HOLLYWOOD-by-les-ecrans-terribles
Séries

Hollywood : Destinée Manifeste

Malgré des reconstitutions à la hauteur des plus grands films hollywoodiens, le nouveau projet de Ryan Murphy (co-écrit avec Ian Brennan) a récolté un tollé critique outre-Atlantique, avec des critiques françaises beaucoup plus clémentes en contraste. Alors que les intentions de la fiction sont louables et même nécessaires , est-ce que l’inclusivité par l’uchronie garantit un résultat sans faille ? Ou subsiste-t-il quelque chose de pourri dans le Tinseltown de Murphy, à bien des égards conçu comme un miroir de la réalité de l’industrie actuelle ?

C’est une constante depuis ses débuts : Hollywood est une usine à rêves qui adore alimenter, recycler et détourner sa propre légende, dans sa gloire comme dans ses tragédies. Au moment où, comme d’autres industries, la ville est mise au ralenti par une pandémie mondiale et que les rapprochements et restructurations de studios se multiplient, c’est au tour de Ryan Murphy de mettre en lumière ce mythe à travers une mini-série de 7 épisodes. Un projet qui, comme Once Upon A Time In Hollywood, ne dit pas forcément son nom d’emblée, pour laisser le téléspectateur s’émerveiller des grilles étincelantes et de la frénésie des soirées privées, reconstituées avec soin. Pourtant, il s’agit bien d’une uchronie, soit la chronique d’une époque parallèle au vrai Hollywood, où les opportunités et réussites des protagonistes sont chamboulées sans commune mesure par rapport à la réalité. Non seulement les figures fictives de la série rentrent dans le moule et sont repérées par des producteurs et chefs de studio bienveillants et visionnaires, mais les acteurs bien réels comme Rock Hudson, incarné par Jake Picking, soulagés de ne plus avoir à  dissimuler leur identité ou leur orientation sexuelle, voient leur carrière comme leur vie personnelle s’épanouir.

Être plus précis sur les arches des personnages de Hollywood relèverait du spoiler, mais l’intention de Ryan Murphy et son fidèle bras droit Ian Brennan (également co-créateur de Glee et Scream Queens) est purement inspirante, promis! Si les exclus d’Hollywood, qu’iels soient féminins, queer, noirs ou latinos, se voient comme partie intégrante de l’industrie, alors iels changent l’Histoire tout en étant acceptés dans la Grande Famille cannibale de l’industrie angeleno. Leur transformation sera faite à grands coups du sort dantesques et inattendus, et d’accolades fictives. Des étoiles sont nées sous vos yeux, Mesdames et Messieurs. Un propos qui devient aussi limpide que didactique au fur et à mesure de l’avancée de la série. Le tout sous l’égide de Netflix, qui a donné carte blanche à Murphy pour son premier projet chez eux.

Tout cela, c’est de la théorie, de la note d’intention. L’équipe d’Hollywood fait du révisionnisme, mais elle le fait avec grand cœur et l’assume. Qu’importe si le nom de Rock Hudson n’est de nature à parler qu’aux fidèles de La Dernière Séance ou des abonnés à TCM : Hollywood est là pour vendre du rêve. Mais qu’en est-il de la pratique ?

Dans la pratique, les aspirants stars et leurs pygmalions sont, à deux ou trois exceptions près, des personnages-fonction. Archie Coleman (Jeremy Pope) étouffe comme scribe condamné à l’anonymat en tant qu’homme noir et homosexuel, réduit à vendre – sans garantie d’être lu – des scénarios de mélodrames dans lesquels il ne se reconnaît pas. Mais l’opportunité va venir frapper à sa porte alors qu’il est dans un cinéma, en la personne de l’ambitieux Jake Castello (David Corenswet). Ce père de famille, perpétuellement en bas de l’échelle, celle des figurants, lui propose de devenir pompiste dans une station-service qui fait également office d’agence à gigolos pour la haute société (station-service qui a par ailleurs existé). Pour que le conte de fées des personnages se réalise, il faut donc nécessairement subir une exploitation et se trouver du bon côté de la corruption des studios. Ceux qui ne le font pas sont condamnés à rester dans l’ombre de rôles-clichés, à l’instar de la bien réelle Anna Mae Wong (Michelle Kruisec), une des premières actrices sino-Américaines à tirer son épingle du jeu… au prix d’une descente dans l’alcoolisme, faute de reconnaissance de son travail.

