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Decision To Leave : Histoire d’un Regret

Cet article a été édité le 16 juillet 2022

Quel est le point commun entre le dernier film de Park Chan-Wook et Dalida ? A priori aucun, si ce n’est que je suis sortie de la projection de Decision to Leave avec un besoin pressant d’écouter la version d’Histoire d’un Amour enregistrée par la regrettée chanteuse cosmopolite au charisme solaire. Pourtant de soleil il n’y a point dans ce mélo policier sophistiqué, relativement sobre au regard de la filmographie précédente du cinéaste virtuose. On nage plutôt ici dans le brouillard humide d’un amour impossible entre un policier gentleman aux manières impeccables et une veuve sacrificielle taciturne qui pourrait bien avoir tué son regretté mari.

L’analogie du film avec une chanson populaire n’est pourtant pas si saugrenue. Park confie en effet s’être inspiré de Fog, une ballade mélancolique tirée du répertoire coréen, interprétée par Jung Hoon Hee et reprise par Twin Folio, et qui joue un rôle important dans le film. Cette complainte lyrique et lancinante parle manifestement le langage universel du cœur brisé et crée des échos éternels et banals dans les esprits sensibles. Comme toujours chez Park Chan-Wook, on est sans voix face à la beauté de la mise en scène. Décision to Leave est délicat comme un bijou, sans que le degré de précision porté à chaque détail n’empêche l’émergence diffuse d’une charge émotionnelle discrète et sombre.

Hae-Jun, le policier modèle trop beau pour être vrai, danse un tango tacite avec sa suspecte, fausse femme fatale mais vraie martyre, qui comprend tout de suite que son adorateur sentimental carbure aux regrets. Car c’est bien dans la quête sans issue que le valeureux Hae-Jun se sent vibrer, mu par un besoin irrépressible de mouvement vers l’impasse malgré une vie conjugale magnanime. Sore quant à elle est une beauté percluse de douleur muette, livrée aux aléas des mouvements migratoires sans espoir, puis échouée dans une société patriarcale corrompue à la rudesse glaciale. C’est d’ailleurs le petit regret qu’on garde de ce film hypnotique, envoûtant et maîtrisé. Park parvient certes à nous faire croire que Sore aime être épiée par Hae-Jun « parce qu’elle se sent protégée » par son regard. Et Tang Wei, qui interprète la veuve langoureuse, parvient à lui donner une substance et une profondeur d’une délicatesse remarquable. Mais Park Chan-Wook n’est pas étranger au concept des changements de perspectives, à l’instar par exemple des chassés-croisés de Mademoiselle, et on aurait volontiers suivi l’histoire du point de vue de la veuve Sore. Pour dépasser l’aura de mystère et la partition de stupre tragique-mais-digne qu’on lui donne à jouer. Car on la connaît déjà bien au fond cette chanson. Peut-être qu’il est temps de laisser place à une nouvelle interprétation ?

Réalisé par Park Chan-Wook. Avec Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo… Corée du Sud. 02h18. Genres : Romance, Drame, Policier. Distributeur : Bac Film. Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2022. Sortie le 29 Juin 2022.

Crédits Photo : © Bac Films. 

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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