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Un Été Comme Ça : En Thérapie ?

Pour son nouveau long métrage, le cinéaste québécois Denis Côté s’attèle crûment et frontalement à la sexualité féminine par le biais de trois personnages de femmes hypersexuelles. Ne tiendrait-on pas là une fausse bonne idée de la part du réalisateur hétérosexuel de 48 ans ? Verdict ci-dessous.

Un Été Comme Ça relate les péripéties de l’auto-surnommée Geisha (Aude Mathieu), Léonie (Larissa Corriveau) et Eugénie (Laure Giappiconi), invitées dans une maison de repos pour explorer leurs malaises sexuels, apprivoiser leurs démons intimes et leurs obsessions. Sous la supervision d’Octavia (Anne Ratte-Polle), une thérapeute allemande, et Sami (Samir Guesmi), un éducateur spécialisé, le groupe tente de garder un équilibre constamment sur le fil. Les trois jeunes femmes hypersexuelles, qui se sont portées volontaires pour cette thérapie, deviennent alors des sujets d’études comportementales durant vingt-six jours. Le film est né d’un constat du réalisateur, celui de n’avoir vu que rarement la sexualité filmée de façon frontale dans le cinéma québécois. Son sujet s’est resserré suite à la lecture de l’ouvrage de l’historienne new-yorkaise Carol Groneman autour du mot « nymphomanie ». Un mot qui, de tout temps, est porteur du jugement masculin sur le désir sexuel féminin et qui n’est par ailleurs jamais utilisé dans le film. Venu présenter Un Été Comme Ça en Compétition Officielle au Festival de Berlin 2022, Denis Côté a appuyé sa démarche lors de l’incontournable conférence de presse : « Je sais bien que je suis un homme de 48 ans, blanc, qui arrive avec ses privilèges d’hétérosexuel. C’est la raison pour laquelle je me suis blindé de regards de femmes pendant tout le processus d’écriture et de fabrication du film. Maintenant qu’il est fait, le point de vue qu’auront les hommes m’intéresse aussi, bien sûr, mais au moment du processus de création, je n’ai montré ce que je faisais qu’à des femmes ». La crainte ultime du cinéaste ? Érotiser malgré lui ses trois protagonistes féminins. Dans cette même conférence, Denis Côté explique également qu’il s’est entouré d’une sexologue lors du développement du projet, et qu’il a modifié une scène suite à un retour de Laure Giappiconi, séquence dans laquelle la comédienne lui a fait remarquer que la vision d’un homme se faisait trop sentir. Il a aussi fait appel à la monteuse Dounia Sichov afin qu’un regard féminin soit également de mise en post-production. La démarche est forcément délicate et casse-gueule, et la façon qu’à Côté de se justifier peut induire une certaine méfiance et la sensation que le cinéaste use d’une forme de radicalité dans son concept pour mieux légitimer son projet. Pourtant, force est d’avouer que le traitement du sujet semble sincère. Les habitués du cinéma de Denis Côté savent également qu’il est un metteur en scène hors des clous et qu’il n’a jamais eu peur de prendre des risques.

Le choix malin du cinéaste est d’avoir réalisé un film sans crise de nerfs. Le spectateur, comme l’équipe d’accompagnants, regardent vivre ces trois jeunes femmes sans jamais mettre véritablement le doigt sur leurs problèmes. Quelques pistes et portes s’ouvrent ça et là sur chacune d’entre elles, mais la narration d’Un Été Comme Ça ne vacille jamais vers le constat sans appel ou la conclusion hâtive. Denis Côté met au cœur de son récit les dialogues, soutenus par une caméra portée intimiste. Caméra qui, dans la séquence d’ouverture, se place au plus près des visages de ses protagonistes pour en capter le moindre rictus lors de l’énonciation des règles du séjour avant de prendre ensuite ses distances face aux personnages pour les regarder vivre, verbaliser leurs propres comportements et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. La réalisation est crue, au diapason de certaines situations et échanges verbaux, pour mieux libérer la parole et lever le voile sur de nombreux tabous. L’immersion est telle que le spectateur en vient à se questionner sur ses propres limites, ses fantasmes, assouvis ou non, et sa pudeur. Denis Côté parvient à dérouler le portrait âpre et juste d’une addiction nourrie par le désir et le regard des hommes. Étant ceci dit conçu sous le regard d’un homme, le projet ne manquera pas de susciter de nombreuses interrogations sur sa démarche et son point de vue. Qu’il s’agisse d’un besoin de validation des femmes par un regard masculin, d’une fausse bonne idée véritablement opportuniste de la part de Côté ou encore d’un énième film d’un cinéaste masculin capturant les femmes comme des « objets ». Autant de suspicions, nourries par des décennies d’hégémonie patriarcale de la caméra, dont on laissera chacun se forger son propre avis en salles. Un Été Comme Ça n’en reste pas moins une œuvre singulière, dont la brutalité et l’intemporalité bousculent longtemps, portée par un trio de comédiennes captivantes, insufflant à leurs personnages crédibilité et désir de liberté.

Réalisé par Denis Côté. Avec Larissa Corriveau, Aude Mathieu, Laure Giappiconi… Canada. 02h17. Genre : Drame. Distributeur : Shellac. Sortie le 27 Juillet 2022.

Crédits Photo : © Lou Scamble.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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