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La Main de Dieu : Sorrentino, cinéaste libéré, délivré ?

Auréolé du Grand Prix du Jury et du Prix Marcello Mastroianni du Meilleur Jeune Espoir à la Mostra de Venise 2021, La Main de Dieu est à ce jour l’œuvre la plus personnelle de Paolo Sorrentino. Un neuvième long métrage émouvant sous forme de dramédie, qui s’inspire librement de la jeunesse du réalisateur dans son Naples natal.

Un été à Naples dans les années 1980. La Main de Dieu suit les tribulations de Fabietto Schisa (Filippo Scotti) – alter ego de Sorrentino -, un adolescent calme et introverti mal dans ses pompes qui vit entouré d’une famille excentrique et haute en couleurs. Entre son père taquineur (Toni Servillo), sa mère amatrice de canulars (Teresa Saponangelo), son frère qui rêve de devenir comédien (Marlon Joubert), un nouveau tonton aussi sympa qu’ennuyeux équipé d’un électrolarynx, sa grand-mère aka « la femme la plus méchante de Naples » qui trimballe constamment son manteau de fourrure même en plein été ou encore une baronne aigrie qui vit dans l’appartement du dessus, le jeune homme n’a pas le temps de s’ennuyer mais tourne pourtant un peu en rond. Son quotidien est bouleversé lorsque le légendaire footballeur Diego Maradona rejoint officiellement le SSC Napoli. Un événement qui sauvera miraculeusement Fabietto d’un terrible accident et déterminera son avenir en tant que cinéaste.

Ce nouvel opus produit par Netflix détonne dans la filmographie du réalisateur italien qui a souvent tendance à agacer pour sa représentation hyper sexualisée des femmes dans ses différents films. Un male gaze que l’on retrouve également dans La Main de Dieu, notamment par le biais de la tante de Fabietto, Patrizia (Luisa Ranieri), fantasme absolu de l’adolescent largement érotisée à l’image. Sorrentino renoue également avec son penchant certain pour les plans tape-à-l’œil, grandiloquents et baroques qui nous transportent autant qu’ils nous fatiguent sur la durée. Pourtant, ces deux sempiternels sujets de discorde dans l’œuvre du réalisateur napolitain trouvent leur place, et quelque part un sens, dans La Main de Dieu. En effet, l’aura sexuelle de Patrizia est évoquée du point de vue de Fabietto et des hommes de la famille dans le film. Aussi belle que malheureuse dans la vie, elle est la source de fantasmes pour tous les mâles autour d’elle, excepté son mari qui préfère lui cogner dessus et la traiter de folle. Au-delà de sa plastique avantageuse, Sorrentino parvient à donner une complexité profonde et poignante à ce protagoniste féminin, qui se révèle finalement être le véritable fil d’Ariane du récit et de l’apprentissage de Fabietto. Quant à la mise en scène parfois too much et pompeuse du cinéaste, elle fait également sens dans un projet hommage au cinéma italien, notamment à Fellini et l’artificialité revendiquée de sa mise en scène. A coups d’images d’Epinal et d’une colorimétrie vive et chaude, Sorrentino prend plaisir à nous faire voir les merveilles napolitaines qu’il filme avec nostalgie.

Alors que l’été avance et que le film nous fait vivre les aléas de la famille Schisa, d’une jolie scène surgit soudainement le drame. La comédie et les séquences hautes en couleurs basculent vers la tragédie, à laquelle échappe Fabietto grâce à Maradona. Et c’est sans doute dans ce changement de registre que La Main de Dieu trouve sa singularité. Adepte de l’ironie et des excès stylistiques, Sorrentino choisit ici d’épurer sa mise en scène et touche une nouvelle forme de sincérité. A travers son jeune protagoniste principal, le réalisateur nous montre les origines de son attirance pour le 7ème Art, perçu comme une échappatoire à une existence qui lui cause beaucoup de souffrance et la possibilité d’inventer d’autres vies plus belles, plus colorées, plus baroques. Ode à la liberté, à la famille, au cinéma, à l’imaginaire et au destin, La Main de Dieu touche profondément par l’honnêteté radicale de son metteur en scène à parler d’un sujet qu’il maîtrise : lui-même. Une introspection qui nous a parfois manqué dans ses films précédents.

Réalisé par Paolo Sorrentino. Avec Filippo Scotti, Toni Servillo, Teresa Saponangelo… Italie. 02h14. Genres : Drame, Biopic. Lion d’Argent – Grand Prix du Jury et Prix Marcello Mastroianni du Meilleur Jeune Espoir à la Mostra de Venise 2021. Sur Netflix le 15 Décembre 2021.

Crédits Photo : © Gianni Fiorito/Netflix.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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