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Focus

C’est comment le futur ? – 1ere partie


Voyage à travers l’histoire chronologique de la SF

En cette période trouble, je me remémore mes escapades d’ado insouciant au vidéo club pour louer des films où des civilisations humaines proches du déclin livraient bataille pour leur survie. J’étais loin d’imaginer que ma première catastrophe planétaire d’envergure ressemblerait plus à un épisode de Louis la brocante qu’à un Mad Max ou au Au jour d’après. Alors que beaucoup s’interrogent sur ce que sera notre “monde d’après”, qu’en est-il de ceux qui ont déjà été fantasmés ? Quels réalisateurs ont été les plus proches de la vérité historique ? Quelles oeuvres en sont le plus éloignées et lesquelles sont les plus empreintes des turpitudes de leur propre époque de création ? Comment le cinéma a fantasmé un moment que nous ne connaissions pas encore ? 

Je tiens tout d’abord à préciser que cet article se base sur des films respectant le calendrier grégorien. Ici pas de « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine…« .  Je ne m’intéresserai pas aux films de science-fiction qui n’ancrent pas leur action à une date précise. Je ne traiterai pas non plus des films intégrant une technologie avancée mais incluse dans leur époque, comme Jurassic Park qui est censé se dérouler l’année où le film est sorti. Non, je ne traiterai que de projections datées du futur. Le choix des films est loin d’être exhaustif mais il faut faire le tri. Vite Marty, à la DeLorean ! Il est temps de retourner dans  le futur…


Le futur de 1980 à 1990, les années Big Brother

La majorité du cinéma de science-fiction se déroule après la date symbolique de l’an 2000, longtemps considérée comme le moment charnière entre ce bon vieux XXème siècle et le futur. Le changement de millénaire est finalement assez proche de l’invention cinématographique au regard de l’histoire de l’humanité. Toutefois quelques œuvres se déroulent en amont. Et c’est une œuvre littéraire fondatrice qui marque le futur d’avant l’an 2000 : 1984 de George Orwell. C’est en 1949 que sort ce roman considéré encore aujourd’hui comme une référence de la dystopie (à savoir une contre-utopie). Orwell y dépeint un monde totalitaire dirigé par une puissance supérieure et omnisciente appelée Big Brother. Aujourd’hui les fantasmes de l’auteur nous paraissent pour certains tangibles avec l’évolution du web, des réseaux sociaux ou des récentes affaires Wikileaks et Snowden. Cependant, au moment de l’écriture, Orwell met en fiction ses peurs sur les dérives d’une société qu’il juge au bord du conflit nucléaire et du totalitarisme.

Le roman connaît sa première adaptation cinématographique dès 1956 avec 1984 de Michael Anderson (L’Age de Cristal, Le Tour du monde en 80 jours…). Cette version le film préfère se focaliser sur un couple en quête d’émancipation et ne retranscrit pas assez l’aspect oppressant de l’œuvre originale. Ce film fauché reste anecdotique mais néanmoins agréable. Les extérieurs sont essentiellement filmés dans des ruines ou dans de lugubres faubourgs. La présence de grands écrans plats disséminés dans les décors et quelques lampes sphériques aux murs figurant les caméras de surveillance constituent les seuls éléments vraiment futuristes.

1984, version Michael Anderson © Columbia Pictures Corporation

C’est avec un opportunisme certain mais de circonstance qu’en 1984 la Métro Goldwin Mayer sort sur les écrans 1984 de Michael Radford avec John Hurt et un Richard Burton totalement habité (mort quelques jours après la fin du tournage). Nous nous retrouvons dans un 1984 plus alternatif que futuriste. Les images des écrans géants arborent ici des tons sépias.

Les humains travaillent à la chaîne dans des souterrains lugubres, éclairés par des soupirails crasseux s’inspirant de l’architecture concentrationnaire. A l’extérieur, les villes sont au choix des champs de ruines ou des rues désertes au sol boueux avec des bâtiments rappelant les faubourgs de l’Est de l’Europe. Cela fait indéniablement écho aux ghettos de Varsovie et Cracovie, aux villes bombardées durant la seconde guerre mondiale. Comme si les années 40 avaient été un moment définitif dans l’Histoire, où l’évolution esthétique avait été subitement freinée. Le film est une retranscription fidèle du roman original dans sa narration. Cette fidélité semble être aussi l’unique défaut du film de Radford : il n’adopte que trop rarement une écriture cinématographique plus ample qui lui aurait permis d’avoir un point de vue plus personnel et moderne 35 ans après la parution du matériel original.


