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Méduse : Sœurs sans Soleil

Premier long métrage de Sophie Levy, Méduse met en scène une hypnotique variation autour du triangle amoureux et confirme l’immense talent d’Anamaria Vartolomei, révélée dans L’Événement en 2021. 

Méduse s’ouvre sur une séquence marquée par le silence, qui ne semble pesant que pour le spectateur. Romane (Roxane Mesquida) repasse, tandis que sa petite sœur Clémence (Anamaria Vartolomei) est assise dans le canapé. Aucun mot n’est échangé, mais nous comprenons rapidement que l’aînée prend soin de la cadette, muette et handicapée suite à un accident de voiture. Tandis que les scènes défilent dans une photographie épurée et soignée, montrant les soins apportés par Romane à sa petite sœur, leur amour sororal sans un son et leur quotidien dans l’immense demeure héritée de leur grand-mère en maison de retraite, c’est un pompier, Guillaume (Arnaud Valois), qui va bouleverser l’équilibre autarcique des deux sœurs. En effet, Romane tombe rapidement et follement amoureuse de lui. Et un matin, Guillaume se retrouve face à Clémence dans la cuisine, apprenant par la même l’existence de cette sœur dont Romane ne lui a jusqu’alors jamais parlé. Le pompier brut de décoffrage se sent alors investi d’une mission : redonner corps et vie à Clémence, qui vit cloîtrée dans la maison et dont l’infirmité ramène sans cesse les deux sœurs au drame qui a brisé leur famille.

Dans ce huis clos mortifère, qui prend place dans une bâtisse baignée de soleil, les deux orphelines semblent piégées, au milieu des beaux meubles, dans une relation de dépendance qui les lie autant qu’elle les étouffe. Et si Romane verbalise ouvertement son besoin d’évasion, nous comprenons que Clémence souhaite également prendre son envol malgré son hémiplégie. En témoigne ses réactions face aux phrases et à l’attitude provocatrices de Guillaume à son égard pour sentir que la jeune femme renaît rapidement grâce à la moindre petite forme d’attention de cet homme. Une complicité s’installe alors entre ces deux protagonistes, qui va dans un premier temps étonner Romane, puis la mettre de côté avant de réveiller une jalousie poussive, emmenant alors le film vers des élans paranoïaques par le biais de séquences étouffantes reflétant les angoisses de la jeune femme. Des scènes oppressantes aux cadres souvent très serrés, contrastant habilement avec le reste du film et ses teintes automnales et naturalistes, capturées à plus large échelle pour accentuer l’immensité de la maison et la sensation de piège qui se referme sur les deux sœurs. Alors que Romane pensait être le moteur de ce macro univers, elle voit progressivement sa petite sœur comme une éventuelle rivale. Mais l’est-elle réellement ? La réponse ne nous est jamais donnée, même si Clémence se laisse largement cocooner par Guillaume, que ses regards semblent parfois en dire long et qu’elle rit beaucoup avec lui. Les aboutissants de cette variation du triangle amoureux ne sont ceci dit pas le plus important. Car ce sont bien les œillades et les silences entre ces trois personnages qui captivent tout au long du film, dévoilant autant qu’ils camouflent les émotions profondes de chacun. Et là où Méduse aurait pu rester au stade du catfight pour les beaux attraits d’un pompier, Sophie Levy nous rattrape dans son final, laissant poindre de manière douce-amère un espoir d’émancipation de ses deux personnages face à leur passé qui les a jusqu’alors figés. Anamaria Vartolomei confirme par ailleurs son immense talent dans les traits de Clémence, jouant habilement avec ses grands yeux azurs et n’en faisant jamais trop quant à l’infirmité de son personnage (un véritable risque dans ce genre de prestation). Par l’intensité de sa comédienne principale et ses choix de mise en scène inventifs, Sophie Levy livre un premier long métrage aussi fascinant qu’ambitieux qui attise notre curiosité quant à ses futurs projets.

Réalisé par Sophie Levy. Avec Anamaria Vartolomei, Roxane Mesquida, Arnaud Valois… France. 01h26. Genres : Drame, Romance. Distributeur : Wayna Pitch. Sortie le 26 Octobre 2022.

Crédits Photo : © Sophie Levy.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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