Dans la terrible jungle by Les Ecrans Terribles
Films

DANS LA TERRIBLE JUNGLE à la lisière du documentaire et du teen-movie

N’y allons pas par quatre chemins : réaliser un film sur les jeunes pensionnaires d’un Institut Médico-éducatif n’est pas une chose facile. Ombline Ley et Caroline Capelle se sont pourtant lancé le défi de nous présenter toute une galerie de personnages – le terme a son importance – tout à fait humains et proches de nous, malgré leurs singularités. Si l’ambition est louable (et le pari relevé), Dans la terrible jungle, très appliqué à filmer ses comédiens d’un jour, peine parfois à parler à ses spectateurs.

Du film d’Ombline Ley et Caroline Capelle, finalement, c’est surtout le concept qui séduit. La première souhaitait filmer un territoire autonome, presqu’en autarcie ; la seconde s’intéressait particulièrement à l’adolescence. En La Pépinière, elles ont trouvé la perle rare : un monde clos où une dizaine de jeunes garçons et de jeunes filles vivent leur puberté loin des regards, forcément différemment des gens de leur âge. Petit à petit, au fil de leurs observations, les deux réalisatrices se sont familiarisées avec les pensionnaires, et ont dessiné, avec eux, des embryons de personnages, écrits à partir de leurs personnalités. Dans la terrible jungle, bien que né des aspirations artistiques des deux jeunes femmes, s’est donc construit en collectif, d’une motivation de jeunes adolescents aux parcours singuliers, affinée par le regard et l’expérience des réalisatrices.

De ces dialogues ininterrompus entre elles et les pensionnaires (et le personnel) de l’IME se sont dessinés des idées de scènes, des axes d’approches. Il fallait parler des possibilités d’avenir, un peu. D’amour, beaucoup. Forcément, même : tous ces jeunes sont à une période de leur vie où le corps change et les sensations aussi. Et ce, même si leur quotidien s’éloigne un peu de la norme. Tous les garçons et les filles de leur âge se promènent dans la rue deux par deux, comme on dit, mais eux ne le peuvent pas, ou pas facilement, du moins. L’adolescence n’est déjà pas un âge facile, imaginez donc avec un handicap ! Ley et Capelle, avec une vraie délicatesse, nous montrent des jeunes qui se cherchent, essayent de s’écrire des messages d’amour maladroits (“nan, faut pas mettre ‘t’es maigre’ parce qu’elle va être choquée !”) ou rêvassent devant des fanvid où Arthur et Guenièvre, les héros de la série Merlin, s’embrassent avec un romantisme appuyé. Mais Léa, Médéric, Émeline et les autres ne sont pas des adolescents tout à fait comme les autres. Certains sont en fauteuils, d’autres ne parlent pas. D’autres encore sont soumis à des crises incontrôlables qui les voient sauter partout et risquer de se mettre en danger à chaque instant. Le spectre de la différence est bien là, à chaque instant. Et, par la force des choses, il change tout.

Dans la terrible jungle by Les Ecrans Terribles
La musique et ses vertus thérapeutiques © Les Acacias

Ces pensionnaires, les deux réalisatrices n’auront pas eu trop de mal à nous les rendre sympathiques. Médéric, qui fonce en fauteuil roulant avec une énergie et une verve débordantes, Ophélie et sa voix d’or, Alexis qui ajoute à son t-shirt de Superman le masque de Batman : tous ont un petit quelque chose qui les rend touchants. Dans la terrible jungle révèle pourtant ses limites dès qu’il devient question de narration. À vouloir donner une place à chacun de ses protagonistes et les montrer dans leur élément, le film peine à trouver une tonalité et un point de vue, et à nous embarquer véritablement. Et ce malgré un fil rouge musical. L’IME de La Pépinière utilise beaucoup la musique comme vecteur d’expression : celle qu’on entend, bien sûr, qui nous fait danser, mais aussi et surtout celle qu’on produit, lors d’ateliers où les jeunes adolescents improvisent collégialement des morceaux musicaux (sûrement les passages les plus attendrissants). La faute sûrement à un dispositif aux plans fixes très simples et une grammaire cinématographique minimaliste, mais aussi à un récit somme toute très sommaire qui arrive difficilement à inclure son spectateur, visiteur passif d’un IME qui ne manque pourtant pas de vie. Face à ces jeunes passionnés par le rythme, il apparaît bien dommage que Dans la terrible jungle, malgré sa démarche et son geste de cinéma bienveillants et humanistes, ne parvienne à trouver le sien.

Dans la terrible jungle, d’Ombline Ley et Caroline Capelle. Documentaire. Durée : 1h20. Distributeur : Les Acacias. Sortie le 13 février 2019.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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