Cinéma,  Films

Les nourritures terrestres de Jiří Menzel

Plusieurs films du réalisateur tchèque Jiří Menzel ressortent le 23 février, l’occasion de (re)découvrir sur grand écran l’œuvre lumineuse de cet artisan de la Nouvelle Vague tchécoslovaque des années 60. Avec fantaisie et légèreté, il a su filmer avec le cœur des personnages sensibles et attachants durant plusieurs décennies tandis que l’Europe de l’Est s’enfonçait dans les affres de la Guerre Froide. 

Cette rétrospective en trois films s’ouvre sur Trains étroitement surveillés. Sorti en 1966, en pleine éclosion du printemps de Prague (cousin tchèque de notre Mai 68), le premier long-métrage de Jiří Menzel raconte l’histoire de Miloš, tout juste intronisé jeune chef de gare et dont la timidité lui fait perdre tous ses moyens face à Macha, une jolie contrôleuse. Cette tragi-comédie où s’invite parfois le burlesque nous fait presque perdre de vue que la Seconde Guerre Mondiale bat son plein et que les résistants au Nazisme peuvent aussi être des dragueurs invétérés. Dans cette petite gare, la grande Histoire est mise à distance et la part belle est donnée aux circonvolutions du jeune homme, non sans humour et autodérision. Naviguant avec justesse entre tendresse et ironie, le film fait écho à la libération sexuelle de l’époque, tout en cultivant un sous-texte politique faussement naïf. Plutôt que de nous plonger dans la dureté de la guerre, la caméra se focalise sur des gens qui la vivent avec leurs petits travers et parfois leurs moments de bravoure. En filigrane, il parle également de son pays qui, au moment du tournage, tentait de s’orienter vers un « socialisme à visage humain ». Une parenthèse terminée brutalement par l’entrée des chars russes dans les rues de Prague en août 1968.

Ce penchant politique prend de l’envergure avec le second film de ce florilège Alouettes, le Fil à la patte. On passe d’un occupant à l’autre, d’un totalitarisme à un autre, quelques années après la libération de la Tchécoslovaquie par l’Armée Rouge. Des prisonnières condamnées pour avoir tenté de fuir le pays travaillent dans un dépôt de ferraille. Elles se retrouvent juste à côté d’hommes condamnés au travail forcé à des fins de rééducation. Considérés pervertis par le capitalisme, ces notables doivent travailler à la dure comme leurs camarades prolétaires pour réapprendre les « vraies » valeurs du communisme soviétique. Malgré tout, cela ne les empêche pas d’être tous témoins de l’amour naissant entre Pavel et Jitka de part et d’autre de la barrière.

La chaleur humaine et la solidarité face à l’adversité restent ici aussi des valeurs cardinales, sans pathos ou misérabilisme. A travers cette galerie de personnages transparaît une joie et un optimisme qui pourrait paraître suranné aujourd’hui. La menace qui plane sur eux est pourtant bien réelle, mais le ton moqueur du réalisateur vient désamorcer ce danger omniprésent. Certaines scènes n’ont d’ailleurs pas du tout plu au comité de censure soviétique, puisque le film a été interdit dès sa sortie en 1969 et ce, jusqu’à la chute du mur de Berlin. Peut-être celle où les prisonnières- ferrailleuses voient arriver une maîtresse d’école accompagnée de ses élèves qui vient les montrer du doigt et les rudoyer comme des pestiférés. Mais face aux grotesques reproches de l’institutrice, les visages impassibles restent dignes derrière les grilles.

Alouettes, le Fil à la patte © Malavida.

Une Blonde Émoustillante (1980), dernier film de la sélection, fait machine arrière pour revenir au début des années 1920 autour de la brasserie d’un petit village de Tchécoslovaquie. Son gérant (Francin) veille avec soin sur le houblon et les fûts de bière. Il est marié à Maryška, véritable cordon bleu et beauté sensuelle, presque irréelle. Tous les hommes du village n’ont d’yeux que pour elle et pour sa longue chevelure blonde. Cet amour conjugal va vaciller lorsque Pépin, le frère fantasque de Francin, débarque pour quelques jours.

Avec la censure et son choix de rester dans son pays natal (contrairement à ses compatriotes Ivan Passer ou Milos Forman), Menzel change son fusil d’épaule. Il met en sourdine la satire politique et embrasse avec ferveur la nostalgie d’une époque disparue où règne la douceur de vivre et l’abondance. Dans cet Éden perdu, il continue de se délecter des petits (et grands) travers humains avec un ton badin et burlesque. Il s’attache tout particulièrement et avec un talent certain à filmer les petits détails qui sont une ode aux plaisirs simples de la vie. A l’image du fumet des morceaux de viande tout juste cuits ou de la chope de bière bien fraîche que boit d’un trait une Maryška ragaillardie. Le film toucha tant le public que des années après, des passionnés prirent l’initiative de sauver puis réhabiliter la brasserie qui avait servi au tournage. Aujourd’hui, on y confectionne une très bonne bière paraît-il !

Une Blonde Émoustillante © Malavida.

Le fil rouge qui relie ces trois films est incarné par Bohumil Hrabal, écrivain, dissident politique et compagnon de route du réalisateur. Son histoire personnelle est intimement liée aux personnages de ces films. Une Blonde Émoustillante est d’ailleurs inspiré des souvenirs d’enfance de Bohumil Hrabal et des membres de sa famille, notamment la mère de l’écrivain pour le personnage de Maryška.

Avant de devenir un des auteurs les plus populaires de Tchécoslovaquie, il fût tantôt ouvrier, cheminot, voyageur de commerce ou figurant de théâtre, ce qui ne manque pas de venir alimenter ces récits puis les adaptations pour le cinéma qui sont réalisées par son ami et réalisateur Jiří Menzel. Ces années marquées par la censure et la vie sous le joug de régimes totalitaires vont être la matière première de ses histoires. Son style est un habile mélange d’humour noir, de scénettes grotesques, d’ironie parfois triviale mais où la tendresse envers le genre humain a toujours le droit de citer.  Avec ces quelques longs-métrages choisis, Jiří Menzel nous joue cette petite musique douce venue d’une époque qui nous paraît lointaine mais fait étonnamment écho avec l’actualité récente. Il transparaît de ces films une étonnante douceur et une réjouissante candeur qui tranche vivement avec la période qui est la nôtre.

Réalisés par Jiří Menzel. Rétrospective en trois films : Trains Étroitement Surveillés (1967), Une Blonde Émoustillante (1989), Alouettes, Le Fil de la Patte (1990). Tchécoslovaquie. Distributeur : Malavida. Sortie en salles le 23 Février 2022.

Crédits Photo : Trains étroitement surveillés © Malavida.

Sa photo l’atteste, Julien est un garçon désopilant. Malgré une scolarité calamiteuse, il est pourtant parvenu à arracher un vague diplôme supérieur dans une université parisienne peu regardante. Grâce à un égo démesuré, il est parvenu à convaincre quelques âmes égarées de commettre avec lui quelques courts métrages. Heureusement, Julien a maintenant un vrai métier. Il se lève tous les matins à 6h et réserve les premières lueurs du jour pour écrire des papiers sur les films qu’il a gardé en mémoire.

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