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Elvis : King de Foire

Pour son sixième long métrage, le visionnaire Baz Luhrmann met sa mise en scène ultra généreuse au service de l’une des figures culturelles majeures du XXe siècle : Elvis Presley, aka « The King of The Rock’n’roll », et signe l’un de ses meilleurs films, et l’un des biopics les plus réussis de ces dernières années.  

Elvis ne démarre étonnement pas à Memphis dans le Tennessee, qui est pourtant la ville dans laquelle est née Le King, mais à Las Vegas, fief des casinos, des paillettes et de l’outrance. Une séquence d’ouverture en fanfare qui permet à Baz Luhrmann d’installer le spectateur directement dans une atmosphère étincelante, grandiloquente et kitsch qui, sous le vernis évidemment rock’n’roll d’Elvis Presley, représente également très bien le chanteur et premier entertainer américain. La démesure, qui colle aux pompes de Presley par son extravagance comme à celles de Luhrmann par sa mise en scène spectaculaire et baroque, donne ici naissance à un cocktail visuel et sonore aussi explosif que savoureux. Avec sa patte reconnaissable entre mille, le réalisateur australien parvient à éviter les pièges casse-gueules du biopic et s’offre par ailleurs un récit captivant en choisissant de nous conter la destinée du King par le prisme de son manageur profiteur et plus que détestable, le Colonel Tom Parker (Tom Hanks, pour la première fois dans un rôle de vilain et largement grimé pour l’occasion). Si Elvis est un importateur du rock chez les chanteurs blancs malgré de multiples censures et contestations puisqu’il fait de la « musique de Noirs », considérée à l’époque comme diabolique par l’Establishment conservateur et réactionnaire, Parker est celui qui a amorcé les rouages du show-business, dans ce qu’il a de plus avide et cynique, vendant du merchandising à gogo à l’effigie de son protégé et contrôlant l’image de Presley de façon abusive. Puis, lorsque le King se retrouve enfin au sommet après une traversée du désert, Parker le cloue sur le sol américain pour empêcher sa tournée internationale et l’enferme dans une cage dorée. Et malgré la rébellion persistante du chanteur, il ne parviendra pas à se dépêtrer de ce parasite arnaqueur et criblé de dettes qui n’aura de cesse de mettre de la poudre aux yeux d’Elvis, mais surtout du public.

Baz Luhrmann, en axant son récit du point de vue du « méchant de cette histoire », livre une fresque énergique, explosive et colorée où le mythe d’Elvis Presley est vu sous un angle nouveau : celui de la tension constante entre le chanteur et son impresario. Le metteur en scène s’autorise par ailleurs des écarts face à la réalité historique pour mieux faire comprendre aux spectateurs actuels l’effet que produisait Presley sur son public. Un pari scénaristique et esthétique osé, qui en fera bondir assurément plus d’un, laissant pourtant le champ libre au magistral et habité Austin Butler, au diapason du King jusqu’à son moindre déhanché. L’explosion du rock dans les années 1950, les danses du King vus comme des provocations sexuelles, son come-back télévisé en 1968 comme ses apparitions bouffies et fatiguées dans les années 1970, Elvis déroule sous nos yeux ébahis et nos ondulations régulières de tête (la faute à une bande originale évidemment délectable) le destin houleux d’un homme qui réunit à lui seul l’ensemble des contradictions culturelles américaines. Car derrière le portrait d’Elvis Presley, Luhrmann dresse aussi un état des lieux de tout un pan de l’histoire du pays de l’Oncle Tom, celle d’une Amérique majoritairement puritaine et divisée par les lois de la ségrégation raciale. Baz Luhrmann dépeint ici aussi la dimension malsaine de l’art du spectacle américain et comment un génie de la musique est rapidement devenu une bête de foire. On sort d’Elvis fatigué, certes, mais séduit par ce biopic électrisant et profondément malin dans lequel Baz Luhrmann nous balade avec maestria. Et malgré ses 02h39, on en aurait pour une fois bien demandé un peu plus.

Réalisé par Baz Luhrmann. Avec Austin Butler, Tom Hanks, Olivia DeJonge… États-Unis. 02h39. Genres : Biopic, Musical. Distributeur : Warner Bros. France. Présenté dans la sélection Hors Compétition au Festival de Cannes 2022. Sortie le 22 Juin 2022.

Crédits Photo : © Warner Bros Pictures.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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