Adrien Van Noort : Sequel(le)
Timothy Olyphant de Scream 2 (et Die Hard 4) vous le dira mieux que moi : une bonne suite, c’est compliqué. Outrepasser l’original demande, en plus de donner au spectateur un sentiment de continuité, de réunir plusieurs publics avec différentes attentes dans un pari de mirages et miracles confusionnistes. De ce point de vue, Spider-Man No Way Home et Matrix Resurrections, films de clôture du festival que fut mon année 2021, ont tout de même réussi cet exploit en réunissant les néophytes avec les nostalgiques des premières heures. Eh oui, les mêmes qui se plaignaient du kitsch des années 2000 rêvent désormais d’un monde coloré et débridé loin des cinquante nuances de gris de Nolan. Tout ça pour une (ré)union de tous nos héros préférés, visiblement dépressifs, sur grand écran, comme dans nos Wattpad les plus fous. Mais parmi les suites prévues que personne n’attendait, on se serait bien passé d’une nouvelle saison du COVID 19.
J’ai gardé, du premier confinement, des séquelles dans ma façon d’aborder le cinéma. Le stress du choix, la peur de manquer un film plébiscité ou une série importante m’ont poussé directement vers les sujets de cœur et le hasard. De fait, je garde un souvenir agréable des premières (re)sorties cinéma de cette année 2021. Le traitement intense de l’alcoolisme dans Drunk de Thomas Vinterberg, les incursions dans l’étrange avec La Nuée de Just Philippot et Titane de Julia Ducournau, les fresques sur les territoires contraignants de Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, ou encore Minari de Lee Isaac Chung… Ces expériences diverses et variées, souvent impertinentes, m’ont donné l’espoir confidentiel de voir émerger de nouvelles émotions. Et puis, plus rien, ou presque, au cinéma.
Les programmes sont pourtant passionnants, les sujets variés, mais rien n’y fait, je refuse d’y mettre les pieds. Peut-être qu’après avoir passé une année entière à vivre à travers un écran, je ne supportais plus de m’enfermer dans une salle ? Probablement pas, j’adore les écrans ! Ils me reflètent. Or en ce moment, je suis terrifié par le présent. Comprenez mon découragement à me mirer dans cette surface instable. Un peu comme « Tree » dans Happy Birthdead 2, je suis coincé dans une boucle où chaque itération du climat politique délétère et de la pandémie mondiale élargissent mes plaies. Il devient de plus en plus difficile de vivre des émotions fortes quand tout s’écroule autour de nous.
Ces angoisses, combinées à ma date limite de consommation étudiante qui me rapproche un peu plus chaque jour de la vie active, m’a plongé dans ce que je sais digérer de mieux en cas de crise majeure : les sitcoms. En temps normal, je me dirige vers les grands classiques, les réconfortants How I met Your Mother et mes Friends sûrs qui passent leur temps au café, lovés dans des canapés moelleux, ou encore à traîner dans des appartements d’une petite centaine de mètres carré à s’énamourer entre deux vannes. Sans oublier de visiter mes familles de classe moyenne basse préférées (une expression fort polie pour dire qu’ils sont sur les rotules), les bien nommés Malcolm ou Les Simpson bien sûr. Mais cette année, les comédies de situations m’envoient un signe. En regardant mes séries de plus près, quelque chose a changé. Les 90m2 des modestes New Yorkais sont devenus des open spaces, des facs et des supermarchés. Les canapés deviennent des bureaux ; les amis, des collègues, et les familles sont portées disparues. Toute notre vie étant désormais tournée vers le travail, est-il difficile de susciter l’émotion dans des espaces que nous ne côtoyons plus ou presque ? Ou peut-être que je projette mes obsessions partout, comme un complotiste qui voit derrière chaque triangle la mainmise d’une organisation secrète ? Quoi qu’il en soit Community, The Office, Parks and Recreation et Superstore, disponibles sur vos plateformes de streaming préférées, se concentrent sur la petite vie professionnelle au quotidien, celle qu’on approche timoré et qu’on pense banale, mais qui s’avère grandiose, touchante et amusante. Tout se concentre sur les petites blagues potaches, les love stories et la difficulté de communiquer avec ses patrons gênants pour qui la vie n’est que productivité. On apprend à noyer ses rêves de jeunesse dans la modestie mais aussi à lutter au quotidien contre tout ce qui rend le labeur désagréable, de la farce matinale à la grève générale. Et peut-être que c’est de ça dont j’avais besoin, d’une vision un peu édulcorée du monde du travail ou les patrons ne gagnent jamais vraiment notre âme. J’aborde l’année audiovisuelle 2022 avec un mélange de pugnacité et de sérénité et l’envie de s’engouffrer dans un cinéma revient progressivement. Mais qui sait ce que nous réserve The Next Episode.
Crédit Photo : © Tina Thorpe/NBC.