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The Beatles, Get back : Beaucoup d’Amour & George Harrison

On a longtemps cru que les Beatles avaient décidé de se quitter alors qu’ils travaillaient sur le projet Get Back. Il est vrai qu’il était contemporain de l’histoire d’amour entre John Lennon et Yoko Ono (que le sexisme et racisme ambiants avaient été pressés de prendre comme un signe annonciateur de catastrophe) et des déclarations de George Harrison à propos de son désir d’une plus grande implication artistique dans les projets du groupe jusqu’alors menés par Lennon et McCartney. Grâce à ce documentaire contemplatif en trois parties de Peter Jackson, on découvre avec plaisir et surprise que le projet Get Back n’était absolument pas celui de la discorde et du déchirement, comme on l’a longtemps imaginé, mais bien l’histoire d’un amour fidèle qui tente coûte que coûte de persister.

Si le documentaire est fascinant par ce qu’il montre du brio musical des Beatles et de la façon qu’ont les chansons de naître au sein d’un groupe où chaque membre a tant de talent, ce n’est étonnement pas là sa seule vertu. On est surpris d’y découvrir les images de quatre hommes qui s’aiment profondément et travaillent sincèrement à rester ensemble. Ce que l’on a longtemps cru être une fin orageuse était en réalité un au revoir difficile que tout le monde a essayé d’éviter. On assiste à de longues et franches discussions, où chacun tente coûte que coûte de colmater un navire qui a déjà pris l’eau. Les hommes de Liverpool parlent longuement de ce que chacun veut et du nouvel équilibre qu’il faut tenter de trouver pour que cela fonctionne. Il y a aussi de fréquentes références au passé partagé, à ce que cela veut dire que d’être ensemble (les Beatles se sont formés alors qu’ils étaient de jeunes adolescents). Mais rien n’y fait : on a l’impression d’être le témoin de la vie d’une famille où l’amour court aussi profondément que les tensions. Et pour ne rien arranger, le monde entier tient à les voir mettre de côté leurs egos, leurs désirs de changements, leurs difficultés à continuer d’avancer dans la même direction : il fallait faire un effort : les Beatles en dépendaient ! Tout cela s’ajoute aux dissensions et rend la musique difficile à faire advenir.  

La légende voudrait que le couple Lennon/Ono soit la raison de la rupture la plus célèbre de l’histoire de la musique. Il y a pourtant dans The Beatles : Get Back une réalité qui nous apparaît avec la force de l’évidence : c’est de facto le couple Lennon/McCartney qui pèse de tout son poids sur les Beatles. Il y a une symbiose totale entre les deux hommes qui jouent face à face comme si chacun était un miroir de l’autre. Si parfaitement sur la même longueur d’ondes que souvent, ils deviennent aveugles aux autres. Comme si leur attraction était un gouffre qui pouvait absorber Harrison et Starr. George Harrison, dont le talent arrive à maturité et écrit de plus en plus de titres inoubliables (While my Guitar, Here comes the sun etc.) semble mis de côté et réduit à la condition de satellite sublime. La réalité est plus compliquée que cela. Lennon et McCartney savent bien que Harrison est lui aussi un génie mais cela fait plus de quinze ans qu’ils écrivent des chansons à deux. Il semble difficile de changer des habitudes si profondément enracinées et de ne pas se perdre dans ce dialogue incroyable. En regardant le premier opus de ce documentaire, on est d’ailleurs pris d’une immense peine pour McCartney et on se dit que tout comme Yoko Ono, il a vécu lors de l’assassinat de Lennon la perte d’une âme sœur.

Ainsi, la place que les dons de Harrison devraient lui garantir ne lui est pas toujours laissée. À mi-chemin du projet, il quitte le studio au milieu d’un des énièmes épisodes de surdité de John et Paul. George Harrison est fréquemment désigné par la périphrase « le plus jeune des Beatles » et les membres du groupe eux-mêmes l’appellent parfois « Baby George ». En réalité, George n’a que trois ans de moins que Lennon et seulement deux de moins que McCartney. D’où vient cet entêtement du monde à le faire plus jeune qu’il n’est ? Peut-être que l’extrême grâce d’Harrison lui donne cette aura de jeunesse ? Tout chez lui était empêché, interrompu, inachevé sans jamais donner le sentiment de la colère ou de la frustration. George Harrison était un artiste qui réussissait l’exploit de donner le sentiment de manquer de quelque chose sans jamais être vide. Comme si le manque n’appelle pas à être rempli mais recherché : il menait une sorte de quête continuellement renouvelée.