En 1982 un film canadien, faisant également référence au roman d’Orwell, se distingue en tant qu’objet de culte. C’est Class 1984 de Mark L. Lester (Class of 1999, Piège sur internet). Avec notamment au scénario Tom Holland, futur réalisateur de Vampire, vous avez dit vampire ? (pas l’acteur de Spider-Man hein…). Dans un futur très proche, un gentil prof de musique doit faire face à une bande de jeunes dépravés et extrémistes semant la terreur dans son établissement. Entre Orange Mécanique et un épisode de Hartley Cœurs à vif, le film sonne comme un avertissement sur les dérives futures d’une jeunesse forcément en perte de repères. Désuet, ce pamphlet déjà gentiment réactionnaire à l’époque est devenu aujourd’hui un « film culte » pour les amateurs de nanars et de cinéma bis. Class 1984 marque le départ d’une série de films américains mettant à l’honneur l’archétype du prof justicier face à des élèves turbulents (Esprits rebelles, The Substitute, 187 code meurtre…), mais c’est une autre histoire.

© D.R.

Le futur de 1990 à 2000, avant le grand saut

Avec l’effondrement du bloc de l’Est, la fin de la guerre froide et l’ouverture de la République Populaire de Chine au commerce extérieur, une refonte des idéaux et de l’échiquier mondial est en marche. Et puis les guerres de Tchétchénie et Yougoslavie, le génocide rwandais, les émeutes de Los Angeles nous rappellent également à quel point les vieilles blessures sont tenaces et ne se sont toujours pas refermées.

Cette fin de siècle ne sait pas sur quel pied danser.

En 1988 sort Futur immédiat, Los Angeles 1991, sur un scénario original de Rockne S. O’Bannon, mais réécrit non officiellement par James Cameron. Le postulat de départ est simple : des extraterrestres humanoïdes ont débarqué sur Terre et vivent avec nous depuis quelques années. Un vieux flic raciste (James Caan) doit faire équipe avec un lieutenant de police venu de l’autre monde (Mandy Patinkin). Bien que ce film se situe dans un futur très proche de sa date de production, il possède suffisamment d’éléments science-fictionnels (les extraterrestres et leur technologie) pour être considéré comme un film du genre qui nous intéresse ici. Attachant grâce à son duo, le film reste un buddy movie lambda en deçà des productions de l’époque. La critique sociale n’est jamais évoquée frontalement ou alors avec de grosses pincettes et s’avère problématique dans sa symbolique : extraterrestres = immigrés. Une métaphore quelque peu raciste, plus maladroite qu’intentionnelle, mais qui exclut de facto l’idée d’une population pluriethnique et multiculturelle. Comme si la population humaine devenait une et indivisible face à ces êtres venus d’un autre monde. De plus, au regard des violentes émeutes de Los Angeles en 1992, qui éclatèrent entre les différentes communautés, le propos semble tomber complètement à côté de la plaque.

Futur immédiat, Los Angeles 1991 (Alien Nation) © D.R.

Avec une thématique bien différente, c’est dans un film de science-fiction moral des années 70 que les années 90 seront dépeintes comme les nouveaux jeux du cirque. Michael Crichton, avant d’être l’écrivain et le scénariste à succès que l’on connaît (la série Urgence, Jurassic Park), signe en 1973 la réalisation de Mondwest (plus connu sous le nom de Westworld aujourd’hui). Le film se déroule vingt ans dans le futur, en 1993, dans un parc d’attractions peuplé de robots humanoïdes qui propose de se replonger dans plusieurs époques de notre histoire. Suite à une panne, un des robots se transforme en tueur fou dézinguant du touriste humain en veux-tu en voilà. Cette série B de luxe se base sur un canevas qui inspirera nombre d’œuvres et de films à venir. Impossible de ne pas penser au Schwarzenegger de Terminator en voyant le cowboy androïde mutique joué par Yul Brynner. Le thème du parc d’attractions échappant à ses créateurs sera repris dans le Jurassic Park de Steven Spielberg (adapté d’un livre du même Michael Crichton). On peut également y voir une sorte de version pop de La Société du spectacle. Comme chez Guy Debord, le spectacle du parc Westworld est total. Les humains sont devenus factices, se sont des robots mais qui nous ressemblent en tous points. Ils n’ont plus de libre arbitre  et évoluent comme autant de marchandises remplaçables dans un monde qui ne reconnaît plus la qualité, si ce n’est de manière purement abstraite c’est-à-dire sur le plan de l’image. Un robot défectueux, qui refuse les ordres donnés, se lance alors dans une quête nihiliste de destruction.


