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Séries Mania 2024 : Retour sur le marathon Comédies

Le 16 mars dernier, l’UGC Ciné-Cité de Lille accueillait à nouveau une grande tradition du festival : le marathon de six comédies internationales aussi différentes que complémentaires. Un éternel recommencement aussi jouissif qu’inégal.

Souvent oubliées par les diffuseurs nationaux qui font leurs emplettes au festival, les comédies présentées ont tendance à inclure des temps forts des rentrées françaises suivantes, mais aussi des projets bien singuliers sur des sujets plus ou moins difficiles. L’édition 2024 est emplie de bonnes intentions, se plaçant qualitativement devant la poussive promotion 2021 (qui avait couronné l’Australienne Fisk, depuis visible sur Netflix), et derrière l’exceptionnel cru 2022 (qui avait vu l’avant-première de Visitors de Simon Astier et Spreadsheet depuis vue sur Téva). Sexualité dans le handicap, ascenseur social en panne, représentation LGBTQ dans la pop-culture des 90’s… Les projets sont plus ou moins réussis.

La Flamande Chameleon suit le point de vue de Chris, aspirant acteur grandissant dans un quartier déserté d’Anvers, comme celui d’un personnage de jeu vidéo d’arcade. Tout est question de ressources : certaines lui sont fidèles, comme sa bande de proches, d’autres sont plus volatiles, comme sa relation envenimée avec une fille de bonne famille ou un accident qui le met en porte à faux avec un gangster du quartier. Filmant les fantasmes et aspirations de Chris avec punch et énergie, le réalisateur Safi Grauuw donne du relief à un personnage qui est beaucoup de choses pour beaucoup de monde : acteur en dèche, bon pote, amant problématique, babysitteur, renfort quand les choses dérapent… alors qu’il essaie simplement d’être lui-même. Reposant plus sur les codes du thriller urbain que de la comédie inventive, Chameleon reste un peu trop sage dans ses idées, faisant des appels du pied à coups de cliffhangers assumés trop prévisibles pour être honnêtes.

Première création de Matthieu Bernard et Jonathan Azan, Extra. (le point semble important dans le titre) aborde le tabou de la sexualité dans le handicap avec une cheffe de chorale (Anne Girouard, la Guenièvre de Kaamelott) qui va surprendre une des choristes aux toilettes en plein cunnilingus lors d’une répétition. Un événement qui remet en question son propre rapport à la sexualité avec son lénifiant mari vendeur de matelas, mais aussi un déclic pour essayer de débloquer les talents de sa chorale en enrôlant une Suissesse spécialisée dans l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap. Tout ça, c’est sur le papier, mais dans les faits, on assiste plutôt à un enchaînement de saynètes au mieux maladroites, au pire malaisantes, escamotant son sujet pour prendre en main la situation de son héroïne, brûlant les préliminaires de ses deux premiers épisodes pour devenir un contre-exemple de dramédie ni faite, ni à faire.

Extra. © D. R.

Une inadéquation entre le pitch et le produit final qui n’est pas le problème de l’Australienne Videoland, véritable pépite pop tendre et hilarante qui répond à la question « et si le View Askewverse de Kevin Smith avait un pendant féminin ? » (NB : Chasing Amy fait partie du listing de films sur la liste de l’héroïne). Hayley, employée de vidéoclub lesbienne qui vient de faire un coming out approximatif (Emmanuelle Mattana, une révélation), est lourdement incitée par son amie à trouver un moyen d’aborder un crush qui fréquente souvent l’établissement. Sous sa photo rose bonbon et ses grands moments de solitude, Videoland revisite le désert de représentation qu’était la pop culture du milieu des années 1990 sans se perdre dans ses références et punchlines que les moins de 30 ans ne peuvent reconnaître. Doux et inattendu, ce format court est encore en attente de diffuseur, et sort haut la main de ce match de séries comiques.

La sincérité d’Extra. et de Videoland détonne avec les pathétiques bad boys allemands de Player Of Ibiza, version deux fois plus vacharde (avec trois fois plus de taureaux) de La Flamme. Parodie de formats type Les Marseillais sur NRJ12, bébé d’un producteur esseulé qui pense que l’émission est à bout, Player Of Ibiza conte le tournage de la dixième émission éponyme, avec ce twist : le quintette de mâles chauvinistes toxiques doit devenir féministe d’ici la fin du tournage. Un diktat prétexte à un naufrage où les cibles plus ou moins habituelles sont dézinguées à la sulfateuse : d’un entrepreneur bas du front à un rappeur fauché et misogyne, en passant par un incel mal peigné, ils crient beaucoup et n’apprennent rien. Ou si peu. La série a le bon goût d’ajouter une couche de méta avec une équipe de tournage réduite à l’os et exclusivement féminine, une maison anonyme allemande en lieu et place des plages d’Ibiza, et des épreuves fauchées et passe-partout. Pas fin du tout, mais plaisant à suivre malgré des égarements dus à la nature semi-improvisée de la série.

La salle de l’UGC Lille s’étant quelque peu vidée et/ou assoupie, la programmation s’est tournée vers les sélections un peu plus saugrenues du marathon. A savoir la québécoise Les Oubliettes, ou les déboires d’une jeune femme fauchée qui ment sur son CV pour se faire embaucher dans une auberge à thème médiéval. A l’intérieur, du langage aux coutumes, tout est comme au Moyen-Age ; les tenancières et comptables veillent au grain, et ont tendance à s’épouvanter de crises existentielles. Comme la présence d’un terroriste alimentaire qui a saboté les stocks et laissé des déchets dans l’arrière-cuisine… Un What We Do In The Shadows sous acide ou un Kaamelott plus perché, la série fait l’effet d’une douche très froide avec des délires trop particuliers. Coproduction avec TV5, il se peut néanmoins qu’elle trouve le chemin de nos antennes via TV5Monde.

La lanterne rouge était, cette année, un véritable bonbon : comédie romantique british diffusée sur SKY (équivalent de Canal+ en Grande-Bretagne), Smothered charme sans peine avec la fraîcheur de ses deux comédiens, Danielle Vitalis et Jon Pointing. Las des relations sans lendemain et décidés à laisser tomber le dating, ils sympathisent au bar d’un karaoké un soir, et décident de se lancer dans une relation sans lendemain, qui s’autodétruit après trois semaines. Il va sans dire qu’aucune des deux parties ne se tient à ce marché, et Smothered essaie de rendre leur relation sérieuse tout en lançant des obstacles inattendus aux deux tourtereaux. Un peu rêche au niveau des rôles secondaires, la série bénéficie néanmoins de dialogues au cordeau, de personnages totalement réalisés et de l’utilisation réussie au premier degré de Goodbye Stranger de Supertramp. Sans prétention aucune, le capital sympathie de ce projet méritait mieux qu’un placement en fin de marathon ; espérons qu’un diffuseur français corrigera le tir assez vite.

Smothered © D. R.

Extra. sera programmée à la rentrée sur OCS ; toutes les autres séries sont encore inédites pour la France.

Crédits Photo : Videoland+ © Pikelet Pictures.

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