L’été au cinéma, de Pauline à Eva
On n’a pas toujours la chance de partir en vacances l’été. Alors, quand il fait trop chaud, on va parfois se rafraîchir dans une salle de cinéma ou devant le petit écran, sous un ventilateur. Et à défaut de vivre de grandes aventures, la fiction est là pour nous partager celles des autres. J’ai souvent vu en été des films qui plaçaient la belle saison comme personnage central de leur récit, comme élément déclencheur. Quelques ingrédients y sont systématiquement réunis avec simplicité : du soleil, des baignades, des intrigues amoureuses. L’atmosphère du film s’accorde alors avec ma température intérieure et s’offre à moi comme une jolie invitation au voyage. Ce sentiment de l’été s’illustre par exemple dans les célèbres longs-métrages de Rohmer Pauline à la plage (1983), Le Rayon vert (1986) et Conte d’été (1996). Dans leur sillage, Guillaume Brac propose en 2018 le docu-fiction L’île au Trésor, suivi d’À l’Abordage (2020). Hors de nos terres françaises, la madrilène Eva en Août a égayé quelques semaines d’été en 2020, me laissant le cœur léger et le sourire aux lèvres alors que l’orage grondait à Paris.
« En été, c’est les vacances, les choses ne sont pas sérieuses », écrivait Eric Rohmer dans Les Cahiers du Cinéma (1996) à propos de Conte d’été. Cette comédie cérébrale raconte les atermoiements amoureux de Gaspard alors qu’il est en vacances à Dinard. A l’instar des protagonistes du Rayon vert et de Pauline à la plage, Gaspard n’est pas toujours heureux et les dilemmes intérieurs le tourmentent, jusque sur sa serviette de plage. Ce qui m’interpelle quand je regarde les longs-métrages de Rohmer, c’est que les personnages qu’il nous présentent m’agacent profondément. Éternels insatisfaits, ils sont trop bavards et ne cessent de se remettre en question. Mais je ne peux, après quelques minutes, m’empêcher de m’attacher à eux et à leur psyché, entre la colonie de vacances et les Fragments d’un Discours Amoureux de Barthes. Les émois qui agitent ces personnages comme une tempête semblent parfois tout droit sortis de ma tête. Je pourrais, comme Gaspard, hésiter entre plusieurs relations amoureuses sans m’y investir vraiment, comme Delphine, j’ai peur de partir seule en vacances ou de ne pas être à l’aise en société, et comme Pauline, l’été est le terrain des possibles en matière de sentiments. Ces histoires me touchent donc à bien des égards. Si les situations sont compliquées, l’été agit comme une parenthèse, une zone de remise en question qui suspend le temps aux seules questions des sentiments. Car les personnages des films de Rohmer, Brac et Trueba découvrent ou redécouvrent leur quotidien à l’aune de la belle saison. Dans une ville qu’ils connaissent depuis toujours ou dans une destination de vacances, ils flânent au gré des rencontres. On est un peu écrasé par la chaleur, ivres de soleil, de cocktails et de corps.
Guillaume Brac emboîte le pas au cinéma de Rohmer et propose deux écrins estivaux bourrés d’humour et de tendresse : L’île au Trésor et À l’abordage, à deux années d’intervalle. Tout comme le réalisateur de Conte d’été, il sublime des lieux pourtant banals comme la base de loisirs de Cergy-Pontoise (ville déjà filmée dans L’Ami de mon Amie du même Rohmer) ou un camping dans la Drôme. Les acteurs, souvent non-professionnels, facilitent l’identification, la sensation de partager les fantasmes romanesques du quotidien des estivants. Le temps d’une saison, les marqueurs sociaux s’estompent, seule l’aventure compte. Une aventure intérieure pleine de grâce chez Eva, dans le long métrage de Jonàs Trueba. Je me suis aisément reconnue dans le personnage de cette jeune trentenaire célibataire qui apprécie sa solitude et visite la ville dans laquelle elle a grandi, comme une touriste – j’aurais pu évoquer Paris au Mois d’Août (Pierre Granier-Deferre, 1966) mais je préfère m’identifier à Itsaso Arana plutôt qu’à Charles Aznavour. Elle évolue lentement, avec langueur, observe les autres et le monde qui l’entoure. Le long-métrage, lumineux, place les échanges au cœur de son récit, notamment une jolie discussion au bord d’une rivière autour de l’expatriation, et comment elle construit une personnalité. Eva, en voix off, se demande alors ce que c’est que de « devenir une vraie personne ». Qui n’a jamais eu de profondes discussions entre amis, ou avec de parfaits inconnus, déconnectées du rythme effréné de la vie de citadin ? Et Rohmer de conclure que les vacances sont « un moment de « non-être », et l’été correspond bien à cela ». Ne pas être, mais juste vivre, et se laisser porter par la magie du quotidien, le temps d’un été.
Crédits Photo : Eva en Août © Arizona Distribution.