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Films

Sauvage : Corps vivants

Laurette Polmanss, scénariste, a été bouleversée par la vitalité brute de Sauvage, écrit et réalisé par Camille Vidal-Naquet. Retour assurément subjectif sur un film palpitant comme un coeur vivant.

Un film impossible à pitcher sans le réduire. Un film où, passée une première scène scotchante à bien des égards, on comprend très vite que pour ce qui est du « background des personnages », des explications psychologiques, des informations, des résolutions, toutes ces vieilles lunes de l’écriture, eh bien il va falloir faire sans !

À moins d’un degré de résistance très élevé à l’absence de ces fameux « backgrounds, explications, etc.”, on se laisse d’autant plus volontiers emporter dans le maelström de Sauvage qu’on a mieux à se mettre sous la dent et sous l’oeil que des personnages de papier : des corps vivants. Un casting de haute volée, impeccable de bout en bout, du plus petit rôle (si tant est qu’il y ait de « petits rôles » dans ce film), jusqu’à l’incroyable Félix Maritaud, de chaque plan ou presque. Hallucinant, cet acteur. Pas seulement parce qu’il est beau à tomber, pas seulement parce qu’il se jette dans ce rôle avec une générosité rare et presque un peu folle. Hallucinant parce qu’il porte en lui tous les âges de la vie : en plus d’une beauté liée à la jeunesse, il incarne aussi l’enfance (il pleure comme un enfant, s’accroche aux autres comme un enfant, embrasse parfois comme un enfant), et la dégradation d’une vieillesse accélérée (un côté clochard céleste à la Denis Lavant). On le voit même quasi cadavre, au détour de quelques plans hautement anxiogènes, et redevenir foetus le temps d’un (magnifique) plan dans l’herbe… Le seul âge qu’il ne peut se résoudre à incarner serait celui de l’âge qu’on dit « adulte »; pas dans le sens de maturité et d’apaisement, mais de confort bourgeois et rangé. On le comprend avec une force inouïe au détour d’un seul plan, tragi-comique, où il ne parvient pas à s’asseoir, à trouver sa place, sur un canapé jaune, comme il ne parviendra pas (ou plutôt, ne voudra pas) trouver sa place dans cette pseudo nouvelle vie que lui propose l’homme au canapé jaune. Cet homme que bien des spectateurs verront sûrement comme un preux chevalier prêt à sortir Félix d’un univers « de perdition », n’est jamais, lui non plus, qu’un client, peut-être le plus étouffant et le plus impérieux de tous.

La déflagration que constitue parfois au cinéma un nouveau visage, un nouveau corps, ce sentiment de jamais vu et de stupeur à découvrir cette personne, on en est friand en tant que spectateur, de façon mi-amoureuse mi-cannibale. Cette déflagration est commune à des films aussi divers en qualité que A nos amours, 37° le matin ou La Vie d’Adèle. Souvent, on y sent dans le regard porté par le réalisateur sur ce nouveau corps un mélange de fascination et de prédation. Rien de tel ici, ni fascination ni prédation, plutôt une parfaite adéquation : entre ce corps (cet être), et cette histoire.

Et pour ceux qui pensent que le film n’existerait pas sans cet acteur, ou que le récit relèverait du simple documentaire animalier sur une nouvelle « bête » (de sexe, de scène, de cinéma), j’évoquerais simplement, sans trop spoiler, les trois scènes « de médecin » qui scandent le film. Trois scènes de face à face avec un médecin (jamais le même) dans un film d’1h37, c’est beaucoup. Trop pour être du hasard, trop pour être innocent. Regardez bien ces trois scènes quand vous verrez le film : fondamentalement différentes, mais complémentaires, elles dessinent le personnage bien mieux que n’importe quel pseudo « background ». En plus de révéler un acteur, ce film très documenté, et se donnant parfois de faux airs de « à l’arrache » dans sa façon de filmer, est aussi d’une écriture incroyablement précise, aiguisée, exigeante.

Sauvage. Un film écrit et réalisé par Camille Vidal-Naquet. Avec : Félix Maritaud, Eric Bernard, Nicolas Dibla… Production : Les Films de la croisade, La Voie Lactée. Distribution : Pyramide international. Durée : 1h39. Compétition officielle Semaine de la critique 2018. Sortie en salles : 29 août 2018.

La plume de Laurette a virevolté dans le monde de Catherine Corsini pour "La Belle Saison" et "Un amour impossible", dans celui de Gaël Morel pour "Les Guerrières". Scénariste de formation, cette amoureuse passionnée du cinéma et des mots trouve naturellement sa place dans les pages des Ecrans Terribles.

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