Jeremy Pope et Darren Criss

Ombre et lumière

Le paradoxe de Hollywood est bien là : le réalisme et l’authenticité de l’époque ont aussi pour mission de dénoncer le côté cruel de l’industrie. Mais la toxicité inhérente de personnages comme l’agent Henry Wilson (Jim Parsons, le Sheldon de Big Bang Theory qui a vu une opportunité unique d’être casté à contre-emploi) est vue comme un mal nécessaire. À tel point qu’on se demande si Murphy ne voit pas l’industrie du cinéma (sur laquelle il n’a travaillé que partiellement, à travers Eat Pray Love par exemple) comme une gigantesque orgie recyclable, dévoilant les soirées naturistes du réalisateur George Cukor avec un œil gourmand lorgnant sur le fétichisme. Dans Hollywood, le sous-texte pointant du doigt les torts à redresser et le conservatisme bien présent de l’industrie ne devient pas texte. Il devient TEXTE en majuscules, braillé au mégaphone à un public censé être pourtant conquis d’avance par une note d’intention bienveillante. 

De la réalité des oppressions vécues par les personnages, notamment le mariage interracial entre Raymond Ainsley (Darren Criss) et Camille Washington (Laura Harrier), on ne verra quasiment rien. On les entendra à travers quelques lignes de dialogue, voire des complications plus loin dans la série, mais l’important est de leur faire monter les marches et donner des opportunités fantastiques, régies uniquement par le réalisme magique, qui a contrario du Bronx de The Get Down, ne sort d’aucun souvenir authentique. Le Hollywood des années 1950 est rempli de la même société de castes, de petites mains faisant corps autour du réalisateur. Si The Get Down portait à l’écran les souvenirs embellis de block parties suintantes vues par les  acteurs des débuts du hip-hop et la communauté du coin, le faste de la série Netflix est comparable à un Disneyland miniature, à deux doigts de la comédie musicale MGM. Hollywood vit son romantisme en grand, ses échecs et obstacles temporaires en encore plus grand, sans jamais se soucier de savoir si son sentimentalisme brouillon ne se mêle pas au pire de son autocentrisme aveugle. Et, malheureusement, c’est là que son échec est le plus cuisant.

La caractérisation de ses personnages se fait volontairement en deux dimensions, venant malmener la réussite parfaite de sa production. Le système Ryan Murphy, fort de 15 ans d’alimentation du câble et des networks (FX, FOX et même NBC), nous fait découvrir ou redécouvrir de vrais talents dotés d’un charisme magnétique. En l’occurrence, Jeremy Pope tend à transcender les répliques qui lui sont offertes en Archie ; Joe Mantello livre une composition très honnête en directeur de production de Ace Studios ; et, malgré son cabotinage et un personnage outrancier destiné à montrer toute sa palette d’interprétation dramatique, Jim Parsons menace souvent de faire du bon travail. La reconstitution historique avec un Hollywood rutilant de papier glacé est d’une propreté clinique, étoffant le savoir-faire de la minisérie Feud : Bette & Joan (qui se déroule une décennie après l’époque de Hollywood, ndr). A la musique, Nathan Barr, après les sinistres accords paranos servis dans The Americans, rivalise de swing et d’énergie avec les standards d’époque, tous inclus sans plafond budgétaire comme un juke-box sorti tout droit du paradis. 

Hollywood est un condensé lénifiant des pires clichés du sous-genre des « coulisses de » : promotion canapé, mafia appelée en renforts, patron de studio obscène et ignorant, ingénues ambitieuses et agents vociférants. Le choix de l’uchronie n’est en rien innocent, puisqu’il permet de dénoncer parcimonieusement et frontalement les travers systémiques qui n’ont pas changé en 70 ans et ont été ignorés par des cadres majoritairement blancs de bonne éducation. Mais la série elle-même reste conservatrice dans son travail de caractérisation de ses protagonistes, rejetons d’une société américaine d’après-guerre figée dans ses mœurs… et également rejetons d’une écriture fainéante et poussive. Elle donne aussi du grain à moudre aux détracteurs de la frange la plus libérale de ses stars, prompte à s’auto-congratuler en encensant les Sujets Majeurs de Notre Société… Et ce alors que l’Hollywood de 2020 a déjà entamé sa mue spectaculaire, propulsant Crazy Rich Asians et Get Out au sommet du box-office. La série entend plus entremêler les clichés d’antan (ingénue, agents) avec des clichés actuels jamais détournés, voire encore plus grossiers (les affaires extraconjuguales, la prostitution de luxe) pour livrer un message d’inclusivité musclé mais vain. Arriver ainsi à s’autocongratuler en tentant d’inspirer ses pairs : belle perf.

Hollywood, créé par Ryan Murphy et Ian Brennan. Minisérie en 7 épisodes. USA. Avec Patti LuPone, David Corenswet, Darren Criss, Laura Harrier, Maude Apatow, Jeremy Pope, Jim Parsons… Disponible sur Netflix depuis le 1er mai.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.