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Youtube Premium France : une offre originale en demi-teinte

Passé l’effervescence de l’Avant-Première de Youtube Premium en France, qui s’est tenue au Grand Rex de Paris fin septembre, le service payant de la célèbre plateforme est-il vraiment convaincant ? Les Emmerdeurs et Groom, les séries produites par Golden Moustache et le Studio Bagel, offrent un aperçu en demi teinte de l’entrée du site d’hébergement dans le marché du streaming.  

Youtube Premium est le nouveau service proposé par la plateforme. C’est une offre payante (12€ par mois) qui propose un catalogue de programmes inédits, en majorité américains pour l’instant. L’offre comprend aussi la suppression des publicités avant ou pendant les vidéos, ainsi que la possibilité de laisser tourner la vidéo en arrière-plan du téléphone. Les avis jusqu’alors étaient très partagés sur la question : les programmes proposés valent-ils la peine de débourser 12€ par mois ? Faut-il vraiment rompre avec le concept de gratuité sur Youtube ? Mais alors, quelles sont les options viables pour financer des contenus inédits et de qualité ? C’était là tout l’enjeu de la soirée d’avant-première : montrer aux spectateurs dans la salle que ces 12€ déboursés ne le seront pas en vain. 

Groom

William, fils d’un milliardaire, est contraint de travailler dans l’un des hôtels de son père pour y remplacer le groom qu’il a blessé lors de la fête d’anniversaire de ses trente ans. Embarqué dans des situations improbables à chaque épisode, William doit tout faire pour conserver et s’adapter à son emploi de groom, bien différent de son ancienne vie de jeune milliardaire oisif. Entre le concierge ultra-rigoureux et manique qui cherche à le faire renvoyer, le spa manager roublard qui passe son temps à se moquer de lui, la femme de ménage anticapitaliste qui le déteste pour ses privilèges ou la directrice loufoque constamment à côté de la plaque, William ne peut trouver du réconfort qu’auprès de Thomas, son ami réceptionniste, un grand enfant attachant et de Clémence, l’escort-girl de l’hôtel dont il est amoureux.

Enchaînant les sketchs à chaque épisode, la série utilise différents types d’humour, du comique de mots au comique de situation, en passant par l’absurde ou la caricature. Le ton léger et bon enfant fait de la série un divertissement sans prétention. L’enjeu n’est pas de construire un fil rouge solide mais plutôt d’établir une situation initiale dans laquelle les personnages seront systématiquement confrontés à une série de problèmes à résoudre. Par exemple, monter un fight club ou organiser un mariage en une journée, dans le seul but de satisfaire leur clientèle exigeante. Si la série ne cherche pas à transmettre un message ou une réflexion particulière, on apprécie tout de même que l’humour ne tombe jamais dans la blague facile ou le cliché par paresse. Le travail d’écriture passe surtout par une dynamique rythmée, soutenue par une réalisation à l’avenant avec des jeux de caméras, un montage péchu pour signifier l’enchaînement de situations comiques et de rebondissements inattendus. En somme, un type d’écriture habituel dans les vidéos Youtube, notamment du Studio Bagel.

Le spectateur attentif et abonné de longue date à la chaîne Youtube du Studio Bagel se fera une joie de retrouver des figures connues comme Natoo, Gaël Mectoob, Marion Séclin, Kemar ou encore Kevin Razy. On retrouve l’esprit collégial des débuts de Bagel dans Groom avec cette bande d’employés d’hôtel face à des situations qu’ils doivent résoudre ensemble. Le concept est issu d’une série de vidéos tournées au festival de Montreux il y a plusieurs années par Jérôme Niel, l’acteur principal, et son équipe dont Axel Maliverney, ici showrunner du programme. Les vidéos originelles mettaient déjà en scène le personnage du groom maladroit et naïf, confronté à des problèmes incongrus qu’il résolvait toujours de manière décalée.

Mais on reste un peu sur sa faim avec Groom et on aurait pu s’attendre à plus de prises de risques, plus de nouveauté et plus d’originalité, surtout lorsqu’on connaît le talent des auteurs comme Flober ou Axel Maliverney : eux qui ont proposé par le passé des vidéos avec des tons novateurs – Flober a notamment apporté une véritable sensibilité aux vidéos de Golden Moustache en proposant Âges Moyens ou Le Bureau des Rêves – nous présentent une bonne série mais sans plus, et c’est finalement un peu décevant. Pour un spectateur en quête de nouveauté humoristique, la série risque de décevoir car finalement on a plus affaire à de l’humour déjà vu et revu, sans véritable prise de risque. Néanmoins, le point fort du programme reste la réalisation, en particulier la photographie colorée, mais le programme garde ce côté Youtube, plaisant et confortable, sans faire l’effort de se mettre en danger en proposant un concept novateur.

