Paris Shark Fest #2 : Bilan final l Des hommes et des squales, mais surtout des hommes
Il m’a fallu un peu de temps pour amerrir de ces deux derniers jours de festival. La faute à une tendance à la surperformance périlleuse, souvent masculine, qui a traversé la quasi entièreté des films vus ce week-end. On pourrait grossièrement séparer la programmation en deux avec les fictions d’un côté et les docs-reportages de l’autre. J’ai eu l’occasion de voir seulement deux des fictions présentées pendant le festival et elles m’ont paru infiniment plus honnêtes que la majorité des documentaires.
Le très kitsch Ouija Shark 2, de et avec John Migliore, cache en effet une histoire de réconciliation familiale et de deuil, malgré ses effets spéciaux d’un autre âge. Damné par erreur, le personnage principal Anthony est envoyé en enfer et doit faire face à son ennemi juré, un requin fantôme, sbire d’un satan dansant mystérieusement entouré de femmes en sous-vêtements. Pendant ce temps-là, sur terre, sa femme Cressida, incarnée par une Deborah Jayne Reilly Smith crispée, tente de rentrer en communication avec son mari dans l’au-delà à l’aide d’une médium maladroite en recherche de figure parentale. Tout ce beau monde va devoir se préparer à la bagarre, armé d’un jeu de tarot et du pouvoir de l’amour. Évidemment tout est fait de bouts de ficelle, le squale ressemble à s’y méprendre à une peluche IKEA et les acteurs ne parviennent même pas à cabotiner. Un moment étrange de cinéma qui reste cependant moins désagréable que l’intégralité des productions The Asylum dont la saga Sharknado a fait la renommée.
C’est du pareil au même pour Mako, une aventure sous-marine du réalisateur égyptien Mohamed Hesham El-Rashidy qui offre un savoureux et sincère mélange de mélo et d’horreur. Une équipe de documentaristes prestigieux plonge dans la Mer Rouge à la recherche des ruines du lugubre et véritable Al-Salam, un ferry sinistré par un incendie en 2006, afin de faire un film sur le désastre. Une fois immergé dans l’épave, méga surprise, notre escouade doit faire face à un invité aux dents acérées qui les empêche de quitter le navire. Mais ce sont surtout les conflits internes de l’équipe qui constituent le nœud de l’intrigue. Du reste, le film d’horreur, pourtant bien produit, peine à être terrifiant, surtout lors des séquences sous-marines confuses aux enjeux illisibles. L’expérience reste plaisante, parce qu’heureusement, ici, c’est joli et ça cabotine ! On se sacrifie avec grandiloquence sur des nappes musicales pleines de violons et de piano tristes pour notre plus grand plaisir tout en oubliant de résoudre la moitié des histoires esquissées par le scénario. Pas si simple de faire pleurer sous l’eau. Pendant le visionnage, j’ai noté un point commun entre la fiction et les reportages Discovery : le besoin de reconnaissance. L’expédition est en effet motivée par la vanité des personnages, à l’instar de la chic productrice Rana, qui s’engouffre pleine d’adrénaline dans ce projet en quête de légitimation face à son mari, adoubé lors de la (trop) luxueuse cérémonie du meilleur documentaire international. Évidemment, elle finit par se mettre en danger, ainsi que toute son équipe.
Impossible de ne pas penser à la compétition de sauts de requins diffusée sur Discovery, une chaîne habituée à filmer des comportements hasardeux, avec l’émission Air Jaws, Going For Gold vue au Paris Shark Fest, et diffusée à l’origine sur la chaîne Discovery pour la Shark Week 2021. On pense plus précisément à Dickie, un des photographes fous qui se penche systématiquement hors du bateau, à quelques centimètres d’un appât en plastique pour requins, afin d’avoir le meilleur cliché de squale. Monté et commenté au rythme d’une compétition sportive, l’émission pousse les techniciens à se mettre dans des situations délirantes pour une compétition sans réel vainqueur – essayez donc de remettre une médaille d’or à un requin -, si ce n’est l’égo gonflé à bloc d’une bande d’intrépides qui joue les Jackass avec des monstres de plus d’une tonne. Un véritable danger mais surtout une performance pour des reporters inconscients. Au fond, le plus impressionnant ici, c’est l’homme et sa prise de risques. Et cette tendance s’observe dans bon nombre de reportages diffusés lors du festival, principalement chez les Américains. C’est le cas de Ghost Of New York, où le docteur Craig O’Connell part à la recherche d’un groupe de requins dans les eaux océaniques de l’État de New York. Si la démarche semble scientifique et ludique, la promesse d’en apprendre un peu plus sur ces grosses bestioles s’étiole alors qu’on se dirige vers un portrait héroïque du docteur O’Connell, prêt à tout pour observer de près un requin fantôme. Au milieu du film, et après une longue recherche infructueuse, il essaie l’auto persuasion auprès de son équipe : « Je suis compétitif, donc il faut qu’on gagne ». Les humains ont décidément plus besoin de médailles que les requins.
On observe une petite différence notable avec les documentaires français, davantage axés sur la préservation animale. Seule la virée amicale de la série documentaire Lords of the Ocean s’intéresse à la personnalité des protagonistes humains afin de les rendre attachants. Mais ici, on ne célèbre pas les casse-cous, on célèbre la science et la patience nécessaires à la préservation d’un écosystème en menace permanente. On apprend à l’occasion que les requins se sentent à l’aise dans les eaux bretonnes. Le documentaire le plus réussi est assurément celui du réalisateur Bertrand Loyer, Le Requin Mangeur de Sable. En observant de très près des requins-citron, nommés ainsi à cause de leur peau jaunâtre, mais aussi surnommés « mangeurs de sable » à cause de leur proximité avec les plages, Loyer investit pleinement le spectateur au sein d’une mission de chasse du point de vue des requins. Loin des portraits sanguinolents, on découvre une bête ordinaire, qui rôde souvent près des côtes touristiques mais préfère, en guise de repas, les poissons aux gens.
C’est une leçon partagée par Steven Surina, plongeur, chercheur et militant pour Shark Education blond aux cheveux gominés, venu évoquer lors de deux conférences l’origine de la peur des requins et comment se comporter avec les squales. Plutôt à l’aise sur scène pour quelqu’un qui se jette à l’eau en annonçant « J’ai moins le trac avec les requins que quand je viens parler à une foule », il offre une perspective rassurante sur notre rapport à la squalophobie. Sa première intervention de samedi a retracé les origines de cette angoisse depuis l’antiquité en passant par 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne jusqu’au catalyseur, le parent de toute nos angoisses : Les Dents de la Mer de Spielberg en 1975. C’est l’occasion pour lui de rappeler que le bodycount des requins est mille fois moins important que celui des moustiques. Ce à quoi on pourrait rétorquer que les requins n’entrent que trop rarement par la fenêtre de nos chambres pour nous croquer quand la lumière est allumée. Sur la seconde conférence, il expose une série de choses à ne surtout pas faire en présence de requin avec des vidéos plus ou moins récentes à l’appui, souvent prises sur le vif. Au détour d’une vignette absurde produite par et pour l’armée de l’air aux États-Unis, vous apprendrez par exemple à taper sur l’eau pour les faire fuir. Je vous laisse apprécier la liste des précieux conseils ici. Cette conférence, dernière expérience du festival, jette rétrospectivement une sorte de froid sur les reportages Discovery. Je suis venu avec la peur des requins et je repars avec la trouille des humains.
Crédits Photo : Mako © D. R.