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Je doute donc je suis : The Third Murder de Kore-Eda Hirokazu

Alors que son nouveau film, Une affaire de famille, est présenté en compétition officielle au festival de Cannes, revenons sur le précédent long métrage de Kore-Eda Hirokazu, The Third Murder, sorti le mois dernier et encore en salles. Un film en apparence austère, qui révèle au fur et à mesure un dédale de mystères.

En pleine nuit, au bord d’une rivière, un homme tue à coups de marteau son patron avant d’asperger son corps d’essence pour y mettre le feu. Les images ne laissent aucune place au doute, d’autant plus que Misumi (Kôji Yakusho) avoue de lui même le crime à la police. En tant que récidiviste, il encourt la peine de mort s’il est jugé coupable. Shigemori Tomoaki (Masaharu Fukuyama), avocat de renom, décide de reprendre le dossier et décèle rapidement dans cette affaire des incohérences qui constituent des éléments à la décharge de son client. Mais celui-ci s’obstine à affirmer sa culpabilité et change sans cesse de version dans son témoignage, confortant son statut de seul et unique coupable auprès de la Cour.

À l’image de l’accusé Misumi, dès les premières minutes de The Third Murder, Kore-Eda brouille les pistes. La scène d’ouverture nous plonge dans l’ambiance d’un film noir pour ensuite céder la place à ce qui semble être un « film de procès », où les avocats des deux parties cherchent de part et d’autre le meilleur angle d’attaque pour leurs clients. On s’attend alors à ce que les coups de théâtre se succèdent pour qu’à la fin nous soit livrée l’identité du véritable meurtrier. Mais il n’en est rien. Le réalisateur de Tel père, tel fils fait un pas de côté et recentre l’intrigue autour de Misumi et de Shigemori, l’accusé et son avocat. On assiste dans un premier temps à un face à face entre les deux hommes. Puis, en attentif observateur de la nature humaine, Kore-Eda va faire émerger par petites touches leurs points communs et ramener à la surface des souvenirs enfouis. L’intensité du jeu des acteurs Kôji Yakusho et Masaharu Fukuyama vient parfaire le tableau et participe grandement à l’atmosphère ambiguë du film.

The Third murder © Le Pacte

Ce glissement progressif prend forme à l’image dans les scènes d’interrogatoire où la paroi de verre qui isole l’inculpé s’efface peu à peu grâce au jeu de cadrage et à la mise en scène. Ainsi, l’épaisseur et la transparence du verre vont être utilisés de deux façons diamétralement opposées : les deux individus se retrouveront tantôt séparés tantôt rapprochés, selon l’angle et le point de vue adopté. À l’issue de ces auditions, l’avocat de l’accusé va remettre en cause ses propres certitudes sur cette affaire mais aussi les raisons qui l’ont amené à faire ce métier, abandonnant l’approche pragmatique du droit qui a fait son succès pour une quête incertaine de la vérité. Cette prise de conscience entraîne le récit dans une sorte de fable métaphysique qui fait rejaillir les regrets d’un ancien juge pour l’un de ses verdicts ou les petites manœuvres de certains avocats pour les besoins de leur plaidoirie. Mais en définitive, c’est surtout l’impartialité présumée de la Justice qui est questionnée. Au Japon, la loi prévoit quasi automatiquement la peine capitale en cas de récidive. Le spectateur est alors en droit de se demander : et si les motivations du tueur présumé n’étaient pas aussi simples que ce qu’elles paraissent, mériterait-il malgré tout la mort ? « Tuer un tueur, est-ce vraiment rendre la justice ? » Le doute est permis.

Empruntant des chemins de traverse, Kore-Eda réalise un film aussi noir que complexe tout en restant fidèle aux thèmes qui lui sont chers  : comme par exemple l’ambivalence de l’être humain ou encore le rapport de l’individu à la société . Sans faux-semblants, il déploie avec habilité un récit protéiforme passant d’une ambiance à une autre pour mieux atteindre le centre névralgique de l’intrigue et ainsi toucher le cœur de son sujet par le biais d’un questionnement philosophique audacieux.

Ecrit et réalisé par Hirokazu Kore-eda. Avec Kôji Yakusho et Masaharu Fukuyama. Drame/Policier. Japon. 2017. 2h05. Distributeur : Le Pacte. Sortie : 11 avril 2018. 

Sa photo l’atteste, Julien est un garçon désopilant. Malgré une scolarité calamiteuse, il est pourtant parvenu à arracher un vague diplôme supérieur dans une université parisienne peu regardante. Grâce à un égo démesuré, il est parvenu à convaincre quelques âmes égarées de commettre avec lui quelques courts métrages. Heureusement, Julien a maintenant un vrai métier. Il se lève tous les matins à 6h et réserve les premières lueurs du jour pour écrire des papiers sur les films qu’il a gardé en mémoire.

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