Séries Mania 2025 : notre exploration du Panorama International
D’une agente du fisc très douée à des jeunes soldats de l’OTAN en passant par un chanteur brésilien, les personnages de la sélection internationale de Séries Mania ont souvent impressionné. Petit tour d’horizon de cet alléchant cru 2025.
En parallèle de la compétition officielle, beaucoup de séries internationales trouvent refuge au sein du Panorama International, sélection de loin la plus hétéroclite de Séries Mania de par la richesse historique des pays représentés. L’équipe de sélection profite de cette catégorie pour défricher le paysage audiovisuel bien au-delà des contrées de la télévision française, avec des sélections russes, africaines, voire même chinoises ou béninoises (Black Santiago Club en 2022). Si une large partie de la compétition officielle trouve éventuellement le chemin des diffuseurs, les sélections du « Pano Inter » sont certainement plus clivantes et/ou plus singulières. On a donc classé neuf des dix séries de l’édition 2025, de la plus à la moins réussie – nous n’avons pas pu voir What It Feels Like For A Girl, drame autobiographique queer, le distributeur n’ayant organisé que quelques projections lilloises avant sa diffusion outre-Manche.
Comme souvent dans les festivals de série, les sélections les plus ébouriffantes viennent du diffuseur norvégien NRK, avec une comédie noire inspirée de faits réels, Requiem For Selina. Double chronique, à la fois fantasmée et réelle, de la descente aux enfers de la première influenceuse de blogs féminins, Selina, alias Celina Isabelle, la série est un écrin pour Elli Müller Osborne, son épatante actrice principale. Mais son équipe laisse aussi libre cours à des délires visuels cringe teintés de nostalgie 2000s. D’une chronique de harcèlement banale à l’apparition de son héroïne à la télé locale, la série est d’une précision chirurgicale pour disséquer les maux d’une ado quidam passée influenceuse… Et accomplit son parcours à vitesse accélérée jusqu’à une séquence graphique de chirurgie esthétique en Turquie. Dérangeante et à la structure mutant d’épisode en épisode, Requiem For Selina est probablement la série la plus moderne de la sélection, tant dans son esthétique que de par son propos.
Autre série sur l’innocence perdue : la coproduction entre Arte et les Suédois de la SVT, A Life’s Worth, adaptée d’un livre autour des expériences d’un jeune Casque Bleu lors du conflit en Bosnie-Herzégovine de 1993. Plongés dans l’exécution difficile d’une doctrine pacifiste et non-interventionniste d’aide aux civils, la série détaille avec maestria la violence d’une guerre civile entre Serbes, Croates et une population musulmane mise au ban. Sans avoir besoin de représenter de multiples exactions pour affirmer son propos, A Life’s Worth présente des bidasses peu formés, encore moins au fait de la culture locale, dont le spleen va se faire jour au fur et à mesure des opérations avortées. Didactique tout en restant subtile, elle fait partie des séries qui rendent mieux compte de l’humanité délaissée au sein de guerres dévastatrices, tout en sachant ménager des moments plus légers au sein de l’unité de « Schtroumpfs » déployée sur place.
Appartenant à un genre plus attendu en sélection – le drame mâtiné de polar – mais très original en ce qu’il est créé et interprété par une majorité d’interprètes sourds et malentendants, Reunion est une série BBC en 4 épisodes autour d’un détenu libéré sous conditionnelle après meurtre. Des circonstances du meurtre, on saura peu de choses, mais assez pour jeter le trouble sur sa culpabilité, dont personne ne doute. Mais Daniel Brennan, regard de soufre, mâchoire serrée, est habitué à la non-communication. Balade amère avec une tête brûlée qui n’entend se faire aimer de personne, encore moins de sa fille laissée pour compte – sa mère est morte alors que Brennan était incarcéré, le menant encore plus dans une spirale mutique –, Reunion impressionne par une série de plan-séquences intenses, et un ballet où le spectateur est souvent en privation de sons, voire même d’éléments qui pourraient lui donner quelques repères. Production de WARP Films, déjà à l’origine des films This Is England, Reunion est un uppercut dont la gueule triste de Matthew Gurney, dans le rôle de son antihéros, reste longtemps en tête.
Autre drame autour de relations délétères, plus sobre mais tout aussi poignant, At The End Of The Night examine la dissolution d’un couple iranien dans ce qu’il a de plus intime. Mahrokh (Hoda Zeinolabedin) et Behnam (Parsa Pirouzfar) viennent enfin d’accéder à l’appart de leurs rêves pour pouvoir y mener une vie tranquille et élever leur fils de 8 ans. Mais, une soirée, Behnam ne rentre pas, laissant Mahrokh aux prises avec un fils qu’il n’a pas été chercher à l’école. L’incident, même s’il a une explication rationnelle, va tout faire voler en éclats et mener le couple au divorce. At The End of The Night, ce sont de longues scènes d’un couple qui n’arrive plus à se comprendre et une maîtrise subtile de l’art dusous-entendu qui fait mouche. Mettant en parallèle mariage et divorce de manière astucieuse, ainsi que des prétextes narratifs malins pour pousser Mahrokh et Behnam à la confession, At The End of The Night arrive à briser le cœur et à offrir une étude de couple universelle à partir de trois fois rien, si ce ne sont des interprètes très magnétiques.
