Séries

Hippocrate : En intraveineuse

Il fallait sacrément avoir envie de retrouver Karim Leklou pour se farcir huit épisodes d’une série à l’arrière-goût de déjà-vu (à prononcer avec l’accent américain). L’impression d’avoir déjà fait le tour avec Hippocrate (le film) et le détour avec Première année. Mais Thomas Lilti s’accroche à sa barque, navigant entre deux eaux : la fiction et la médecine. Alors on a embarqué en se disant qu’au pire on verrait des trucs crades et malsains, au mieux ça calmera notre phobie de la blouse blanche.

Difficile de passer après Urgences. Car en matière de série d’hosto, on n’a pas vu mieux ficelé (sauf si vous êtes Allemand et donc génétiquement attaché à La Clinique de la Forêt-Noire). Et pourtant la liste est longue comme le bras. Comme si l’hôpital était le terrain de jeu idéal pour les refoulés de médecine qui finissent scénaristes. Dans le lot, on sauvera tout de même The Knick et ce génie de Clive Owen (Clive, épouse-moi. Je suis joignable 24/24 au 06 62…). Si vous n’avez pas vu passer cette série, foncez. On retiendra également Scrubs pour son talent comique incomparable mais qui a vite tourné en eau de boudin. Et par « honnêteté intellectuelle », je suis obligée de mentionner que je n’ai jamais vu un seul épisode de Grey’s Anatomy. Ça sentait trop les amourettes au stéthoscope. Mais un de mes comparses a écrit une belle lettre d’amour à ce sujet ici.

Destins personnels, cause commune

Je vous le dis tout de suite, passez votre chemin pour les trucs crades. Le seul truc crado ce sont les têtes des acteurs sans maquillage. C’est rude, on n’a pas l’habitude. Pas de scènes ultra-gores avec du sang qui gicle partout et des opérations à cœur ouvert. Pas de maladies bizarres genre cancer de la prostate chez une femme (pour ça, allez faire un tour du côté de Doctissomo, vous trouverez votre bonheur). Ce qui l’intéresse Lilti c’est le quotidien, le bien ancré dans le réel, le bleu blafard des couloirs et les néons au plafond. D’ailleurs, c’est tellement dans le quotidien que ça commence sur le quai d’une gare de banlieue parisienne. Cette gourde d’Alyson est à la bourre pour sa première journée de garde en tant qu’interne. Ça te fait pas rêver ? Attends la suite. Spoiler alert : non il n’y aura pas d’accident d’hélico devant l’hôpital. Donc Alyson arrive à l’hosto comme un petit chat perdu, elle enfile sa blouse, retrouve enfin son service et là paf. Big news. On lui apprend que les médecins titulaires du service de médecine interne sont en quarantaine à cause d’un virus inconnu. Fallait pas croire ce que j’ai raconté plus haut sur le quotidien. C’était pour l’effet de surprise. Car dans les faits, ça n’arriverait jamais hein. Pourquoi l’hôpital est toujours ouvert ? Pourquoi il n’y a que les titulaires qui sont concernés par ce confinement ? Après ces questions de tangibilité qu’on laisse vite de côté, voilà notre petit chat égaré qui se retrouve au milieu d’autres chatons pour gérer un service entier sans chef (rêve pas, toi t’auras toujours un chef). Je me retrouve donc à regarder évoluer des médecins qui ne savent pas. Et croyez-moi que ça fait une drôle d’impression. Je m’imagine tout de suite en train d’agoniser à l’hôpital entourée des perdreaux de l’année. La perf, je lui fais dans la fesse ou dans le cou ?

Hippocrate © Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+

On repassera donc pour soigner mon syndrome de la blouse blanche. Alyson l’étourdie a des copains et dans un sens « ouf ! » parce qu’on ne peut pas trop lui faire confiance (remember, la meuf arrive en retard à son premier jour de boulot). Avec elle, Hugo Wagner. Non pas le fils de Richard, le fils de Muriel Wagner, la chef du service de réanimation. Donc Hugo triche un peu parce maman n’est pas loin mais ne croyez pas que sa mère lui laisse tout passer. Elle est sèche comme un chameau. Heureusement, il y a Chloé pour remonter un peu le niveau de la médecine française. Cette fille-là, c’est une indestructible. Elle peut enchainer une semaine de garde en clignant des yeux de temps en temps histoire de se reposer. Mais comme il faut des failles, elle n’est pas si solide que ça. Et le dernier appelé est Arben l’Albanais plus habitué à traiter avec des macabés. Non pas parce qu’il fait partie de la mafia albanaise mais parce qu’il est médecin légiste. Arben en a plein le dos des morts, du coup il va filer un coup de main au service des rescapés du virus inconnu. Arben n’est pas très causant, rapport au fait qu’il n’a pas à faire la conversation sur la table d’autopsie. Nous avons donc notre belle bande de bras cassés au complet. Les festivités peuvent commencer.

