Théâtre

Une Nuit américaine : Western et Shock Corridor – La fabrique du spectacle

Deux films pour le prix d’un ! Tel est le programme proposé par le metteur en scène Mathieu Bauer avec une pièce singulière qui mêle les formes d’expression et suggère une réflexion sur l’Amérique, le cinéma et ses genres.

Il est devenu habituel que le cinéma s’invite au théâtre. Récemment, Les Damnés, d’après Luciano Visconti, et La Règle du Jeu, d’après Jean Renoir, ont été présentés dans ce haut lieu du théâtre qu’est la Comédie Française. Mathieu Bauer s’inscrit dans cette tendance en adaptant deux films américains : Shock Corridor et La chevauchée des bannis, présentés cet automne au Nouveau Théâtre de Montreuil qu’il dirige.

De l’ouest à l’asile

Lorsque l’on parle des Etats-Unis et de son cinéma, tout semble remonter à un de ses genres majeurs : le western. Ce sera le sous-titre de la première partie de cette Nuit américaine, adaptation du roman La Chevauchée des bannis de Lee E. Wells (1955) et de sa transposition cinématographique par André de Toth (1958) qui inspira récemment Quentin Tarantino pour ses Huit salopards. Un western qui va à l’encontre des standards du genre dans les années 1950, puisqu’il est tourné en noir et blanc et se déroule dans un petit village enneigé. Cette atmosphère de huis clos inquiétant se retrouve également dans le second film adapté par Mathieu Bauer qui constitue la deuxième partie du programme : Shock Corridor. Dans ce film sulfureux, réalisé en 1963 par Samuel Fuller, un journaliste s’immerge dans un asile psychiatrique pour résoudre un meurtre.

En réunissant ces deux films datant de la même époque, le metteur en scène fait référence aux séances double programme à l’ancienne qui ont fait la légende des cinémas américains de quartier. Dans ce dispositif mettant en avant le pouvoir d’immersion du spectacle cinématographique, l’entracte entre les deux parties est le lieu d’une transformation du décor tandis que des « attractions » se succèdent : chanson, danses, tours de magie…

crédits: Jean-Louis Fernandez

Une vision sombre de l’Amérique

Les deux parties présentent une vision sombre du nouveau monde, de sa fondation à ses remous politiques. Mathieu Bauer fait le portrait d’une société dominée par l’individualisme et la violence. Western se focalise sur un groupe de personnes qui défend ses propres intérêts, à l’instar du genre éponyme. De même, Shock Corridor porte l’écho du maccarthysme, des conflits raciaux et de la guerre jusqu’à la folie paranoïaque qui s’empare de son personnage principal. Deux visions qui semblent plus que jamais d’actualité, à l’heure de Trump, des fakes news et des nombreuses tensions qui secouent le pays. Les violences entre individus, symboliques ou réelles, deviennent la constitution même de l’Histoire, passée et présente, des Etats-Unis.

Le plaisir du jeu anime la mise en scène précise et ludique de Mathieu Bauer. Le théâtre prend la forme d’un spectacle total. L’influence des œuvres cinématographiques qui ont inspirées la pièce et la musique, jouée live sur scène, surgissent avec d’autant plus de force.

Les comédiens, talentueux et énergiques, sont au cœur même du dispositif. Ils jouent, chantent et semblent presque improviser continuellement des manières d’adapter les films sur scène. On peut notamment citer la très belle séquence de chevauchée, qui paraissait pourtant tout à fait inadaptable sur les planches. Chacun rend également hommage aux acteurs – la plupart seconds couteaux oubliés et pourtant essentiels à l’industrie hollywoodienne – qui incarnaient leurs personnages dans les films. Cette célébration de la permanence du spectacle illustre bien à quel point l’Amérique se définit toujours comme une fabrique à fantasmes originellement pervertie et détraquée.

Une Nuit américaine de Mathieu Bauer, en tournée : le 19 janvier 2019 à Marseille (Théâtre du Gymnase), du 24 au 26 janvier à Lyon (Théâtre de La Croix-Rousse), le 1er février à Belfort (Le Granit) et le 12 et 13 mars à Clermont-Ferrand (La Comédie).

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