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Pour ceux qui aiment le vêtement et ce qu’il dit de nous, The Beatles : Get Back est aussi fascinant. Le film de Jackson est basé sur les rushs d’un tournage qui aurait dû être un documentaire retraçant la composition de leur douzième album. La brève analyse de leur garde-robe nous dit beaucoup de ce que le projet The Beatles : Get Back signifie pour chacun d’entre eux : Paul McCartney est toujours habillé de sombre et d’un gilet noir à l’allure ascétique, qu’il ne quitte presque jamais et lui confère une aura de prêtre. Obsédé par l’idée de diriger les séances du groupe, il ne cesse de demander de la rigueur et de la structure. Il semble que la mort de Brian Epstein, célèbre manager des Fab Four, l’ait laissé avec l’idée qu’il devait être le nouveau père de la bande. John Lennon embrasse le blanc ou le bleu ciel comme une sorte d’ange que l’Histoire fera de lui et qu’il se veut déjà être mais qui n’est que le costume d’un homme qui tente coûte que coûte de masquer sa violence ( Ainsi en 1980 dans une interview à Playboy il déclare  « Avant, j’étais cruel avec ma femme et physiquement avec toutes les femmes. J’étais un cogneur. Je ne savais pas comment m’exprimer et je cognais. Je me battais contre les hommes et je frappais les femmes. C’est pourquoi je parle sans cesse de paix. Ce sont les personnes les plus violentes qui parlent sans cesse d’amour et de paix… »). Ainsi drapé dans un vestiaire faussement inoffensif, Lennon joue la rédemption et n’a que l’absolu en tête; sa garde-robe cherche l’épure : il n’y a que du monochrome et des coupes sobres. Il n’est déjà plus là, une part de lui sans doute déjà dans la carrière solo pour laquelle il quittera le groupe quelque mois plus tard. Il semblerait qu’il n’y ait guère que la fidélité qui le retienne encore. Ringo Starr (qui peut faire absolument tout ce qu’il veut tant l’amour du monde entier lui est inconditionnellement acquis) s’habille n’importe comment… Même pour cette ère fantasque de la mode, Ringo Starr semble baroque. Dans une très belle séquence du documentaire, une enfant visite le studio et l’on se rend compte amusés qu’il est habillé exactement comme elle. Ringo Starr semble refuser de prendre tout cela très au sérieux comme s’il avait déjà compris qu’après tout les Beatles seraient toujours les Beatles et qu’il fallait s’en amuser. Des quatre musiciens, George semble être celui qui se pose le plus la question de ce qu’il porte. On le voit à deux reprises demander à des assistants d’aller acheter des cravates ou des chaussures. Il procède à de fréquents rhabillages puis se pose la question des fautes de raccords que cela risque d’entraîner. Jusque dans sa façon de se vêtir, Harrison a une approche artistique qui questionne le thème du proche, du presque, de l’avoisinant. Il mêle le rose et le rouge, le rouge avec le marron, le vert et le bleu ; cherchant toujours à réunir encore plus des couleurs déjà proches sur le spectre colorimétrique. C’est une exploration de la façon dont les couleurs basculent d’un ton à l’autre et de comment on peut tirer l’essence d’une couleur en la confrontant à son analogue. Pour Harrison, le vêtement est manifestement un mouvement expressif, une façon d’essayer de réussir à parler en silence. S’habiller, c’est faire porter des mots à son corps. Le tissu parle par sa forme (de ce point de vue-là, Harrison, comme les autres Beatles, est bien britannique) mais aussi par sa couleur. George Harrison, qui s’intéressera beaucoup aux religions et philosophies d’Asie, leur donnait sans doute un sens spirituel. Les couleurs pour lesquelles il semble avoir une prédilection sont celles des chakras dit de « racines » et du « cœur ». N’y avait-il pas là le besoin de réconcilier l’envie de rester auprès de ceux qu’il aime avec le besoin de partir pour s’accomplir en tant qu’artiste ? Peut-être que l’on s’égare mais les presque huit heures de cette série documentaire invitent à rêvasser, à se laisser porter par la musique.  

Plus de vingt ans après la mort de George Harrison, il reste souvent désigné comme « le jeune Beatle » favori. C’est sans doute parce qu’il y a en lui quelque chose de profondément singulier qui a été le sel du groupe mais qui s’est aussi exprimé plus tard dans ses collaborations avec d’autres artistes ou dans ses albums solos. Un je-ne-sais-quoi de l’ordre d’une tendre jeunesse dans la recherche de quelque chose de différent. À la vision de ce documentaire, on est tenté de croire que c’était le favori des Beatles aussi. Il y règne comme un fantôme qui répand sa couleur. C’est évidemment là un point de vue très personnel, ce documentaire est si long , si riche, que vous y trouverez sans doute autre chose pour vous hanter.   

Créée par Peter Jackson. Avec John Lennon, Paul McCartney, George Harrison, Ringo Starr… Etats-Unis. 3 Épisodes x 150 minutes. Genre : Documentaire. Depuis le 25 Novembre 2021 sur Disney +. 

Crédits Photo : © FR_tmdb.

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