sens, ils jouaient un rôle très important. Mais au fur et à mesure que j’ai appris à connaître les comédiens, et que ma maîtrise des histoires s’est approfondie, j’ai fait en sorte que différents personnages aient leur heure de gloire cette saison. C’est le cas de Dohn Norwood, qui est un comédien formidable. En ce qui concerne Renee, j’ai toujours aimé ce personnage : elle révèle vraiment ses capacités en fin de saison 1, et c’est plutôt intéressant de voir comment elle évolue. Mais je ne crois pas que c’était vraiment fait exprès de passer à une série chorale. Vu que je suis tombée amoureuse de chacun de ces personnages, tout le monde doit avoir ses propres moments au sein des épisodes.

Au début de la saison 2, certains personnages sont en limbo, dans une sorte de purgatoire existentiel : Osito (Atkins Estimond) est incarcéré et accusé d’être une balance, et Ray Abruzzo est exclu et en disgrâce au sein de la police. En regardant les premiers épisodes, on ne sait pas trop où ils vont et ce que la série entend faire d’eux. Est-ce que c’est le cas avec les comédiens : évoquez-vous leurs arcs à l’avance, ou vous leur envoyez les scénarios un à un une fois terminés?

Je ne leur dis pas tout mais la série parle beaucoup de dynamiques de pouvoir, et de chances qui tournent, donc je peux leur dire vaguement qu’ils démarrent la saison dans une bonne situation qui empire, ou vice-versa. Je ne veux pas que les comédiens se disent : « Oh non, je vais jouer la même chose pendant toute la saison ». Même si la majeure partie des scénarios est écrite quand on commence à tourner, je leur laisse toujours quelque chose à découvrir.

En ce qui concerne le personnage d’Osito, on pense qu’il est en prison pour un bon bout de temps. Comment faites-vous pour travailler avec le comédien de façon à ce que, même s’il est sur la touche, son essence soit préservée ? Car il est moins une menace qu’en saison 1, il est même devenu une proie.

Je crois que c’est devenu un favori parmi les fans. La première fois qu’on le voit en saison 1, il tue quelqu’un de sang-froid. Mais grâce au talent d’Atkins, on s’attache quand même à lui à la fin de la saison. Vu que le public pense qu’il est tellement futé, j’espère qu’il va vraiment vouloir découvrir comment Osito se sort de cette situation. C’est toujours le personnage le plus dur et intelligent, mais il va lui falloir un peu de temps avant d’améliorer sa situation.

Deux comédiens à contre-emploi sont aux avant-postes cette saison : Amaury Nolasco, qui incarne Frankie Cuevas tout juste sorti de prison, et Luis Guzman qui rejoint la distribution dans le rôle de son cousin. Ce dernier était plutôt un abonné aux rôles de comédie ces dernières années, mais vous l’avez choisi comme homme de main sinistre et peu confiant. De la même manière, à part un ou deux rôles, on n’avait pas l’habitude de voir Amaury Nolasco livrer cette composition, et avoir ce rôle de maître chanteur derrière les barreaux. Comment s’est passé le casting et comment les avez-vous choisi ?

Amaury a été la seule personne qui a fait le casting pour ce rôle. A mon sens, c’était Frankie. Il apporte beaucoup de menace et de sex-appeal au personnage. Il fallait qu’il soit crédible en tant que menace mais aussi en tant que rival, sur le plan sexuel, de Ray Abruzzo (James Badge Dale), et composante du triangle amoureux, et c’est pour ça que j’ai beaucoup d’affection pour lui. Quant à Luis Guzman, j’avais écrit pour lui sur une de mes précédentes séries, Code Black, et je pense qu’il sait tout faire : des choses touchantes, humoristiques… Je ne l’avais jamais vu jouer sur le plan de la menace auparavant, donc c’était nouveau pour moi. Mais j’ai écrit ce personnage spécialement pour lui : j’imaginais les dialogues avec sa voix lors de l’écriture. Au beau milieu du casting, que l’on a fait en pleine pandémie pour la saison 2, je lui ai écrit une lettre disant que j’avais écrit ce personnage spécialement pour lui. C’était le premier rôle qu’il a tenu au sortir de la pandémie de COVID-19, tout comme l’ensemble de la distribution, et ça fait vraiment la différence d’écrire un rôle spécifiquement pour quelqu’un. 

Un des aspects de l’identité de Hightown, au-delà du polar, est d’être un commentaire sur la crise des opioïdes aux États-Unis. Ce qui est assez terrifiant à mon sens, c’est la banalité avec laquelle est montrée l’économie de la drogue. Dans le final de la saison 1, une scène m’est restée en tête : le personnage de Ray détaille l’arrivée des cachets sur prescription à Cape Cod, il y a 20 ans, face à Frankie Cuevas, qui a bâti son empire grâce à cela. Ray détaille toute la dévastation causée par ces drogues à Cuevas, qui botte en touche et reste muet en disant sans remords, « tu penses beaucoup trop à moi ». Il y a toujours cet aspect de business, d’offre et de demande, dans ces séquences. Est-ce que vous avez tenu à le montrer ainsi ?

