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Bonne Mère : Lumière & Mélodie

« Ce qui m’intéresse, c’est le réel ». Il y a plus de dix ans, dans un entretien avec Sandrine Bonnaire, Hafsia Herzi évoquait ses projets et son envie de cinéma. Ne pas en rester au jeu, mais écrire, en prenant appui sur le réel. La première version du scénario de Bonne mère, sorti cet été, était alors en cours d’écriture. Le film, qui a remporté cette année le Prix d’Ensemble de la Sélection Un Certain Regardau Festival de Cannes, s’inspire du parcours de la mère de la réalisatrice.

Bonne mère coche, à première vue, toutes les cases du mélodrame : une vie difficile, des larmes et des violons. Nora, archétype attendu d’une mère courage irréprochable, avait de quoi sérieusement nous agacer. Chez le dentiste, elle se sépare des économies d’une vie pour un soin qu’elle n’avait jamais pu s’offrir. Dans l’avion, elle nettoie consciencieusement les sièges pour pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants. Chez elle, Nora nourrit, un par un, ses oiseaux – comme une métaphore trop convenue du dévouement et de la délicatesse. Pourtant, une grâce dans ces scènes de la vie quotidienne nous y attache aussitôt. Au-delà du regard saisissant de l’actrice Halima Benhamed, il y a une manière de présenter le personnage de Nora, avec humilité, qui nous plonge instantanément dans son univers. On entre chez elle dès les premières séquences, comme si elle nous y invitait. Dans la cuisine, le conflit qui l’oppose à sa fille apporte une note plus profonde au personnage, qui n’est plus réduit au seul amour pour ses enfants. Lorsqu’on l’aperçoit à l’extérieur, sur les pistes de l’aéroport, on prend le temps de tourner autour d’elle lentement, avec application, comme si on s’approchait progressivement. C’est d’ailleurs la simplicité du film qui fait sa force : il se met au diapason de son personnage principal, en créant un décor stable et réconfortant. Nora est une figure de la simplicité et de l’apaisement. Comme le titre l’indique, nous voyons l’histoire d’une « bonne mère » défiler sous nos yeux, près du monument éponyme à Marseille. Et comme les premiers instants l’annoncent, le film se concentrera sur cette figure maternelle et ses enfants. Passées les premières minutes, le film s’accorde sur une note de sobriété et de cohérence narrative, mise en place dès le début. Oui, certaines séquences sont prévisibles, mais c’est justement ainsi qu’elles façonnent un cadre rassurant et protecteur, en construisant un monde où on se sent en sécurité. Le pari est audacieux, mais il est admirablement relevé.

De cette stabilité réconfortante se dégage pourtant une mise en scène surprenante. La réalité  sociale abordée est parfois inhumaine, souvent violente, mais le film l’aborde de façon presque irréelle. Bonne mère semble mettre en avant, à chaque instant, sa part d’imaginaire. On a constamment l’impression d’être dans une fin de journée d’été, lente et accompagnée d’une lumière douce. On ne sort jamais réellement dans la rue et tous les personnages sont plus ou moins liés au réseau familial. Même le sans-abri estropié auquel Nora offre du pain est enveloppé d’un halo de lumière dorée. Loin de nous rendre insensibles aux difficultés que traversent les personnages, cette approche rêveuse laisse libre-cours à l’émotion. Par son attention aux détails, à la lumière et aux couleurs, la réalisatrice construit une atmosphère envoûtante. Comme une grande mélodie du paysage, le regard posé par Hafsia Herzi sur la réalité sociale se traduit par la construction minutieuse d’un univers de l’arrière-plan, où chaque détail a son importance. Une manière saisissante d’aborder le réel, qui ajoute à la fascination exercée par le film.

On y reconnaît, toujours avec plaisir, certains éléments proches de Tu mérites un Amour, son film précédent. En premier lieu, des personnages qui feraient tout pour les autres. Des individus singuliers, souvent féminins, qui possèdent une grande force, et restent humains : Nora blesse parfois ses enfants, et accepte l’argent de sa fille qu’elle sait, au fond, gagné par la prostitution. De la même manière, le personnage de la proxénète est plus complexe qu’il n’y paraît : toujours de façon subtile, le film laisse entendre ses rêves – devenir rappeuse – et ses difficultés financières et familiales.

D’autres scènes, comme celle où les jeunes filles se rassemblent sur le balcon, nous donnent l’impression de faire partie du groupe. Comme si on était toujours dans un aparté avec la fratrie, et qu’on partageait l’impression de s’échapper, pendant quelques minutes, de la réunion de famille. En somme, on rejoint l’une des émotions premières du cinéma de Hafsia Herzi : en partant de situations simples – une rupture dans Tu mérites un amour, une mère de famille dans Bonne mère -, la réalisatrice crée un sentiment de familiarité qui place le spectateur dans une proximité troublante avec les personnages. Une relation douce et bienveillante, mais toujours bouleversante.

Réalisé par Hafsia Herzi. Avec Halima Benhamed, Sabrina Benhamed, Jawed Hannachi Herzi… France. 01h36. Genre : Drame. Distributeur : SBS Distribution. Prix d’Ensemble dans la Sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021. Sortie le 21 Juillet 2021.

Crédits Photo : © SBS Productions.

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