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Films

Voyoucratie : naufrage d’un voyou

Sortie en salles le 31 janvier, Voyoucratie est disponible en DVD et VoD à partir du 3 juillet 2018. Si vous l’avez manqué en salles lors de sa discrète sortie, voilà un film à découvrir cet été ! 

Avec Voyoucratie, le duo FGKO met au jour un objet filmique brut et incandescent, baromètre de l’air du temps avec lequel il entend bien conjurer les marées.

Voyoucratie raconte l’histoire de Sam, un jeune père tout juste sorti de prison essayant de s’échapper de l’engrenage qui le verrait fatalement y retourner. Le film expédie assez vite la question de la prison pour se resserrer sur le personnage de Sam, interprété par Salim Kechiouche, dont la sincérité et l’élégance se conjuguent avec une telle justesse que l’acteur et son personnage se fondent en un caractère insaisissable, à la fois téméraire et circonspect, héroïque et en même temps commun, familier. Face à lui, Abel Jafri campe brillamment le rôle d’Abbas, figure complexe, enjouée et équivoque. Le jeu du comédien confère au personnage de riches nuances dans l’interprétation : une profondeur certaine émane de ce travail maîtrisé. Le jeu, tout comme la mise en scène et la lumière, sont naturels et offrent à voir des tableaux proches du documentaire, un choix motivé par les influences des deux cinéastes, qui se revendiquent à travers leur œuvre de la Nouvelle Vague. Fabrice Garçon et Kévin Ossona, loin de vouloir faire du cinéma-spectacle, se gardent bien d’exhiber leurs personnages à la manière d’une quelconque émission de trash tv comme il en existe tant sur la banlieue et livrent une œuvre franche, nourrie de partage plus que de jugement. Aidé par les lumières blafardes de la ville dans des saisissantes scènes nocturnes, le montage du film, ultra-nerveux, retranscrit parfaitement l’atmosphère électrique et nauséeuse de notre société au bord de l’asphyxie, cependant qu’il jongle entre les moments de calme dans l’intimité de Sam et les passages où il est brusquement tiré de ses questionnements existentiels pour être balayé, emporté par le courant.

Voyoucratie est un film terriblement actuel qui pose certains jalons nécessaires pour comprendre la difficulté, sinon l’impossibilité de se réinsérer dans un système coercitif et prétendument méritocratique. Il déconstruit les faux-semblants, chose essentielle à l’époque où notre société, obnubilée par le jugement et l’humiliation, n’est préoccupée que par le maintien de cette illusion d’un monde juste et rédempteur. Incapable d’offrir le pardon promis aux prisonniers, la société inflige un châtiment étendu en une sorte de peine à perpétuité à ces derniers, marqués par le sceau de la prison. Pour changer ce système il faudrait s’y intéresser, mais à mesure que se poursuit l’industrialisation des prisons, les nombreuses questions sur le traitement des prisonniers sont occultées par des préoccupations purement économiques, les détenus traités comme des marchandises. Devant un tel cynisme, difficile de penser que Sam et ses anciens codétenus puissent adhérer et s’intégrer dans un système qui les méprise ouvertement et les empêche d’y survivre. Pourtant, ils n’ont guère le choix que de se soumettre ou bien de se noyer, effacés par le système.

Une main caresse, l’autre brandit le bâton, et ce faisant, appelle à une soumission totale : il faudrait mendier le droit de s’exprimer, sans jamais dire un mot plus haut que l’autre. Pour autant, FGKO ont pris le parti de faire un film qui se joue de la censure et ne se sont pas embarrassés à demander validation à qui que ce soit. Sans révérence aucune, c’est la banlieue elle-même qui s’exprime, et elle exprime un infini malaise : Voyoucratie raconte cette course haletante pour la survie, mais montre également le stigmate des échecs de générations stagnantes opprimées et humiliées pendant des décennies, tues pour autant d’années. Voilà un film important, parce qu’il fait monter la clameur des cités et contribue à briser le silence. Voilà une des œuvres qui prophétisent le renouveau du cinéma français, mais surtout du monde qu’il doit désormais dépeindre. Face aux enjeux de notre temps, un témoignage sensible, percutant et nécessaire.

Voyoucratie. Un film de FGKO. Avec : Salim Kechiouche, Abel Jafri, Hichem Yacoubi… Distribution : La 25e heure. Sortie le 31 janvier 2018. 

Élevé dans une famille d'artistes, Bernard est un enfant de la balle. Auteur, compositeur, multi-instrumentiste, il poursuit actuellement des études afin d'écrire et tourner des films. Convaincu que l'art est à la fois mystique et politique, il arpente des chemins sans trop se soucier de savoir où il va, persuadé que le voyage a mieux à offrir que le point d'arrivée.

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