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Premières solitudes, la fausse bonne idée de Claire Simon

Après Le Concours consacré aux épreuves d’admission de la Fémis, Claire Simon retrouve les bancs de l’école avec Premières Solitudes. Un documentaire réalisé avec des lycéens d’Ivry-sur-Seine qui offre une place primordiale à la parole des adolescents mais dérive malheureusement vers un fatalisme réducteur.

Que sait-on de la solitude à 17 ans ? Cette question, un rien naïve, est l’occasion pour Claire Simon d’établir un dialogue avec les lycéens section cinéma du lycée Romain Rolland d’Ivry. À l’origine, le projet devait aboutir à un court métrage réalisé avec l’aide des élèves. Finalement, il se prolongera hors du cadre scolaire pour devenir un film documentaire dont ils deviennent les protagonistes et le sujet. Réunis en groupe de deux ou trois, les adolescents échangent sur leurs expériences familiales. Et le constat est terrible : la solitude ne se loge pas dans les conflits amicaux ou les déceptions amoureuses comme l’imaginait la réalisatrice. D’ailleurs, ce n’est pas une expérience nouvelle. Pour la plupart d’entre eux elle est une vieille compagne, rencontrée dès l’enfance.

Premières Solitudes © Sophie Dulac Distribution

En premier lieu, il y a l’absence du père. Quand il ne s’est pas enfui du foyer familial, il reste une figure fantomatique, inaccessible. Certains fondent en larme à son évocation, d’autres sont déjà résignés. Les mères, quant à elles, restent souvent en marge. Elles sont celles qui triment, offrent un toit à leurs enfants. Mais parfois occupées à panser leurs propres plaies, elles n’ont pas toujours la possibilité d’établir un dialogue avec eux. La solitude, c’est le manque. Et celui-ci réapparaît dans chaque histoire. Contrairement aux attentes de Claire Simon, les relations amicales et amoureuses sont des refuges pour ces adolescents. Et la réussite du docu est précisément de recréer au sein de ces échanges entre les lycéens une forme d’écoute et de solidarité. Bien que limitée à un exercice filmique, elle n’en reste pas moins sincère.

Pourtant, le choix de se focaliser sur ces expériences traumatiques procure un sentiment d’enfermement. Ces témoignages sont nécessaires, la parole est essentielle. Mais elle vire au déterminisme quand il est question de l’avenir des élèves. Avoir des enfants ou se l’interdire pour ne pas répéter les erreurs parentales. Tout semble déjà joué. Mais n’ont-ils rien d’autre à dire et espérer ? Associer leurs doutes et leurs envies futures au contexte familial, c’est les réduire à un schéma social qui ignore les influences extérieures. Pourtant, à les entendre, la musique, l’écriture, le cinéma – dont il est très peu question – et la rencontre amoureuse, l’altérité en somme, sont pour eux ce qu’il y a de plus solide et inspirant au quotidien. Par ailleurs, les tentatives d’esthétisation de ces récits très difficiles à mettre en mots aboutissent à un pathos inutile et dérangeant. Coller “Alors on danse” de Stromae sur les images d’une jeune fille marchant seule dans la rue pour regagner un appartement vide la condamne en quelque sorte à rejouer une histoire qui n’est – ne devrait pas – être encore la sienne.

Premières Solitudes © Sophie Dulac Distribution

Malgré une idée originale et une expérience riche, le film de Claire Simon est finalement aspiré par son sujet. Il est dommage que la volonté d’offrir la parole aux lycéens d’Ivry ne soit pas l’occasion d’une ouverture mais pose au contraire des limites difficiles à transcender. Hors du carcan familial, à quoi aspirent ces jeunes lycéens ? Eux qui ont choisi d’étudier le cinéma, de découvrir d’autres imaginaires que le récit social auquel ils sont sans cesse réduits. L’évocation de la musique, de l’écriture, dessine timidement un asile mais ne devient jamais synonyme d’émancipation. Pourtant, c’est précisément la confrontation entre ces deux mondes, celui dont ils viennent et celui qu’ils forgent progressivement, qu’il aurait été intéressant de montrer. On rêve alors d’étirer le cadre, d’apercevoir le hors champ pour découvrir cet univers plus vaste, plus dense, dont on dira presque rien.

Réalisé par Claire Simon. Avec : Anaïs, Catia, Clément, Elia, Lisa, Hugo, Judith, Manon, Mélodie, Tessa. Documentaire. France.  2018. Sophie Dulac Distribution. Sortie : 14 novembre 2018. 

Des Beaux Arts à la philosophie, de Jurassic Parc à Jeanne Dielman, il n'a jamais été question de choisir. Mais le cinéma n'est-il pas, justement, le lieu rêvé pour tous les incohérents qui ont refusé de trancher entre un vélociraptor et un éplucheur à pomme de terre ?

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