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Berlinale

Berlinale #1 : Vibrante lumière

Les Ecrans Terribles ont commencé leur vie en force : le jour de l’ouverture du Festival de Cannes 2018. Sous le soleil exactement ! Et c’est sous une lumière digne d’un ciel de printemps que j’approche en ce jeudi 7 février 2019 de la salle où se déroule la première projection de la Berlinale.

Alors, je vous vois venir tout de suite : rolala, encore un journal de bord festivalier à la con où on va nous parler de météo, avec un bulletin quotidien ! On s’en tape du temps à Berlin… Permettez-moi de vous arrêter tout de suite. Non, on ne s’en tape pas du ciel berlinois, car le manque de lumière et de vitamine dû à la trop brève présence du soleil peut avoir un effet concret sur le système nerveux. En tout cas sur le mien. Et croyez-moi, vous n’avez pas envie de me voir/lire de mauvaise humeur… Pourtant, soyez prêts, ça risque d’arriver pendant les dix jours à venir, ne nous leurrons pas. Au fil des projections, il y aura des hauts et des bas, car qui dit festival dit émotions à fleur de peau : surprise, joie, colère, passion, espoir, déception, indifférence, émerveillement, espoir encore… Tout peut arriver. C’est pour ça qu’on y revient, même si on finit toujours claqué.e.s, avec l’impression douce-amère d’avoir vécu une expérience d’une richesse extrême et en même temps d’avoir souvent raté l’événement. Frustrations de programmes tentaculaires, dont on ne voit finalement qu’une part infinitésimale, qu’on le veuille ou non. Le trop-plein génère étrangement le manque.

Malgré l’habitude, difficile aussi de maintenir en temps de festival cette fameuse distance qui doit permettre l’exercice de l’esprit critique. Quand le temps se resserre, les avis se font parfois plus tranchés, voire tranchants, les esprits s’emballent et il faut se cramponner pour ne pas se laisser emporter par des courants forts sur lesquels il serait pourtant si facile de surfer. La tempête sous un crâne menace à tout instant dans cette échappée belle à tendance schizophrénique. A mesure que les jours de festival s’accumulent, une question revient sans cesse : Qui parle par ma voix  ? Moi ou tous ces autres dont l’avis me contamine ? La limite se fait toujours plus fine dans ces périodes d’entre-soi du petit monde cinéma où les effets de groupe sont plus puissants que jamais. Cela n’enlève rien au plaisir de se retrouver et présente l’avantage d’échanger comme jamais au lieu de se complaire dans des solitudes parallèles. C’est très bien de ne pas penser en vase clos, de faire éclater la bulle de métiers où l’on travaille finalement souvent isolés, dans un monologue constant avec son écran d’ordinateur. Mais, en temps de grand-messe festivalière, tout se complique. Le rythme frénétique domine la dynamique et peut polluer la rhétorique, voilà le hic.

Eclats new-yorkais 

Donc le soleil éclatant qui frappe les bâtiments vitrés autour de Potsdamer Platz en cette fin de matinée, on le chérit comme si on le voyait pour la première fois. On y puise toute l’énergie possible avant de plonger dans l’obscurité répétée des salles tamisées. Leurs néons rouges donnent l’impression de venir y partager des secrets bien gardés. Et ce vibrant soleil hivernal, on l’admire car on en mesure la rareté et on en sait la pudeur. Tiens la pudeur, voilà un mot que l’on se plairait à attribuer au film d’ouverture de cette Berlinale : The Kindness of Strangers de Lone Scherfig (Italian For Beginners, Une éducation, The Riot Club, Their Finest...). C’est elle qui, dès les premiers instants du film, vient envelopper la mise en scène. Une femme se lève lentement de son lit, déplaçant doucement la main de son conjoint posé sur elle, pour ne pas le réveiller. Dans l’obscurité (oui, l’obscurité), elle se rend dans la chambre de ses deux fils qu’elle réveille d’un murmure au creux de l’oreille. Les enfants ont l’air de savoir qu’ils doivent s’exécuter vite et en silence. Mère et fils s’échappent à pas de loups du domicile familial, bousculant juste un chaise de bureau, accessoire a priori anecdotique mais qui connaîtra un drôle de destin dans ce film où il croisera tous les personnages d’un drame solaire. Car oui, peu à peu, malgré la menace invisible et permanente d’un mari et père à la main leste dont les rares apparitions seront fracassantes, la lumière se fera jour dans la vie de Clara et ses enfants. L’immensité citadine se réduit en néant pour faire de la métropole un doux écrin où les fugitifs savent leur échappée à la fois nécessaire et vaine. Se cacher au grand jour dans la foule, se réfugier à la bibliothèque, voler des « hors-d’oeuvre » et découvrir le caviar, écouter des airs d’opéra depuis la voiture qui sert de seul abri. Croiser un restaurateur taciturne, une infirmière altruiste et triste, un bénévole à l’esprit rouillé, un vieil hurluberlu à l’accent flottant… A l’ombre des buildings new-yorkais, l’errance promet la solitude mais invite à la rencontre, forcément, ça semble couru d’avance et cousu de fils blancs. En plus The Kindness of Strangers joue de destins croisés, un schéma bien connu mais dont les variations sont ici composées avec grâce et mesure.

Lone Scherfig ne cesse de désamorcer  la possibilité d’un programme tragique. Exit la descente aux enfers ou le sauvetage spectaculaire. Le récit déjoue la tentation du misérabilisme comme il exclut le rebondissement outrancier. Il y a bien un moment où l’on craint le pire, le fond du drame, dans la nuit enneigée où le jardin gelé peut se faire linceul. Mais la crainte est vite désamorcée. Film empathique, The Kindness of Strangers prône l’espoir dans la connexion entre les êtres, croit en l’humanité de ses personnages à qui il permet de respirer, enfin, à nouveau. Certains trouveront sûrement le film trop gentil, mais ce serait lui faire un procès que son titre venait pourtant escamoter. Il affirme surtout une délicatesse déshabillée des atours de l’afféterie pour suivre le parcours d’êtres abîmés que nous rencontrons dans un temps de l’après. Après les coups, après la prison, après le rejet, après la solitude. La violence, invisibilisée, se lit pourtant sur tous les visages comme une maladie chronique. Je n’ai pas vraiment envie d’en dire davantage ici. J’aimerais plutôt que vous alliez écouter le premier épisode de podcast que nous avons enregistré avec Yaële Simkovitch et Marine Legrand. Je ne ferais ici que me répéter et je veux vous épargner toute pensée usée. Mais surtout, avouons-le, j’ai envie que vous l’écoutiez ce podcast, enregistré dans le feu de l’action, sans filtre, sans arme ni haine ni violence, mais avec l’envie d’en découdre par les mots avec tout ce que nous fera vivre cette 69e édition de la Berlinale.

À dix ans, Carole est sûre d’une seule chose : l’unique endroit où elle se sente bien, c’est dans une salle de cinéma. Peu après, elle se prend une claque avec The X-Files, puis voue un culte toujours actif à Buffy The Vampire Slayer. Rompue aux projets alternatifs et indé (Critikat, Clap!), elle croit fermement en la nécessité de voix différentes et plurielles pour penser la fiction et donc mieux penser le monde. Incurable idéaliste, elle croit aussi en l'avenir (quelle folle idée!) et passe donc beaucoup de temps à enseigner, du collège à l'université, en lettres modernes et études cinématographiques. Parfois elle dort un peu, participe à des podcasts, écrit, invente des festivals, participe à des comités de sélection, voyage...

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