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Canneséries 2025 : notre bilan des compétitions

Entre études de personnages singulières et sujets polémiques de société, Canneséries a encore offert une sélection de tenue relativement consistante. Est-ce que le cru 2025 renferme des projets de nature à faire avancer le médium ? Quelques éléments de réponse.

Pour sa (déjà) huitième édition, Canneséries a tracé sa route indépendamment du marché des programmes audiovisuels auquel il était historiquement lié, le MIPCOM, qui a plié bagage pour Londres. Si l’équipe a voulu faire grandir la composante professionnelle en le remplaçant par une série de « clubs » réunissant scénaristes, producteurs et compositeurs, côté artistique, la sélection 2025 reste solide sur ses bases et conforme à ses promesses de défricheuse. Les sujets trop éminemment d’actualité ne sont jamais forcément mis en avant, néanmoins les sélectionneurs dénichent des propositions avec des protagonistes parfois jeunes, souvent rock’n’roll, et encore plus souvent axés sur des virages étranges et provocateurs.

Un des fils rouges de cette année, volontaire ou non, est l’isolation ressentie par les héros ou antihéros de la compétition. Comme Hyun-heup (la chanteuse de K-Pop Arin), qui vit recluse dans son appartement depuis qu’elle a commencé à voir des S-Line (qui donnent leur titre à cette série coréenne), fils rouge émanant de la base du crâne d’adultes et adolescents… documentant leurs partenaires sexuels. Une sorte de rayon X de l’intimité d’autrui, qu’elle résume en « Il est des choses que personne ne devrait voir ». Lorsqu’un meurtre va se produire dans son voisinage, telle une version dérangeante de Fenêtre sur Cour, elle va prendre les choses en main… Et découvrir l’existence de lunettes permettant de distinguer les S-Line , tout comme elle (à la manière du culte They Live de Carpenter). S-Line arrive à lier son concept à une sombre histoire de harcèlement scolaire, mais malgré l’esthétique hallucinée et les quelques moments de bravoure de son premier épisode, s’enferre dans une enquête menée par un flic beau gosse très monolithique et encore plus long à la détente.

Autre personnage isolé : celui de Jonas, chef à la tête de Reykjavik Fusion et incarné par Ólafur Darri Ólafsson, acteur islandais qui est devenu une tête connue dans les films et séries américaines (dans NOS4A2 ou plus récemment dans la saison 2 de Severance). Après une arnaque à l’assurance qui l’a vu incendier son précédent restaurant, il est incarcéré et se retrouve stigmatisé à sa sortie de prison. Désespéré et sans projet, il accepte l’offre d’une femme d’affaires baignant dans les magouilles, qui retape un ancien restaurant asiatique avec des moyens peu scrupuleux. Hélas, la pré-ouverture du restaurant va vite faire basculer le destin de Jonas dans la complicité de crimes…

Entre chroniques tendues d’un équipage sous pression en cuisine et polar un peu plus classique, Reykjavik Fusion choisit la deuxième option. En chroniquant la descente d’un homme pragmatique qui pactise avec le diable pour retrouver un peu de dignité auprès de ses deux enfants (l’une d’entre elles étant embauchée comme serveuse), la série se rapproche de Bankerot/Coups de feu en cuisine, (peu) vue sur Arte en 2017.

Mais nul n’est plus isolé que l’antihéros de la série gagnante de la compétition, A Better Man. Tom (Anders Baasmo), est un troll masculiniste qui va régulièrement poser sa diatribe en commentaires sur Reddit et Instagram, jusqu’à ce qu’un double cataclysme s’abatte sur lui.

D’abord, il est victime de catfishing par un gang d’escrocs lituaniens ; puis il menace de viol sur Instagram une stand-uppeuse féministe très côtée, Live Stensvaag (Ingrid Unnur Giæver). Celle-ci décide de se rebiffer et d’exposer son commentaire à la télévision nationale : en quelques heures, les Internets norvégiens le doxxent intégralement et les médias locaux viennent l’interviewer. Tom, pris d’un sentiment inconnu jusqu’alors – la honte – s’échappe avec des perruques et vêtements de femme pour échapper à la police. Et décide de démarrer une nouvelle vie sous l’identité de Berit. A Better Man, fleuron des projets de la NRK, est une série éminemment politique qui adresse le sujet de la « crise de la masculinité » avec une verve quasi-satirique. Elle n’hésite pas à aborder le sujet des violences sexuelles et d’une humanité réellement malmenée… peut-être en prenant certains raccourcis un peu trop secs. À l’heure où des séries comme Adolescence montrent la dangereuse influence des rhétoriques masculinistes sur Internet, A Better Man peut se voir comme une quasi-utopie, où l’électrochoc d’une humiliation publique peut aboutir à une prise de conscience. Contre toute attente, le projet fonctionne sur ses deux premiers épisodes, mais peut imploser narrativement à tout moment.