Les Emmerdeurs

Les Emmerdeurs est une série bien différente de Groom. Elle se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1942, dans la campagne française, près de la ligne de démarcation, et possède un ton beaucoup plus sombre, au vu du contexte, mais ponctué de pointes d’humour souvent absurde.

Alors qu’ils tentent d’échapper aux nazis, quatre jeunes, Manu, un voleur rebelle, Solange, une germanophone mystérieuse, Lorraine, une dessinatrice introvertie, et Pierrot, un séminariste lâche, boivent une potion appartenant à Albert, un résistant. Ce sérum, mis au point pour combattre l’occupant allemand, leur donne à chacun des supers-pouvoirs mais avec une contrepartie à chaque utilisation. Seulement il y a un problème : ce ne sont pas des héros, ils refusent de faire la guerre. Sous la protection d’Albert, pourchassés par un mystérieux officier allemand, ces “emmerdeurs“ irresponsables vont apprendre à assumer leurs pouvoirs et à faire équipe pour survivre.

Les Emmerdeurs développe une construction narrative riche sur toute la saison. La série présente un véritable travail d’auteur qui ne cherche pas à enchaîner des situations comiques mais à développer un récit tout en conservant un cadre historique vraisemblable. La série n’hésite pas à illustrer les tensions réelles entre les résistants, les soupçons de trahison ou de collaboration, les rivalités entre réseaux – notamment entre les gaullistes et les communistes, ennemis acharnés qui finissent par ne plus savoir qui est le véritable ennemi à abattre dans cette guerre.

La prise de risque est réelle pour la production : le casting est composé en grande partie d’acteurs inconnus du public web, la dimension historique très forte et le ton plus sérieux peuvent rebuter une partie des spectateurs de la chaîne ; la proposition d’une série d’aventures qui se déroule dans le passé avec des super-héros résistants pourrait tourner assez vite au nanar grotesque.
La réalisation est très éloignée d’un produit web habituel car elle prend le temps de poser la caméra pour des vues aériennes et des plans au cachet cinématographique. Le travail de la photographie marque aussi : l’utilisation de la lumière naturelle, la colorimétrie, les effets visuels. Par exemple, la brume omniprésente qui envahit constamment le paysage peut être interprétée comme une métaphore des Allemands qui envahissent la Zone Libre en franchissant la Ligne de Démarcation afin de s’infiltrer sur le territoire entier.
Dans Les Emmerdeurs, un gros travail de reconstitution a été effectué autant sur l’image que sur le son pour recréer au mieux l’atmosphère de l’époque avec des bruitages d’armes aux cliquetis sonores, le grésillement des radios, mais aussi les costumes et les décors les plus authentiques possibles. On sent une volonté d’authenticité afin d’immerger pleinement le spectateur.

Le travail de la musique retient par ailleurs notre attention en parvenant à créer des thèmes musicaux forts et variés mais aussi à installer une ambiance sonore originale : le compositeur Julien Bellanger est un habitué des productions ambitieuses du web puisqu’il a aussi composé la musique du film Les Dissociés, produit par Golden Moustache. Ce film avait prouvé lors de sa sortie qu’il était possible de créer des longs métrages de qualité sur Internet et financés uniquement par le placement de produit (technique de financement souvent utilisée par les vidéastes sur Youtube pour se rémunérer), et non par le financement participatif. En effet, si le placement de produit est souvent critiqué, il n’en est pas moins essentiel pour la création de certaines œuvres audiovisuelles : on peut d’ailleurs noter que les placements de produit existent au cinéma ou dans les clips musicaux, et que ceux-ci reçoivent très peu de critiques. Beaucoup de projets sur Youtube ont pu exister grâce au financement participatif mais cela revient à créer une forme de dépendance du créateur vis-à-vis du spectateur, qui se sent en droit d’attendre un produit qui correspond à ses attentes puisqu’il a financé le projet. De plus, Les Dissociés a pu acquérir une certaine légitimité, du fait de son indépendance comme un « vrai film » et pas comme un film financé par une communauté Youtube.