Maintenant que je me suis mise à dos les Allemands et les Albanais, on va être un peu sérieux deux minutes. Au-delà de l’aspect invraisemblable du scénario avec son histoire de quarantaine, Lilti touche le cœur du problème de l’hôpital public : le manque d’effectif. C’est suggéré dans chaque épisode. Une petite musique incessante qui ramène fissa à la réalité. Manque de médecins, manque d’infirmiers, manque de lits… Hippocrate est une série politique, n’ayons pas peur des mots. Un petit coup de poing dans la gestion bordélique de l’AP-HP et des fonctionnaires en général. Quatre personnes pour gérer un service entier. Peut-être que nous ne sommes pas si loin de la réalité.

Errance de l’ordinaire

Ce n’est pas un hasard si Lilti choisit le service de médecine interne : tentative de suicide, AVC, alcoolisme, déni de grossesse. La médecine sans grandiloquence. Ici, les mots soignent autant que les gestes médicaux. Nos internes apprennent à annoncer et rassurer. Il faut faire ses armes sans guide, tâtonner et admettre ses incompétences car la blouse ne fait pas le médecin. Et au-delà des actes médicaux plus vrais que nature, Lilti s’attarde sur les moments de flottements et les non-dits. Entre les lignes du scénario ou derrière la porte d’une chambre d’hôpital, la vie bat toujours son plein. Ici les actes courageux sont autant mis en valeur que les défaillances. Et nos quatre poussins vont tous y passer : l’une désordonnée, l’autre léger. L’une fragile, l’autre tricheur. Entre petits mensonges et arrangements, ils bidouillent avec leurs connaissances et leur faculté à s’adapter dans un milieu hostile et froid. L’expérience va les souder, eux qui ont d’abord commencé par se marcher sur les pieds pour trouver leur place et leurs repères. À bout de bras, ils tiennent un service gangréné et au bord de l’agonie. Mais les faibles deviennent combattants là ou le chaos règne. Thomas Lilti a donc réussi un joli tour de force avec sa série : faire oublier Hippocrate le film et sa figure emblématique, Reda Kateb. Le film avait beaucoup de défauts, notamment celui d’avoir transformé Vincent Lacoste en tête à claques. Ici l’aspect « film d’apprentissage » est traité avec délicatesse. Ces apprentis médecins aux ressources inespérées échouent parfois mais sont toujours déterminés.

Hippocrate. © Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+

Soignants-soignés, ambiguïté des sentiments

Derrière chaque patient se cache un homme ou une femme et son accident de parcours. Et l’on ne nous épargne rien. L’AVC a deux femmes, le déni de grossesse est fan de Johnny… Autant de petits détails qui construisent un personnage. L’erreur aurait été de les laisser dans l’ombre ou d’en changer à chaque épisode. Ils ne sont pas que des numéros de chambre ou des noms de maladie. Il y a une réelle envie de montrer l’empathie, loin du paternalisme médical qu’on attribue à ces soignants. Ce n’est définitivement pas la blouse qui fait le médecin mais bien le patient : sans toi je ne suis rien, sans moi tu n’es plus. Arben le confident, Chloé la bienveillante, Hugo le sensible, Alyson la chaleureuse. Des noms de super-héros, non ? Et l’on s’émeut d’apercevoir dans un coin du cadre la main du soignant posée sur le genou du soigné. À cœurs battants rien d’impossible.

Canal + aurait-elle enfin trouvé son salut dans la production de séries ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser avec cette petite pépite insoupçonnée. Prescription médicale du jour : jetez-y un œil et le bon.

Hippocrate8×52’. Avec Louise Bourgoin, Alice Belaïdi, Karim Leklou, Zacharie Chasseriaud, Anne Consigny, Eric Caravaca. Tous les lundis, à 21 heures, sur Canal+ ou en intégralité sur Canal+ à la demande.

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