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Comment parler de l’adolescence d’aujourd’hui au cinéma ?

Au Festival International du Film de La Roche-sur-Yon, l’adolescence était à l’honneur. La transition vers l’âge adulte au cinéma est une question épineuse, tant elle joue sur des codes balisés, des représentations souvent vues et revues. Pourtant, ici, des réalisateurs ont renouvelé ces formes attendues, par des choix de mises en scène audacieux et radicaux. Comment figurer la rencontre du désir, quand la convoitise met en péril la candeur adolescente ?

Genèse de Philippe Lesage

“Qu’est-ce que ça peut faire d’avoir l’air fou si c’est pour rester fidèle à ses principes ?” s’interroge Guillaume, le héros du septième long métrage de Philippe Lesage. Dans ce récit d’inspiration autobiographique, Guillaume (Théodore Pellerin) et sa soeur Charlotte (Noée Abita) sont de jeunes québécois qui vivent séparés : lui est dans un collège privé pour garçons, tandis qu’elle mène une vie banale d’étudiante, entre concerts et boîtes de nuit. Guillaume, grand garçon filiforme, déguise son inadaptation derrière l’humour et les mots d’esprit. Il lit Dostoïevski et Salinger, et partage son temps avec son meilleur ami, dont il est secrètement amoureux. Charlotte, quant à elle, doit s’accommoder d’une relation libre imposée par son copain. Le film dévoile des pulsions incertaines, des corps qui se cherchent et balbutient encore. Un travelling magistral montre Guillaume, maladroit et hésitant, traverser la piste de danse et heurter les corps enlacés de couples hétéros. Le parcours initiatique du frère et de sa soeur se construit en décalé, chacun anticipant les tâtonnements de l’autre, jusqu’à son fatal point de rencontre. Ainsi, la déchéance sociale qu’essuiera Guillaume après son coming out cristallise la tragédie. De son côté, le drame que vivra Charlotte marque l’irruption de l’horreur dans un quotidien ordinaire. Genèse désamorce l’itinéraire espéré vers l’accomplissement, préférant s’attacher à l’instant ténu où tout peut basculer. A cet égard, ce long métrage est autant le récit d’une initiation qu’une histoire des origines, celle de la formation du désir, lorsque l’amour devient convoitise. Porté par la performance exceptionnelle de ses acteurs et une sublime BO (John Maus, Aldous Harding, Tops), Genèse fait de l’éveil des sens le commencement de tout.

Genèse ©FIF

Paisaje de Jimena Blanco

Dans son moyen métrage, l’argentine Jimena Blanco raconte la nuit blanche de quatre adolescentes, dans les années 1990. Le matériau autobiographique, ici aussi, tisse la trame de l’histoire. Un concert dans un bar, le départ précipité d’une fête après une descente de police, l’errance dans les rues nocturnes de la ville… L’amitié, enfin. La caméra, très mobile, épouse les corps et matérialise l’espace incertain entre ce que l’on voit et ce que l’on devine. Après un gros plan sur le regard émerveillé d’une adolescente devant le guitariste du bar suivra celui d’un buste qui s’avance, force le passage jusqu’à son corps. L’innocence se heurte aux désirs. Il est encore question de convoitise, lorsque des hommes ivres croiseront les jeunes filles durant la nuit, ou que le guitariste deviendra tout à coup prédateur. Par sa mise en scène singulière, Paisaje exprime avec justesse les premiers émois et les peurs associées au passage vers l’âge adulte. Un premier film prometteur.

Friday’s Child de A.J Edwards

Visuellement stupéfiant, Friday’s Child raconte l’histoire de Richie (Tye Sheridan), un jeune orphelin de 18 ans qui vient de quitter sa famille d’accueil pour entrer dans la vie adulte. Seul et sans repères, Richie décide d’abandonner ses études et commence à travailler dans un chantier. Il devient ami avec Swim (Caleb Landry Jones) et tombe amoureux de Joan (Imogen Poots), une jeune fille énigmatique qui masque ses angoisses derrière de grosses lunettes noires. Tous trois sont des enfants paumés, téléportés dans un monde qui ne leur convient pas. Lorsque l’on découvre que la propriétaire de l’appartement de Richie est assassinée, celui-ci devient alors suspect numéro 1. Film noir, halluciné, Friday’s Child questionne rêve et réalité à travers une représentation sans concession de l’Amérique. Les adultes y apparaissent comme des menaces potentielles. Dans cet univers éclaté, Swim, personnage insaisissable, entraîne le héros dans des trips sans fin, des moments d’oubli et de grâce où se mêlent drogues et explosions de couleurs. Lorsque la caméra flotte, elle emporte les corps dans un délire psychédélique qui fait de Friday’s Child un poème visuel et sensoriel absolu. Autre évasion possible, la relation amoureuse entre Richie et Joan. Pourtant, la violence finit par gangrener les espaces sans limites et sans temporalité du récit. L’influence de Terrence Malick y est déterminante. Et parce que l’enfant n’en est déjà plus un, il ne peut y avoir d’échappatoire.

Un même fatalisme imprègne ces trois films. La violence du quotidien apparaît sous sa forme la plus ordinaire : l’équilibre précaire entre ce qui était, et ce qui n’est déjà plus, jusqu’au point de non retour. En sous-texte, on s’interroge sur l’influence des règles sociales dans nos vies. De ces petites pressions quotidiennes qui font accepter à une jeune fille une relation libre, un peu par ouverture d’esprit, un peu aussi parce que ça se fait. Ou de celles encore, dont le désir naissant est heurté par un baiser imposé. De compromis en accords tacites, Genèse et Paisaje illustrent les traumatismes que l’on a tous expérimentés un jour. Des injonctions sociales qui deviennent intrusion quand elles rencontrent l’idéalisme adolescent. Si la perte de l’innocence – une question vieille comme le monde – interroge encore, c’est peut-être parce qu’elle demeure irrésolue. La violence dans son atroce banalité est-elle nécessaire pour devenir adulte ?

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