Sur le plan de l’écriture, le pari est réussi. Les Emmerdeurs propose des personnages féminins moteurs, courageux et actifs, en opposition aux personnages masculins lâches, indisciplinés ou râleurs, sans aucune complaisance. Solange et Lorraine refusent d’être mises à l’écart lors d’opérations risquées et n’hésitent pas à tenir tête ou bien à désobéir à Albert : elles savent se défendre et montrent une capacité de réflexion et d’action parfois bien supérieure à leurs homologues masculins. Albert, pourtant héros de la Résistance, peut se montrer de mauvaise foi, tenir des propos antisémites et a du mal à faire confiance aux quatre jeunes qu’il a pris en charge. La série se refuse de tomber dans le manichéisme ou la facilité : tous les Allemands ne sont pas des bourreaux, tous les Résistants ne sont pas des modèles. Par ailleurs, elle n’hésite pas à traiter de violences conjugales ou de torture de manière frontale, et n’élude pas l’horreur de la guerre, la cruauté ou la lâcheté tout comme la générosité et le courage.

Lorsque Golden Moustache a été créé, l’objectif était de rassembler des auteurs peu ou pas connus et de leur donner la possibilité d’acquérir une notoriété en utilisant la chaîne Youtube comme un laboratoire où ils pourraient tester leurs idées et leurs concepts. Golden Moustache a toujours privilégié la vision d’auteur et la créativité pour diffuser des vidéos plus sombres, plus sensibles, ou avec un message en sous-texte. On finit par penser que si les vidéos du Studio Bagel nous divertissent, celles de Golden Moustache peuvent en plus nous procurer des émotions et entraîner un questionnement a posteriori.  Pour autant, malgré ses grandes qualités, la série pêche par quelques défauts de rythme, notamment lors de l’exposition, mais ce problème tend à s’atténuer au fil des épisodes. Certains défauts d’écriture peuvent être pointés comme le caractère rebelle de Manu qui finit par être lassant, ou bien le côté introverti et asocial du personnage de Lorraine, un peu trop accentué, qui finit par la transformer en une sorte de marginale un peu caricaturale. Cependant, il faut reconnaître que Les Emmerdeurs est un produit de grande qualité, aussi bien dans la réalisation que dans l’écriture. Si la première impression lors de la projection pouvait être mitigée, il convient de dépasser cet a priori pour laisser une chance à la série qui en vaut la peine.

Mais finalement, Youtube Premium dans tout ça ?

D’un côté, il faut reconnaître la praticité de l’outil qui, même lorsque le téléphone est ouvert ou que l’usager utilise d’autres applications, continue de fonctionner en arrière-plan. Cela permet notamment d’écouter de la musique sans avoir à garder l’écran allumé et donc de consommer sa batterie plus vite. Cependant, la plupart des spectateurs sont peu convaincus par l’offre un peu mince pour l’instant, notamment dans le catalogue français, et sont quelque peu rebutés par le prix  qui rompt le contrat tacite établi entre Youtube et ses “viewers” qui était d’apporter un contenu original et gratuit. Si les arguments de la plateforme sont parfaitement recevables, notamment la nécessité de payer les équipes qui ont porté ces projets et de financer de nouveaux projets encore plus ambitieux, il est évident que l’offre n’est pour l’instant pas assez attrayante pour une partie des spectateurs, peu convaincus par les programmes proposés. Si l’offre venait à se diversifier, les avis pourraient évoluer vers une opinion plus positive.

 

Fiche Technique :

  • Les Emmerdeurs
    Réalisation : Valentin Vincent et Morgan S.Dalibert. Showrunners : Valentin Vincent, Julien Rizzo, Vladimir Rodianov. Scénaristes : Valentin Vincent, Florent Bernard, Julien Rizzo, Vladimir Rodianov, Romain Lancry, Julie-Anna Grignon, Avril Tembouret. Acteurs et actrices : Camille Claris, Justine Le Pottier, Grégoire Montana, Paul Scarfoglio, Sébastien Lalanne
  • Groom
    Réalisation : Alex Maliverney. Showrunner : Alex Maliverney, Robinson Latour. Scénaristes : Florent Bernard, Robinson Latour, Alex Maliverney, Adrien Ménielle. Acteurs et actrices : Jérome Niel, Adrien Ménielle, Vincent Tirel, Marie Lanchas, Nassim Si Ahmed, Constance Labbé, Julie Ferrier, Nicolas Marié, Rufus

Crédit image : Nicolas Auproux, Youtube Premium

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