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The Florida Project : L’arc-en-ciel au-dessus de l’autoroute

affiche-the-florida-projectCet article a été initialement publié le 13 Décembre 2017 à l’occasion de la sortie en salles du film. Il est réédité sous sa version originale pour la thématique Été & Cinéma 2021.

Après le succès surprise de Tangerine, film tourné exclusivement à l’Iphone, Sean Baker revient à ses premières amours et signe The Florida Project en 35 mm. À mille lieues d’une figure de style, le film traduit la volonté du cinéaste de raconter avec nuance une histoire engagée, tout en ayant recours à une pure magie visuelle.

Il était une fois, au royaume de DisneyWorld, de l’autre côté de l’autoroute 192 qui mène au pays de Mickey… Moonee a six ans et vit seule avec sa jeune mère, Halley, dans une petite chambre aux murs tapissés de lunes (moons) au motel Magic Castle. Moonee et Halley (des patronymes célestes) y partagent le même lit et une complicité plus enfantine que filiale. Halley vient de perdre son travail de strip-teaseuse après avoir refusé de se prostituer. Moonee, elle, fait régner la terreur au Château Magique avec son copain Scooty. Chef de clan, cette enfant farceuse, intuitive et téméraire ne semble ne jamais se laisser abattre. Comme si elle était inconsciente du dénuement et de la violence de son quotidien. D’ailleurs, qui pourrait l’en blâmer quand on voit le propriétaire du motel dépenser de l’argent pour retoucher les peintures vives et enchantées de la façade, alors qu’il rechigne à rendre salubres des locaux malodorants et infestés de vermine ? Pendant que Moonee et ses amis, en vacances scolaires, font les quatre cent coups et affrontent les conséquences parfois terribles de leurs bêtises, Halley se voit petit à petit piégée dans un cercle vicieux, forcée de se tourner vers des moyens de subsistance prohibés qui remettent en question son droit de continuer à séjourner au motel. Les spectres de la rue et des services sociaux deviennent au fur et à mesure de plus en plus gros et effrayants, comme des monstres en ombres chinoises.

De nombreuses familles, pour beaucoup monoparentales et éclatées, vivent à l’année dans ces motels de Floride, malgré l’interdiction officielle d’en faire un lieu de résidence permanent. Le film décrit d’ailleurs le rituel absurde auquel les résidents doivent se plier afin que le propriétaire puisse continuer tranquillement de fermer les yeux sur la situation. Après tout, les contes de fées existent si on choisit d’ignorer ce qui est déplaisant… Ces installations précaires donnent son nom au film, le terme project faisant référence au tissu épars de logements sociaux du pays de l’Oncle Sam. Les housing projects sont majoritairement occupés par des Afro-américains qui composent une immense partie de la population étatsuninenne vivant sous le seuil de pauvreté. Et on retrouve souvent le mot project dans le rap et les œuvres de culture populaire noire aux États-Unis. Une façon de se réapproprier le dispositif et le stigma qui l’accompagne. Les logements sociaux sont relativement rares et leur mise en place complexe dans un pays qui se méfie du concept d’État Providence. C’est pourquoi Moonee et ses amis vivent dans ce lieu absurde qui fait office de logement social par la force des choses. Pudique et minutieux, le film aborde avec finesse les problématiques raciales et sociales comme composantes d’un système discriminatoire à la fois connu et ignoré de tous.

Inspiré par les courts métrages Little Rascals (Les Petites Canailles) qui racontaient les quatre cent coups d’une bande d’enfants pendant la Grande Dépression, The Florida Project fait également penser à La Barbe à Papa (Paper Moon) et au Petit Fugitif. Le film de Sean Baker est porté par l’incroyable énergie de ses acteurs, majoritairement amateurs ou inexpérimentés, et surtout par l’aura d’innocence brute de Brooklynn Prince, l’interprète de Moonee. Elle campe une petite fille à l’éducation négligée, surexcitée et accro aux sucres, sans jamais tomber dans l’hystérie. Il faut la voir à l’œuvre pour mesurer l’étendue de la prouesse. Et, pour faire honneur à ses personnages, The Florida Project conserve tout du long une forme de pudeur farouche. Entre fixité et tressaillement, la caméra oppose la douceur de la bulle enfantine à la turpitude du monde crasseux des adultes. La violence et les conséquences traumatisantes qu’elle peut avoir sur Moonee et les autres enfants sont suggérées par un usage habile du hors-champ. Elle est incarnée sans voyeurisme ni complaisance, un autre sacré tour de force. On sent la volonté de Sean Baker de gommer toute distance avec Mooney. Ce qu’elle filtre et bloque comme étant trop violent, le spectateur ne le voit pas. Le monde vu par les yeux de cette enfant est une explosion de jolies couleurs vives au goût de sirop d’érable.

The Florida Project relève d’une nostalgie à la texture tendre et chamarrée, semblable à ces livres pour enfants qui permettent de toucher différents tissus et différentes matières. La précision et l’élégance du réalisateur y sont palpables à chaque plan, à chaque choix de mise en scène. Moonee est naïve et entend continuer à l’être. Baker, lui, porte la responsabilité de l’innocence de cette petite fille, véritable diamant brut, et la filme avec force et respect, alors qu’elle se débat dans la toile tragique qui l’enserre toujours plus. Acculée, elle ne cessera de conserver une seule obsession jusqu’au bout : continuer coûte que coûte de croire en la magie et aux fins des contes de fées…

The Florida Project. Réalisé par Sean Baker. Avec Brooklynn Prince, Bria Vinaite, Willem Dafoe. Durée : 1h51. Sortie le 20 décembre 2017

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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