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Vers la tendresse ! Pour le retour d’une critique de gauche

Doucement mais sûrement, une certaine façon de faire la critique du cinéma a disparu. On ne voit presque plus personne s’exprimer depuis une subjectivité affirmée. Si de nombreuses et excellentes revues en ligne et chaînes YouTube (comme par exemple Videodrome, Cinéma & Politique, Cinématraque etc.) font un travail d’une grande qualité, on a assisté dans les médias traditionnels, à la disparition d’une critique capable de défendre avec passion un cinéma de gauche  et de se montrer sans ambiguïté dans ses prises de positions. Où est passée la critique de gauche qui s’affirme telle qu’elle est, corps, âme et bulletin de vote compris ?

J’ai récemment relu les chroniques de la journaliste américaine Pauline Kael qui fut si déterminante dans l’émergence et la valorisation d’un nouveau cinéma. Un cinéma courageux et original qui n’était pas fait à l’unique moule du vieil Hollywood. Certaines de ses plus belles critiques ont été publiées sous la forme de recueil (Chroniques, Pauline Kael aux éditions Sonatine), et  l’on y découvre avec régal la manière si décomplexée qu’ elle a de dire « je », de traiter Clint Eastwood de « macho facho » et de se moquer des opinions communément admises. Cela m’a paru quasi exotique tant on s’est progressivement habitué aux prises de positions molles et aux pronoms impersonnels. Aujourd’hui une fausse posture d’objectivité est de mise. Je dis fausse car il ne peut y avoir d’objectivité quand on est critique de cinéma. Ce qui prend les atours de la neutralité ne sert-il pas en réalité à maintenir l’ordre dominant ? Car c’est à ce tour de passe-passe effarant auquel est arrivé la droite de notre pays : faire passer pour neutre des idées de destruction sociale et d’oppressions des minorités. Progressivement mais sûrement, la droite a pris en hold-up le centre pour en faire son lieu de mise en catapultes des idées les plus dangereuses. Et ce glissement s’est sans surprise installé sur nos écrans.

Les critiques qui, contre tout bon sens, se sont obstinés à tenir cette apparence centriste, se sont très rapidement retrouvés à défendre et promouvoir les films les plus violemment à droite. Le triste exemple de Bac Nord nous l’a montré : il est symptomatique d’une critique qui s’est rendue volontairement aveugle (par lâcheté, ou par complicité) au contenu politique d’œuvres baignées dans les eaux infestées des sirènes de l’extrême-droite. Ainsi le territoire du cinéma de droite s’est retrouvé démultiplié et son expansion a été facilitée par la posture que les critiques ont voulu à tout prix continuer d’endosser.

En refusant d’afficher ses couleurs, la critique de gauche a contribué à mettre en danger la survie de son cinéma. Il s’est vu attribuer pour domaine d’existence limité les cuisines déprimantes du cinéma des frères Dardenne. Assignées au misérabilisme ou aux approches sociologiques, pontifiantes et désespérées, les productions culturelles de la gauche française ont vu leur territoire réduit à peau de chagrin. Il n’y a presque plus personne pour montrer les classes populaires en dignité et il n’y a quasiment pas de cinéma de gauche qui soit capable d’émerger car il n’y a tout bonnement pas de critique courageuse pour le soutenir dans la presse généraliste. Au moment où les affres de Bac Nord étaient sur toutes les lèvres, la remarquable mini-série La dernière année qui parle également de Marseille laissait les critiques terriblement muets. L’œuvre de Nawyr Haoussi-Jones est pourtant aisément accessible, contient un propos politique original sur la cité phocéenne et met en scène une pluralité de personnages bien écrits. Quand par miracle des cinéastes de gauche réussissent à faire advenir des histoires contredisant un statut quo profitable aux puissants, ils sont laissés seuls. 

Où est l’amour ? L’amour que la gauche doit être capable de montrer à celles et ceux qu’elle prétend défendre et protéger ? L’amour que nous avons pour les histoires qui nous montrent en lutte, dignes et heureux ? Où est l’amour que les critiques se doivent de montrer aux réalisateur.ices qui ont la volonté d’inspirer un monde meilleur aux personnes les plus vulnérables ? Quand est-ce que les gens qui signent des articles seront capables comme Pauline Kael d’assumer chacun de leurs propos ? Nous ne pouvons pas continuer à tâtonner sur le terrain d’une fausse neutralité, ces timidités précautionneuses nous laissent vulnérables face à la férocité d’une droite qui ne s’embarrasse d’aucun de ces scrupules. Il nous faut désormais être fièr-e-s de ce que nous aimons et le montrer sans honte. Nous ne voulons plus des plumes frileuses qui pensent qu’il est possible d’écrire derrière le masque de la « neutralité » sans avoir de comptes à rendre à personne. La critique de gauche doit être une critique subjective et amoureuse, elle doit faire la chasse au désespoir dans ses rangs. Elle doit refuser l’ironie et le cynisme qui ne sont au mieux qu’une fausse pudeur au pire qu’un ricanement et qui ne font que détruire sans jamais rien aider à construire. La critique de gauche doit relever ses manches pour défendre avec tendresse et sans masque les œuvres qui le méritent.

Crédits Photo : La Dernière Année © D. R.

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