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Flag Day : Mon Papa à moi est un gangster

Après son fiasco nommé The Last Face (2016), Sean Penn est revenu sur la Croisette cette année pour y présenter son cinquième long métrage Flag Day. Un drame familial émouvant sur la relation tumultueuse entre une jeune fille et son père faussaire qui signe le retour tout en justesse du réalisateur.

Flag Day s’ouvre sur une séquence familiale au cœur d’un champ de blé. Un panneau publicitaire en forme de cow-boy balance son bras articulé au gré du vent avec un large sourire. L’instant est bon, la chaleur du soleil couchant et l’odeur des épis émanent de l’écran, mais les visages et les corps des protagonistes, eux, restent flous de près comme de loin. Cette scène d’ouverture nous propose en toute simplicité un souvenir d’enfance, forcément magnifié, de Jennifer Vogel (Dylan Penn). Une jeune femme partie de rien et finalement devenue journaliste qui, comme bon nombre d’enfants, a eu beaucoup d’admiration étant enfant pour ses parents – et notamment son père (Sean Penn). En voix off, la jeune femme nous conte l’histoire de ce personnage « hors norme » qu’était son paternel John Vogel, un homme au magnétisme profond et passionné de Chopin, qui avait la capacité magique de faire de la vie une grande aventure. Mais Super Daddy a des failles, comme tout le monde : il pique parfois de grosses colères, s’engueule avec sa femme après un verre de trop et braque des banques en cachette. Mais le pire et le plus redouté par sa progéniture sont ses disparitions soudaines et inexpliquées. La jeune Jennifer grandit avec son petit frère (Hopper Jack Penn), ballotée entre deux foyers : celui de son père le temps d’un été ou les magouilles de John suintent sous les discours bienveillants et rassurants qu’il garde face à sa progéniture, et celui de leur mère le reste du temps, abandonnée par son mari, se noyant peu à peu dans l’alcool, et finalement recasée quelques années plus tard avec un con fini qui lorgne sa propre belle-fille et dont elle feint de ne pas voir les agissements pervers.

Jennifer Vogel quitte le lycée à l’adolescence pour tenter de retrouver son père, un homme qui cache beaucoup de choses, « un menteur » comme le qualifie sa mère à plusieurs reprises. La jeune femme le sait, mais que voulez-vous, c’est son papa. Et puis, maman non plus ne tient pas son rôle de parent puisqu’elle ne « la protège pas ». Il n’en faut pas plus pour convaincre Jennifer de fuir. L’acceptation des défauts de son paternel permet à la jeune fille de croire encore à cette relation déjà fragilisée. Et même si son papa est un gangster, Jennifer va tenter de guérir ses blessures du passé en reconstruisant la relation avec son géniteur, avec cet espoir secret qu’il change avec le temps. Inspiré d’une histoire vraie, Flag Day séduit par son propos intime et universel en dépeignant la période charnière et délicate durant laquelle l’enfant prend conscience que ses parents ne sont pas des modèles, mais bien des humains comme les autres, avec leurs qualités et surtout leurs défauts. Chez les Vogel, on vit entre mensonge, égoïsme, agressivité et maladresse. Le propos du film est sublimé par les silences et regards des protagonistes, mais aussi par des séquences où John s’embourbe dans les mensonges face à sa fille médusée. Et si nous sommes dans un premier temps agacé par ce paternel menteur et magouilleur, il finit par devenir attachant et force notre empathie. Car s’il est doté d’une fierté mal placée, John a surtout une trouille folle de décevoir (encore plus) Jennifer. La caméra, oscillant entre plans (très) serrés et plans larges, parvient à capturer les moindres émotions de ses personnages. Elle est régulièrement instable, entre zooms et dézooms, pour mieux montrer la fragilité des rapports familiaux des Vogel. Et Sean Penn, une nouvelle fois, joue à merveille de son côté « écorché vif », derrière et devant la caméra. Sa fille Dylan est quant à elle plus sur le fil par moment, mais n’en reste pas moins touchante dans sa performance. L’alchimie des Penn fonctionne parfaitement à l’écran, tout en justesse et sobriété.

Et si la personnalité et la vie privée chaotique de Sean Penn peuvent en bloquer plus d’un (à raison), Flag Day sous-tend une forme de rédemption face à la propre image défaillante du réalisateur. Une démarche qui prend d’autant plus son sens quand Sean Penn met à contribution ses propres enfants dans le film, et choisit par ailleurs d’incarner un personnage qui semble partager certains de ses démons, notamment la violence. Une sorte de mea culpa, de thérapie ou de potentielle manipulation pour Penn ? Difficile de trancher, surtout lorsque l’on connaît le parcours de John Vogel. Le réalisateur signe dans tous les cas un retour plein de sensibilité après son fiasco The Last Face (2016).

Réalisé par Sean Penn. Avec Sean Penn, Dylan Penn, Josh Brolin… États-Unis. 01h48. Genres : Biopic, Drame. Distributeur : Le Pacte. En Sélection Officielle au Festival de Cannes 2021. Sortie le 29 Septembre 2021.

Crédits Photo : © Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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