J’essaie toujours de montrer les choses telles qu’elles sont vraiment. Hightown est une série censée être un divertissement, mais j’essaie toujours d’avoir de l’authenticité dans les détails dans la mesure du possible. Je fais en sorte que mes personnages ne soient pas des archétypes : tout le monde agit pour ses propres raisons, qu’ils pensent être louables. Je travaille aussi en collaboration avec les brigades anti-drogue de Cape Cod, histoire de recueillir autant de détails que possible, même si je prends quelques libertés pour servir le récit. Mais l’histoire de l’épidémie d’opioïdes est vraiment intéressante, et elle a été récemment dans l’actualité avec le procès des Sackler [famille fondatrice du laboratoire Purdue, firme qui a produit une des molécules à l’origine de l’épidémie, l’Oxycontin, ndr] : ils ont rendu accro à leurs produits toute une génération puis ils se sont mis à l’héroïne, puis au Fentanyl, etc. Mais ce n’est pas vraiment le sujet de la série. En mon for intérieur, je voulais tendre vers un réalisme à la The Wire, mais mes sensibilités étaient plus du côté du polar à sensation et du genre. 

Les deux premiers épisodes de la série, comme les deux premiers de la saison 2, sont réalisés par Rachel Morrison, chef opératrice nommée aux Oscars et collaboratrice de Ryan Coogler sur Fruitvale Station et Black Panther. À quel point est-elle essentielle dans l’élaboration du style visuel de la série, et l’établissement de son univers ?

Elle est absolument essentielle. Je n’avais jamais été showrunneuse avant Hightown, et elle n’avait jamais réalisé de série avant celle-ci. On se connaît depuis longtemps : on était ensemble au lycée dans le Massachusetts, on vit dans le même quartier à Los Angeles, on a beaucoup de goûts en commun… On a trouvé le style de la série ensemble, à travers notre collaboration. C’était étonnant de voir qu’il n’y avait pas beaucoup de batailles d’egos : on avait la même jauge de ce qui était potentiellement gnangnan, et d’essayer de réduire le scénario à son essence. Elle avait des idées très fixes sur la mise en scène de la série, et j’étais d’accord avec elle. Elle voulait jouer sur les tons clairs et obscurs, la colorimétrie… Elle m’a poussé à faire figurer le littoral de Cape Cod autant que possible à l’écran, à me rappeler de l’élément aquatique dans l’environnement : elle me demandait si on pouvait placer telle scène en extérieur au bord de la mer par exemple. Et quand elle est revenue pour la saison 2, j’avais une meilleure compréhension de la série, c’était génial de l’avoir pour y ajouter sa propre touche.

Comment vous êtes-vous arrêté sur le groupe The Textones (le titre Vacation, ndr) pour le générique de la série ?

Je voulais quelque chose qui représente l’idée de Cape Cod comme lieu d’escapade, de villégiature… Katie Valentine, une des membres du groupe, a pris cette chanson avec elle, elle l’a interprétée avec The Go Go’s et cette version a été un gros succès aux États-Unis. On avait fait beaucoup de placements musicaux temporaires, et on voulait utiliser la version des Go Go’s, mais elle était trop pop. La version des Textones était plus punk-rock, et selon moi, c’était parfait parce que la série a pas mal d’ADN punk, c’est très brut de décoffrage, avec cette voix féminine au centre. Mais ce n’est pas une chanson sirupeuse, malgré le sujet des vacances. Et cela colle avec la dichotomie des images du générique : certaines évoquent le côté léger et loisirs, d’autres évoquent la face plus sombre. Mais si on ne connaît pas le tube, ce sera une expérience différente.

Beaucoup de séries Starz, comme la vôtre, sortent une fois par semaine au lieu de mettre leur saison à disposition en même temps. Est-ce que cela aide Hightown créativement ?

Pour moi, c’est une décision stratégique de la chaîne donc je ne sais pas. J’aime l’idée de se faire un public petit à petit, et de les faire attendre la suite, mais en vérité, la plupart ne les regardent pas en direct, à cause de sa disponibilité en replay… Beaucoup de fans de Hightown ont découvert la série depuis la fin de la première saison. Beaucoup l’ont rattrapé comme ça. Donc on peut avoir les deux expériences : soit regarder un épisode à la fois toutes les semaines, soit attendre et tout regarder d’un coup.

Hightown est produite par Jerry Bruckheimer Television, dont c’est la première incursion dans les séries pour chaînes premium. La série ne ressemble à rien d’autre de ce qu’ils ont fait auparavant, vu que leurs gros succès ont été des séries procédurales (Les Experts, FBI : Portés Disparus, Cold Case…). Une fois qu’ils ont développé et vendu la série à Starz, qu’ont-ils apporté sur le plan créatif ? Et qu’est-ce qui les a intéressé dans le pilote ?

Ils ont lu le pilote que j’avais écrit en 2016, et ils ont vraiment accroché et pensé que c’était quelque chose qu’ils pouvaient produire. Il y a de l’ADN en commun avec leurs séries procédurales, mais à part ça, c’est très différent. Ils étaient intéressés par un projet avec une héroïne à sa tête, et de produire pour le câble premium. Ils n’ont pas changé grand-chose au pilote tel que je l’avais écrit, mais ils amènent beaucoup d’expérience en termes de production, ils ont juste très bon goût et ont été un soutien inestimable. Ils n’ont jamais tenté de transformer Hightown en procédural plus classique comme ce que Jerry Bruckheimer TV a l’habitude de faire.  Tout comme la chaîne, ils ont pleinement soutenu l’identité de la série et ce qu’elle a l’intention d’être : sombre et centrée sur ses personnages.

Hightown – Saison 2. Un nouvel épisode tous les dimanches sur Starzplay (10 épisodes). Créée par Rebecca Cutter. Avec Monica Raymund, James Badge Dale, Amaury Nolasco… Saison 1 disponible en intégralité sur Starzplay. 

Crédits Photo : © 2021 Starz Entertainment.

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