Du divorce aux relations longue durée, il n’y a qu’un pas. On pourrait croire que Los Años Nuevos, autre coproduction d’Arte, est le nouveau projet de Rodrigo Sorogoyen. En réalité, il ne fait que réaliser quelques épisodes et la scénariser aux côtés de Sara Cano et Paula Fabra, mais l’ambition est bien là. Celle de relater la grande histoire d’Ana et Óscar de leurs 30 à leurs 40 ans. Pas de grands gestes romantiques, juste une authenticité dans les dialogues et les préoccupations des personnages de leur âge. En se focalisant sur les dix 1er janvier qu’ils passent ensemble, la série redistribue les paramètres de son couple central. Ses envies, la situation de ses proches, évidemment leur dynamique, à travers de longs tunnels de dialogue jamais gratuits. Une des immenses réussites de la sélection, dont la moitié a été diffusée à Lille.
Décidément, avec Querer en compétition, Los Años Nuevos et cette série, les Espagnols de Movistar+ ont frappé un grand coup cette année. L’autre pure originalité de ce Panorama est Celeste, non pas d’après le nom de l’héroïne, mais d’après une superstar fictive très (très) inspirée de Shakira. Qui fait l’objet d’un contrôle fiscal, ou plutôt d’une enquête pour prouver sa résidence fiscale de la part d’une discrète mais très forte agente du fisc, Sara (Carmen Machi). À partir de parallèles tordants autour de l’entrée en scène des deux antagonistes – l’une des deux ignorant l’existence de l’autre – Celeste dresse un portrait inattendu de fonctionnaire consciencieuse et de senior attachante.
Le représentant d’Amérique latine du Panorama retrace la carrière de Raul Seixas en offrant un dispositif bien rôdé dans les biopics modernes : un millefeuille chronologique faisant dialoguer enfance, ascension et déchéance. Raul Seixas a fait carrière comme producteur futé mais sans aspérités de titres pop-rock pour la CBS Brésil, un taff qui lui fera multiplier les hits sous le pseudo de Raulhito… Mais dans lequel il étouffe. Poussé à renoncer aux sirènes d’une carrière d’auteur-compositeur-interprète pour subvenir aux besoins de sa fille, Raul Seixas va avoir une idée : utiliser son oreille pour les mélodies pop et traditionnelles pour écrire des paraboles anti-système qui feront baisser la garde à la censure. Le résultat : une traduction psychédélique de la scène rock façon The Doors ou Jefferson Airplane qui en fera une véritable star dans les années 70. Visite fun mais de facture souvent lisse de la psyché de son sujet, et du « monstre » créatif et singulier qui sommeille en lui, Raul Seixas : Let Me Sing offre un bon aperçu du savoir-faire brésilien acquis en la matière.
Du côté de la farce sociale, The Danish Woman peut être vue comme un aimable divertissement de la part du réalisateur islandais de Woman At War, Benedikt Erlingsson, et pourrait même être sous-titré The Trine Dyrholm Show. Ancienne militaire et espionne retraitée, Ditte Jensen (Dyrholm) parle relativement peu l’islandais, mais a surtout la trempe d’une voisine à ne pas embêter. Hélas, que ce soit pour disperser des voisins trop bruyants ou venir en aide à une mère dont les enfants sont accros aux écrans, les ficelles restent trop grossières. Et, pour peu qu’on ne goûte pas à son actrice principale, ce mets islandais a un arrière-goût de bouillabaisse. La série sera à découvrir la saison prochaine sur Arte.
La désormais traditionnelle entrée coréenne du Panorama, Family Matters, provient de Coupang Play, une des plateformes les plus établies localement. Elle compte aussi une histoire assez originale, celle d’une “famille” tentant de se faire passer pour des vétérinaires, mais sont en réalité un groupe de rescapés d’une mystérieuse organisation les ayant enlevés dès leur plus jeune âge. Les premiers épisodes les voient traiter à la fois d’un kidnappé suite à une incivilité routière, et un gang de harceleurs du lycée assez nihilistes. Mais, entre passages grand-guignolesques assurés par la toujours aussi charismatique Bae Doona (Sense8 et une palanquée de k-dramas) et conflits internes pas très aisés, ce qui semblait être un drama fantastique plutôt aguicheur se perd un peu en route. Tout comme pour la sélection brésilienne, on se demande forcément s’il n’y avait pas mieux en lice…
Enfin, une entrée flamande de Streamz chronique des ados vraiment mal dans leur peau et totalement barrés avec un nom-programme : Putain. Une plongée à moitié en DV-cam très sombre et à l’humour assez noir dans un Bruxelles plutôt désespéré. Le protagoniste Gigi (dit Giorgio) doit composer avec le retour d’un ex toxicomane dans la vie de sa mère, et a juste envie de tout exploser. Putain n’est pas très aimable, et n’a pas envie de l’être. Malheureusement, elle en oublie des bonnes manières, comme des thématiques, des dialogues et préfère composer avec un spleen de tous les plans. Pas nécessairement raté, mais pas non plus ragoûtant.
Photo en une : Requiem for Selina © Anti NRK
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