L’adaptation en série par HBO plus de quarante ans après la sortie du film original et ses records d’audience prouvent que l’œuvre possède des thématiques qui résonnent encore de manière fascinante et actuelle. Aujourd’hui l’élément déclencheur n’est plus une panne mais une mise à jour du système du parc. Les androïdes deviennent alors plus conscients, empreints de ce qui semble être des sentiments. Les humains – clients et donc rois – tuent, violent, torturent, humilient les robots en toute impunité. Ils peuvent exprimer “ce qu’ils sont vraiment” comme le vante le slogan du parc. Alors oui, le thème du western est factice et un peu vieillot dans son approche, et le ton privilégie parfois le sensationnel à la profondeur méta qu’un tel récit est en droit de nous offrir. Il n’en demeure pas moins que la série Westworld se révèle souvent vertigineuse quand elle prend le temps de regarder l’autre dans les yeux, même si ce dernier est synthétique.

Certains voient aussi les années 90 comme le moment adéquat pour régler leurs comptes avec la société et l’hypocrisie des classes dirigeantes. Une manière de faire table rase avant d’aborder le nouveau millénaire. On l’oublie souvent mais le brûlot baroque et symphonique de Stanley Kubrick Orange Mécanique (1971) se déroule en 1995. Esthétiquement très empreint de son époque, le film dépeint un futur étonnement proche d’une vision pessimiste de notre quotidien que ne renierait pas un éditorialiste de Valeurs Actuelles. Nous y suivons Alex, un chef de gang qui s’épanouit dans l’ultra violence stylisée. Alex ne tardera pas à se faire arrêter par la police. Il devra alors suivre une thérapie de choc afin de revenir dans le droit chemin. Le thème de la  délinquance due à l’abandon des institutions fait hélas déjà écho aux pires discours politiques sur la criminalisation de la jeunesse. Le film est une critique acerbe des petits idéaux et du conservatisme anglais des années 70 dissimulé derrière une imagerie pop.

New York 1997 de John Carpenter © Splendor Films

C’est avec cette même vision de fin de millénaire qu’est construit le New-York 1997 de John Carpenter, une de ses œuvres les plus politisées. L’anarchie fait homme, Snake Plissken, va devoir contre son gré sauver un président des Etats-Unis perdu dans une île de Manhattan transformée en prison géante. Écrit en 1976 en réaction au scandale du Watergate, le scénario dénonce frontalement le cynisme et la déliquescence des institutions américaines et le civisme avilissant des citoyens qui en découle. L’urgence et le mouvement sont les principaux moteurs d’une mise en scène et d’un récit reflétant l’état d’esprit de son auteur à l’aune des années Reagan.

Tout aussi politique, Strange Days de Kathryn Bigelow est un film charnière à plus d’un titre. À la fois au niveau personnel pour sa réalisatrice et dans son récit. Tout juste divorcée de son mari James Cameron (qui reste scénariste et producteur du film), Kathryn Bigelow commence à s’affranchir et à ne plus être considérée comme « la femme de » à Hollywood. Il faudra cependant attendre encore quinze ans avant qu’elle obtienne la reconnaissance suprême de l’Oscar de la meilleure réalisatrice pour Démineurs en 2010. Elle reste d’ailleurs à ce jour la seule femme à avoir obtenu ladite statuette.

Construit comme un film noir assez classique, Strange Days se déroule entre la fin 1999 et le passage à l’an 2000. On y suit un ex-flic devenu dealer de « squid » (un appareil connecté au cortex cérébral enregistrant et retranscrivant fidèlement les actions et les sensations vécues par un tiers). Il enquête sur la mort d’un de ses amis. L’esthétique très 90’s (nuits bleutées, couleurs fluo, images vidéo tramées) fait mal vieillir ce film malgré tout empreint des grandes peurs qui animent cette fin de millénaire. La cyber technologie, le voyeurisme qui en découle et le spectre encore très prégnant sur la société américaine du tabassage de Rodney King se bousculent dans une œuvre parfois visionnaire. Finalement, il se dessine ici les prémices du cinéma de Bigelow : la critique d’un système oppressant présente dans Strange Days préfigure son Detroit. Mais la réalisatrice préfère ici une approche moins frontale optant plus pour une approche sensitive des situations que l’idéologie et les partis pris idéologiques.

Autre film sur cette période :
Patlabor 1 de Mamoru Oshii (1989) qui se déroule en 1999


A suivre : De l’an 2000 à 2020…

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