Dans la compétition séries courtes, deux projets, aussi réussis l’un que l’autre, abordent la difficile navigation dans le monde de deux personnages gays dont la vie est bouleversée. Le premier, Otto (Jonathan Michiels), protagoniste de la Flamande Oh, Otto !, se fait larguer par son premier amour après une longue relation avec le ferme conseil de sortir des sentiers battus et d’aller découvrir le monde. Dans le même temps, sa meilleure amie Lente (Jennifer Heylen) lui annonce qu’elle emménage loin de lui avec son copain. Entre son taf de psychologue et ses relations d’un soir, Otto se cherche avec des émotions contradictoires. Stijn Van Kerkoven délaisse les ressorts comiques trop faciles de rencards désastreux pour une étude tendre de son personnage paumé, et le cadre d’une Bruxelles queer vibrante, à l’extrême opposé de la ville blafarde dépeinte par Putain (vue à Séries Mania le mois dernier). À l’autre bout de la planète, N00b (disponible dans le corner Hello de Canal+) dépeint un outing dans le village paumé de Gore, en Nouvelle-Zélande, en 2005. Sans ADSL mais avec beaucoup de préjugés ! Et la première génération connectée inclut Nikau (Max Crean) qui s’adonne à des fanfictions queer en ligne. Lorsqu’il est outé, il doit retrouver une bande parmi les marginaux du lycée, loin de son équipe de rugbymen de bros. Mélange de références cringe à la génération MTV de l’époque (l’héroïne et copine de Nikau est une homonyme de Lauren Conrad, star de Laguna Beach), de comique maximaliste et de satire très saignante, N00b et sa jeune créatrice Victoria Boult – qui prolonge ici sa propre fiction TikTok avec des moyens conséquents – tape très juste là où ça fait mal – notamment sur l’homophobie ordinaire qui va se développer envers Nikau -, avec un sens de l’esthétique teen qui fait mouche.

N00B Teaser Canneséries 2025

Le meilleur casting de l’édition revient encore à une série flamande, autour de deux sœurs réunies dans un road trip de Belgique vers l’Espagne, afin de disperser les cendres de leurs parents… Et, sans doute, d’aider à mourir l’une d’entre elles, atteinte d’une tumeur au cerveau au stade terminal. How To Kill Your Sister suit Anna et Kat, une patiente au tempérament très inflammable et une grande sœur devenue plus diplomate, mais à la vie morne. Un road trip parsemé d’incursions oniriques du chanteur espagnol préféré d’Anna sur la banquette arrière, de hold-ups foireux et de seniors hollandais insupportables. Un de nos coups de cœur de la sélection, malheureusement reparti bredouille du palmarès.

How To Kill Your Sister Teaser Canneséries 2025

Seule représentante française en compétition séries longues, Malditos a pour lui un cadre très peu abordé dans la fiction française : la communauté des gens du voyage. Des thèmes déjà traités par le créateur, réalisateur et coscénariste de la série, Jean-Charles Hue. Le projet dépareille à la fois dans le line-up français de Max, et de la sélection Canneséries par sa singularité – une histoire de deux frères au père absent et à la mère (Céline Sallette) prête à tout pour sauver son camp. Hélas, si l’interprétation arrive souvent à être prenante et que l’équipe de la série mise sur l’authenticité, Malditos prend l’eau – tout comme le camp de Camargue où se déroule l’action – en se rabattant sur les clichés du polar et du narcothriller.

Enfin, une autre pépite tragicomique en sélection redonne du pep’s au mockumentaire : Dorm 13, ou un dortoir mixte de jeunes Finlandais appelés au service militaire. Un format court (13 minutes), comparable aux séries de France TV Slash, qui appelle à des vignettes de vie où la cohabitation est difficile et où le respect de la hiérarchie encore davantage. Le caporal irascible, quasiment du même âge que l’équipe sous sa coupe, ne manque pas d’en faire les frais, dans une réflexion fine sur la solidarité et l’appréhension de l’individuel au sein du collectif. Même si le propos politique autour de la mobilisation des populations jeunes à l’effort de défense n’est pas abordé, la série arrive largement à décrocher quelques rires de manière consistante.Côté diffusions françaises, la majorité de la sélection n’a pas encore trouvé de diffuseur, en dehors de Reykjavik Fusion sur Arte et N00B en diffusion sur Canal+ Hello. La représentante française en compétition séries courtes, Lost Media (par l’équipe de Calls), sera aussi visible sur Canal d’ici quelques mois.

Photo en une : A Better Man © Lukas Šalna / Maipo Film

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