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Films

“Mon nom est clitoris” : gros sujet, l’air de rien

Longtemps ignoré, souvent caché, parfois encore mutilé, le clitoris a connu un destin chaotique. Depuis quelques années, activistes et simples mortelles s’affairent pour lui redonner sa juste place dans les discours comme dans la vie. C’est le cas des réalisatrices de Mon nom est clitoris qui en font le point de départ d’un recueil de paroles intimes. Alors, le clitoris : guide suprême du monde de demain ?

En septembre 2017, un éditeur scolaire représente de façon réaliste un clitoris dans un manuel de SVT. Alleluia ! Neuf années après la redécouverte officielle de cet organe de 8 à 12 centimètres exclusivement dédié au plaisir. Soit l’émergence éternellement retardée d’une entité incongrue dans un monde productiviste. Les mystères séculaires entourant le clitoris constituent un paradigme emblématique de la domination patriarcale : aussi bien point ultime de la mise sous tutelle du corps féminin (cisgenre) qu’aveu d’impuissance face à son pouvoir. Dans ce contexte, ne nous étonnons pas que le mot « honte » soit prononcé dès les premières minutes par une des jeunes femmes interrogées sur sa sexualité et son rapport au plaisir. La “honte”, arme fatale de l’oppression tous genres confondus, est particulièrement efficace lorsqu’ils s’agit d’étouffer la parole et de réduire l’agentivité des femmes dans tous les domaines. Un mécanisme redoutable, parfois complexe à identifier, souvent fastidieux à décomposer (au sujet de la honte : lire Brené Brown dont le travail est d’utilité publique, regarder ses ted talks, écouter son podcast). C’est donc d’abord la honte que Daphné Leblond & Lisa Billuart Monet s’emploient à déconstruire avec délicatesse : honte de son corps, de la méconnaissance de soi, de l’errance, de la maladresse, du temps perdu…

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© Iota Production / La Vingt–Cinquième heure

A travers les témoignages de douze jeunes femmes, les réalisatrice de Mon nom est clitoris compose un chemin pédagogique dans une certaine expérience féminine. Quel être sexualisé puis-je être dans une société hétéronormative et patriarcale si je suis hétéro ? Si je suis lesbienne ? Si je suis grosse ? Si je suis racisée ? Si mon corps ne peut pas être pénétré ? Si je refuse d’être pénétrée ? Le panel composé est loin d’être exhaustif pour représenter l’immense variété des identités féminines et le spectre infini des expériences possibles. Les réalisatrices concentrent leur attention sur des jeunes femmes cisgenres dans leur vingtaine, instruites, capables d’articuler leur pensée avec une certaine aisance. La restriction est un peu frustrante, mais on sent aussi à quel point Mon nom est clitoris est un film courageux au sens littéral, fait avec coeur. La cohorte fait sens dans la tactique du portrait collectif : naît ainsi une parole sincère, tantôt déterminée et drôle, tantôt fragile et touchante. La sagesse du dispositif frétille parfois sous l’effet d’un montage malicieux (vous ne verrez plus jamais la Coupe du monde 98 comme avant !).


Puissance des mythes, violence et capitalisme

C’est le dessin net d’une certaine génération faussement éclairée, encore un peu naïve mais déjà bien abîmée par le réel, qui émerge de l’entrelacs des témoignages. En effet, loin de se concentrer uniquement sur l’organe du plaisir, Mon nom est clitoris brasse moult aspects de l’expérience féminine : rapport à l’image de soi, rapport à l’autre (de la voisine de classe aux naïades des magazines), force des schémas familiaux et culturels, rôle de l’école, impact des images médiatiques et fictionnelles (salut le supermarché contreproductif du porno moderne), mythe de la virginité et hégémonie pénétrative, violence médicale, etc. Daphné Leblond & Lisa Billuart Monet abattent une à une les cartes d’un jeu ancestral, toujours utilisé au détriment des femmes. Un jeu qu’il n’est pas obligatoire de jouer, un jeu qui peut et doit être réinventé. C’est cet espoir lumineux qui ne cesse de naître entre les brèches d’un récit polyphonique, même si le montage souligne aussi – et à juste titre – la puissance des injonctions paradoxales dont le féminin, en tant que corps organique et corps social, doit encore et toujours s’émanciper…

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© Iota Production / La Vingt-Cinquième heure

Se dessine en sous-texte l’idée, pas neuve mais toujours utile à rappeler, du corps et de la sexualité comme terrains du politique. Et plus particulièrement comme terrains du capitalisme, aka système d’oppression et d’aliénation de l’humain y compris pour celui qui croit en profiter. Les témoignages réunis nous rappellent à quel point la course à la performance et à la productivité se joue dans la sexualité plus que nulle part ailleurs dans l’expérience humaine. On ne peut s’empêcher de tiquer face aux discours de ces jeunes femmes parfois prises malgré elles dans des logiques sacrificielles… Logiques dont on n’est jamais à l’abri même quand on en a conscience, comme cette tendance tenace à s’apitoyer d’abord sur les pressions sociétales subies par les hommes au détriment d’une réflexion sur son propre bien-être. « Les hommes portent la responsabilité du plaisir et la responsabilité de l’échec », rappelle une des interviewées hétérosexuelles. No comment… Au passage, note à tout le monde : peut-on enterrer définitivement le mythe de l’orgasme vaginal et gagner du temps ? Merci, ça fait plaisir (no pun intended).

Peu à peu, c’est sans surprise la notion de consentement qui émerge des témoignages, et plus particulièrement l’identification troublante de son absence. Au détour d’une phrase, une des jeunes femmes dit ne pas se rappeler vraiment sa « première fois », balayant un instant ce souvenir avant que ses mots ne recomposent peu à peu une expérience marquée par une violence graduelle. Un retour de refoulé édifiant. Un moment, parmi d’autres dans ce film, où la pensée s’élabore au fil de la parole et se construit par ricochets dans un jeu de miroir infini entre l’écran et ses spectateur.ice.s. Mon nom est clitoris procure en somme autant de joie que de colère. Soit 1h17 pour observer le parcours accompli et contempler l’immensité des montagnes à gravir pour une sexualité égalitaire, épanouie et réellement libératrice pour tou.te.s…

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Pour aller plus loin : 
– A voir aussi : Female pleasure de Barbara Iller, Clit Revolution de Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles 
– Lectures, niveau « détente » : Au bout des doigts – Le petit guide de ma masturbation de Julia Pietri, Jouissance Club de Jüne Plã
– Lecture, niveau « épiphanie » : Au-delà de la pénétration de Martin Page
-Lecture, niveau « brillez en société » : « Le trône des plaisirs et des voluptés » : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle » par Sylvie Chaperon

À dix ans, Carole est sûre d’une seule chose : l’unique endroit où elle se sente bien, c’est dans une salle de cinéma. Peu après, elle se prend une claque avec The X-Files, puis voue un culte toujours actif à Buffy The Vampire Slayer. Rompue aux projets alternatifs et indé (Critikat, Clap!), elle croit fermement en la nécessité de voix différentes et plurielles pour penser la fiction et donc mieux penser le monde. Incurable idéaliste, elle croit aussi en l'avenir (quelle folle idée!) et passe donc beaucoup de temps à enseigner, du collège à l'université, en lettres modernes et études cinématographiques. Parfois elle dort un peu, participe à des podcasts, écrit, invente des festivals, participe à des comités de sélection, voyage...

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